Jean-Philippe Jaworski
La condamnation de la vacuité de la fantasy est-elle fondée ? Sans doute pour les œuvres dont la poétique est pauvre ou exclusivement commerciale. Toutefois, dans ce cas, ce n’est pas la fantasy qui est à blâmer mais la faiblesse d’exécution de l’œuvre. En revanche, le rejet de la fantasy en soi, en tant que genre, me semble relever du préjugé. Il existe une condescendance réaliste et, de façon plus saugrenue pour un genre d’imaginaire, une condescendance science-fictive qui réduisent la fantasy à un escapisme immature.
À titre personnel, je me méfie du discours qui érige la littérature réaliste comme unique courant vraiment littéraire car seul à même de délivrer un message sur l’homme et le monde. Non que je rejette le réalisme : au contraire, il est même nécessaire à l’émergence du fantastique et de sa prolongation fantasy. Mais je m’élève contre l’opinion qui en ferait une esthétique artistiquement prééminente.
D’une part, le réalisme suppose une adhésion à une certaine vision du monde, désenchantée et très occidentale, qui ne traduit pas la pluralité des expériences psychiques et réduit donc l’esthétique littéraire à un champ assez étroit. (« Ici et maintenant » au XIXe siècle, que la fin du XXe siècle a transformé en « moi, ici et maintenant ».) D’autre part, le réalisme est de plus en plus instrumenté au service d’un narcissisme autofictif ou d’un voyeurisme maquillé en fiction, en particulier chez des écrivains qui (comme Emmanuel Carrère) vont raconter les histoires de leurs proches plus ou moins contre leur gré. Entre une œuvre qui invente son personnel romanesque et celle qui recycle de façon subjective (voire indélicate, opportuniste ou malveillante) des contemporains identifiables, j’ai une nette préférence pour la créativité de la première.
Ping : L'histoire s'écrit