Alex Nikolavitch est un des auteurs phares des Moutons électriques : outre ses essais érudits et passionnants « Apocalypse ! » et « Cosmonautes ! », il a écrit deux fictions pour les éditions ovines : le space op’ « Eschatôn », où les marines de l’espace rencontrent les grands anciens, et la fantasy urbaine « L’Île de Peter », évoquant un Peter Pan moderne et un peu plus destroy. On nous murmure également qu’il préparerait un troisième roman, un récit arthurien qui promet de l’épique et de la poésie. Cette semaine nous vous proposons un petit mot tiré de son blog, « La Nikolavitch War Zone« , sur les origines et la recherche pour écrire son futur chef d’oeuvre.
La page de l’auteur : http://www.moutons-electriques.fr/alex-nikolavitch
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Puisque je suis au début de la rédaction d’un nouveau roman, je suis en plein dans cette phase où je dévore plein de documentation de façon totalement obsessionnelle. Bouquins, films, cartes géographiques, fiches wikipédia, je fais feu de tout bois. Le but avoué est de m’immerger pleinement dans mon sujet (le but réel, en fait, c’est juste de satisfaire à ma maniaquerie compulsive, mais je ne le dis pas parce que ça fait moins genre).
Dans le cas présent, le gros de la doc c’est tout ce que je peux trouver sur les îles britanniques au cinquième siècle et sur les bases les plus profondes de la légende arthurienne. Je ne suis pas le premier à jouer à ce jeu-là, mais ces périodes de genèses mythiques sont fascinantes (il en va de même sur la période présumée de la Guerre de Troie) (les deux époques se ressemblent assez, d’ailleurs, avec de grands effondrements politiques s’accompagnant de grands mouvements de populations) et j’y reviens souvent.
Et en fait, même si l’idée de ce bouquin ne m’est venu qu’il y a quelques mois, je m’aperçois qu’en fait ça marinait depuis longtemps. J’ai toujours aimé l’arthurien et toujours lu des trucs à ce sujet. Et ça fait quelques années que je potasse en profondeur toute la période qui entoure directement la fin de l’empire romain, grosso modo de la bataille d’Andrinople (crise migratoire des Goths) à celle de Vouillé (fin du royaume gothique de Toulouse et suprématie franque sur la Gaule), soit un siècle et demi de mutations profondes en Europe Occidentale. Cette étude du sujet n’a rien de systématique, mais quand je tombe sur des bouquins là-dessus, je prends. Du Patrick Geary, du Alessandro Barbero, voire du Ferdinand Lot, des ouvrages de synthèse, les rares textes survivants de la période, etc. Au fil du temps, j’ai accumulé du matos. Je me suis fait des opinions assez précises sur certaines choses. J’en ai précisé d’autres (ce qu’on nous apprend à l’école là-dessus est au mieux infime, au pire inepte).
Et de temps en temps, toutes ces infos accumulées, ces bribes de compréhension et ces faits qui s’assemblent peu à peu se cristallisent d’un coup. Il y a quelques années, ça s’est retrouvé dans ma grosse conférence sur le Moyen-Âge en BD, par exemple (même si elle se centrait plutôt sur la période 1000-1500, elle évoquait frontalement le problème de la limite plus que floue entre Antiquité Tardive et Haut-Moyen-Âge).
Depuis, j’ai continué à accumuler. Et d’un coup, paf, ça s’est cristallisé à nouveau. Et quand je parle de cristallisation, c’est exactement ça. Je ne sais pas si vous avez déjà vu ce genre de trucs : dans une solution sursaturée, on introduit un bout de cristal, et d’un coup, sa structure « infecte » le tout, elle se propage et la solution cristallise en masse d’un coup (c’est une astuce connue dans l’industrie, notamment), c’est très spectaculaire. Eh bien c’est ce qui m’est arrivé quand, il y a quelques mois lors d’un voyage en bus, j’ai lu (de travers, d’ailleurs, mais ça n’a aucune importance), un commentaire sur les plus anciennes sources galloises du mythe arthurien. Pouf, plein d’idées qui me clapotaient dans la cervelle se sont assemblées en masse et j’avais le plan de mon bouquin quasiment tout cuit dans le bec avant même d’être arrivé à mon arrêt (de l’importance d’avoir un calepin sur soi en permanence pour noter ce genre de trucs).
Mais le plus drôle là-dedans, c’est que c’est maintenant que commence vraiment le boulot de documentation. Aller rechercher des infos dans les bouquins déjà lus, puis en vérifier d’autres dans d’autres bouquin, comparer des textes, vérifier des points de détail, trouver les éléments de vie quotidienne que les grosses synthèses sur les bouleversement politiques n’évoquent même pas, etc.
Tout ça pour faire de l’arthurien, soit un machin qui (on en parlait ici même y a quelques semaines à peine) n’a jamais réellement existé, et dont personne ne m’en voudrait si je me vautrais dans la fantaisie pure.
Et avec tout ça, le plus triste, c’est que, quand j’aurai fini de l’écrire, ce roman, je ne pourrai plus voir en peinture toute cette masse de doc accumulée et que je serai pressé de passer à autre chose. Ça me l’a fait pour Saint Louis, ça me l’a fait pour Burton, ça me l’a fait pour Lovecraft, ça me l’a fait pour un scénar sur Ian Fleming qui est terminé et dont je ne sais même pas s’il sortira un jour… Et alors je me vautrerai dans autre chose, dans le Siècle d’Or espagnol, par exemple, ou la Conquête Normande, ou la fin de la Guerre de Cent Ans, suivant ce qui se débloquera d’un coup. Ou alors je me lancerai dans un nouveau truc de pure SF qui me demandera surtout de contrôler la crédibilité de mes délires technologiques (ce qui est beaucoup moins chronophage que la recherche historique)
Alex Nikolavitch