Dans le cadre du « Mois de l’imaginaire » (et au-delà), nous avons eu l’idée de poser une série de brèves questions à nos auteurs — et d’en distiller les réponses au fil des jours et des semaines.
– Un livre que vous lisez en ce moment
… il faut vraiment que j’en parle ? Bon, d’accord, si vous y tenez. Je termine Action directe, autonomie, autogestion, au-delà des luttes, l’anarchisme, par Carlos Taibo. Une excellente lecture pour suivre celle des Dépossédés d’Ursula Le Guin et avant de me plonger dans Hommage à la Catalogne de George Orwell.
– Un livre qui a changé votre vie
La Route au tabac d’Erskine Caldwell. J’avais cinq ans, on me l’a ôté des mains alors que j’en arrivais au tiers, j’ai dû attendre six ou sept ans pour en lire la fin. Entre l’événement qui déplut fortement à mes parents — ma joue s’en souvient — et le tiers que j’avais dévoré, j’ai compris, d’une part, que les petites filles n’avaient pas d’autre choix que de se taire et de s’évader dans le silence de leur esprit ; d’autre part, qu’il était nécessaire de lire encore plus vite tout livre qui me tombait sous la main ; je m’y emploie depuis. Une interprétation d’enfant et hop, la vie s’enfile sur un chemin.
J’ai terminé La Route au tabac cinq ou six ans plus tard, je l’ai relu plusieurs fois ensuite, il avait fait scandale à sa sortie aux États-Unis, au début des années 1930, je vous le conseille.
« Lov posait des questions à Pearl. Il lui donnait des coups de pied, il lui jetait de l’eau à la tête, il lui lançait des pierres et des bâtons, il lui faisait tout ce qu’il croyait susceptible de la faire parler. Elle pleurait beaucoup, surtout quand Lov lui avait fait sérieusement mal, mais Lov ne considérait pas cela comme une conversation. Il aurait voulu qu’elle lui demandât s’il avait mal aux reins, quand il irait se faire couper les cheveux, s’il croyait qu’il allait pleuvoir. Mais Pearl ne disait pas un mot. »
– Un livre que vous auriez aimé écrire
C’est une question que je ne me suis jamais posée ! Aucun, je crois, ils ne m’appartiennent pas, même au conditionnel dans une uchronie intime.
– Un livre qui a influencé votre propre écriture
Un seul livre serait réducteur, beaucoup de livres m’ont influencée, et d’autres continueront de me suggestionner, les citer en longue litanie deviendrait vite ennuyeux pour le lecteur de cet entretien.
– Un livre qui a changé votre manière de penser
La Route au tabac ! La radicalisation immédiate (rires).
– Le dernier livre qui vous a fait pleurer
Un recueil de poésies de Charlotte Delbo, Une connaissance inutile.
– Le dernier livre qui vous a fait rire
Aux éclats ? Ann Radcliffe et les vampires (Paul Féval, chez les Saisons de l’étrange). C’était épouvantable de piquer des fous rires en pleine nuit.
– Un livre que vous n’avez pas pu terminer
La Princesse de Clèves. Je sais, la révélation horrifie, mais Madame de Lafayette a moisi mes envolées scolaires, pourtant, le livre est court. À l’époque, je m’étais persuadée que c’était une manœuvre perfide de l’inscrire au programme d’enseignement, destinée à me faire croire que le meilleur de la littérature féminine (d’après l’Éducation Nationale) en remontrait aux hommes de lettres classiques sur le terrain de l’ennui. Je ne suis toujours pas convaincue de faire erreur, les dramatiques préoccupations de cette dame de la cour auraient paru insensées à n’importe laquelle de ses contemporaines paysannes ou même bourgeoises, autant dire que le procédé, pour m’obliger à me pencher sur la sensibilité de la noblesse du XVIIe et la faire mienne à la fin du XXe, a lamentablement échoué.
– Un livre que vous offrez souvent
Si j’étais honnête : le mien, paru aux Moutons électriques (Réclame subliminale : Les Papillons géomètres), j’ai offert tous mes exemplaires d’auteure ! Mais je préfère les mensonges mesurés, j’ai beaucoup donné Cristal qui songe de Theodore Sturgeon et Terremer d’Ursula K. Le Guin, deux récits parfaits pour aborder les littératures de l’imaginaire dès la fin de l’enfance.
– Un livre que vous n’avez jamais lu
Ah, facile ! Je n’ai jamais rien lu de Zemmour. Mais entre nous, j’aimerais bien avoir tout lu sauf ce genre de livre grossièrement fabriqué, grossièrement publié, grossièrement porté par des campagnes publicitaires très chères.
– Votre tout premier souvenir de lecture
Le premier souvenir, frappant, demeure encore et toujours La Route au tabac, mais je me rappelle cependant d’un autre livre sorti du brouillard de mes deux ou trois ans, Couac le canard et ses amis, de Kathryn & Byron Jackson. Le héros portait une casquette à hélice : un signe avant-coureur de ma passion pour la science-fiction, non ? Il construisait un navire pour partir à l’aventure, je l’ai beaucoup lu et relu. Mon livre a sûrement fini à la poubelle, mais je l’ai racheté pour mes enfants qui l’ont beaucoup aimé. Un bouquin de la collection « Petit Livre d’Argent » aux Deux Coqs d’Or, illustré par Richard Scarry, évidemment.