À peu de choses près, notre volume Paris, une physionomie, sous la direction d’Alexandre Mare, se trouve donc presque achevé. Préface :
L’esprit des lieux
Le principe de notre collection, la « bibliothèque rouge », est d’effectuer des portraits biographiques de grandes figures de la littérature populaire, dans toute leur véracité , c’est-à-dire « comme s’ils avaient existé » et au sein de leur contexte historique, social, urbain et criminel, notamment. Il s’agit d’une remise en contexte et d’une relecture par un examen effectué à la loupe des textes. De cette manière, plutôt que d’étudier cette littérature de l’extérieur, par-dessus , comme on le fait ordinairement en critique littéraire, nous procédons au contraire depuis l’intérieur même des œuvres, pour en faire jaillir toute la matière humaine, l’essentiel des individus et des périodes concernés.
Des individus, des « héros » (Sherlock Homes, Arsène Lupin, Hercule Poirot… pour nos volumes les plus récents), qui sont tous ancrés dans des décors et des atmosphères essentiellement urbains. Des villes (Paris, Londres), ferments de ces imaginaires modernes qui sont le substrat de la « bibliothèque rouge » : le roman policier, la comédie sociale, dans un flot historique allant grosso-modo du début du xixe siècle aux années 1960 ou 70. Notre société contemporaine, naissant de l’industrie nouvelle et de l’architecture urbaine, et ses protagonistes s’agitant entre ombre et lumière, entre crime et quotidien…
Après ces portraits de grandes figures, il nous a semblé important de brosser ceux de ces grandes cités, selon les mêmes modalités. D’époque en époque, les villes étudiées de l’intérieur, dans leur littérature, leur architecture, leurs personnages célèbres et leurs atmosphères variables. En ajoutant aux outils de l’étude biographique et littéraire ceux de la psychogéographie (l’art de marcher en ville et d’en parler) et de l’histoire.
Il convient d’établir une atmosphère, celle des époques et des lieux. Et pour ce faire de s’attacher non pas à une généalogie légendaire mais avant tout aux faits, aux vérités historiques passées au tamis littéraire – c’est entendu, la littérature est avant tout un témoignage. De fait, nous avons rejeté les reconstitutions dites historiques, partant du principe selon lequel celles-ci ne peuvent être que fallacieuses. Les auteurs sont toujours les témoins – de ceux qui établissent la parole juste. Réunir des dizaines d’entre eux, flâneurs de Paris et de Londres, c’est en faire les chroniqueurs les plus attentifs de leur temps. C’est faire de leurs héros, dont ils ne sont que les biographes, les guides les plus audacieux de leurs villes.
À qui appartient Paris ? Assurément à ceux qui ont traversé ses rues. Paris est une ville où l’on marche – soyons clair, les grandes révolutions se sont faites en marchant. De François Villon à Jacques Réda, en passant par Flaubert ou Léo Malet, les écrivains marcheurs ont raconté, à l’ombre des lumières de la ville, des personnages qui ont révélé des cartographies possibles de la capitale. En superposant les pas de Frédéric Moreau, de Maldoror, de Nestor Burma ou de l’inspecteur Bourrel, en réunissant plutôt qu’en opposant, se dessinent des rencontres possibles, obliques ou perpendiculaires. C’est le bon bout de notre raison, héritée de notre ami Rouletabille, qui nous permet de réunir dans un même ensemble le fabuleux destin muséographique de l’étrange docteur Spitzner et le Paris des folles fêtes du Quat’z’Ars. De la même façon, c’est notre géométrie ubuesque qui nous permet de croiser Flaubert et les lettristes dans un même ouvrage. Le dénominateur commun, notre goût pour les montages d’influences, pour les rhizomes souterrains qui, à l’instar du métropolitain, assure des milliers de correspondances possibles sans même remonter à la surface du monde. Partant du principe que le meilleur arrive souvent dans la perdition, nous espérons que nos lecteurs se perdront dans ce livre, comme ils se perdront à la recherche des personnages qui ont dessiné les rues et les avenues, les itinéraires littéraires et secrets qui sommeillent sous nos pas parisiens. Bref, Paris nous appartient.