Mini interview : Jean-Philippe Depotte

Nous avons eu l’idée de poser une série de brèves questions à nos auteurs — et d’en distiller les réponses au fil des jours et des semaines.

– Un livre que vous lisez en ce moment

En ce moment, je lis Les Techniques de détection en physique de l’infiniment petit par François Vannuci chez Ellipses. Un super bouquin de physique des particules. D’abord, parce que c’est un sujet qui m’intéresse et ensuite parce que j’en ai besoin pour mon prochain roman. Mais je lis aussi Eclipses japonaises de Eric Faye, un petit roman à propos des Japonais qui se sont fait enlever par la Corée du Nord dans les années 1970 et qui y sont restés 40 ans. Ce roman m’intéresse surtout parce que je me demande souvent pourquoi certains journalistes décident d’écrire un roman plutôt qu’un article factuel. Qu’est-ce qu’un roman apporte de plus ? Faut-il incarner la réalité pour la rendre sensible ? Et, dans ce cas, est-ce toujours la réalité ? Et enfin, je viens de commencer Un long dimanche de fiançailles de Sébastien Japrisot, qui sera le 61ème épisode de mon « Alchimie d’un roman » (c’est un scoop !).

– Un livre qui a changé votre vie

Au risque de paraitre nombriliste, le livre qui a objectivement changé ma vie, c’est mon premier roman : Les Démons de Paris. À partir de sa publication, j’ai arrêté d’être ingénieur, j’ai démissionné de tout emploi salarié, je suis devenu écrivain, j’ai commencé ma chaîne de vidéos littéraires sur YouTube. Bref, ça a vraiment tout changé.

– Un livre que vous auriez aimé écrire

Zazie dans le métro de Raymond Queneau. Quelle maestria ! Queneau n’a peur de rien, il se permet tout et sous des apparences de grosse rigolade, il maîtrise tout : son style, sa structure, ses personnages. Zazie, c’est de la pure littérature, c’est-à-dire un roman qui ne parle pas de la réalité, qui ne transmet pas de message, qui ne se met pas à notre niveau. Au contraire, c’est un roman qui nous ouvre un univers parallèle, un univers purement littéraire, fait de personnages et non pas d’êtres humains, des personnages qui dialoguent au lieu de parler et qui agissent selon leurs propres lois. Bref, un chef d’œuvre incroyable comme quasiment tous les romans de Queneau. Et plus qu’un chef d’œuvre, une leçon de littérature ! J’aurais pu citer Les Fleurs bleues, aussi.

– Un livre qui a influencé votre propre écriture

Beaucoup. Quasiment tous les livres que j’ai décortiqué dans mes vidéos de « L’Alchimie d’un roman ». C’est d’ailleurs pour ça, au début, que je me suis attaqué à ce projet. Pour apprendre par l’exemple. Et j’ai beaucoup appris.
J’ai surtout appris qu’il faut bosser pour écrire un roman. Des livres comme Les Faux monnayeurs d’André Gide ou Bel Ami de Maupassant m’ont impressionné par leur intelligence et m’ont donné un gros coup de massue. Avant eux, je croyais encore à l’inspiration tombée de nulle part, à l’écrivain romantique qui boucle son texte en une seule nuit. Et j’ai découvert dans ces deux romans une construction intellectuelle murement réfléchie, construite, et quasiment intimidante. Et je me suis dis que même dans mon domaine de la littérature dite « de genre », l’écriture d’un roman est un contrat passé avec son lecteur, un contrat qui demande de l’implication, du sérieux et du travail. Comment innover ? comment aller plus loin, comment surprendre ? Même quand on écrit « pour rigoler », il faut le faire sérieusement.

– Un livre qui a changé votre manière de penser

L’Étranger de Camus. C’est le premier livre qui m’a fait comprendre ce qu’est la littérature et à quoi elle sert. J’ai fait des études de scientifique. J’ai un diplôme d’ingénieur. J’ai toujours cru qu’il y avait, d’une part, ce qu’expliquait la science (l’univers, le ciel bleu, l’origine de l’homme, …) et, d’autre part, ce qu’elle n’expliquait pas (l’amour, la vieillesse, le mal, …). Et puis j’ai découvert que la littérature permettait de comprendre ce que la science n’expliquait pas. Les Belles endormies de Kawabata aide à comprendre la vieillesse. Avec Sa majesté des mouches de Golding, on comprend un peu ce qu’est le mal et d’où il vient.
Avec Camus, c’est l’empathie, c’est la société, c’est la preuve par l’absurde (comme en mathématiques) du besoin d’amour et de compréhension mutuelle. Et c’est donc avec L’Étranger de Camus, que j’ai compris pour la première fois que la Littérature, finalement, ce n’était pas très différent de la Science. Ce sont deux pédagogies parallèles. Elles nous apprennent des choses, mais de deux manières différentes.

– Le dernier livre qui vous a fait pleurer

Beaucoup de livres me font pleurer. Je suis assez fleur bleue. La Nuit sous le pont de pierre de Léo Perrutz, mon livre de chevet, est une histoire d’amour très belle et très émouvante. Et puis, je citerai aussi Queneau et l’incontournable Zazie car, je pense, on y trouve la plus belle définition de l’amour. Je cite : « Trouscaillon et la veuve Mouaque avaient déjà fait un bout de chemin lentement côte à côte mais droit devant eux et de plus en silence, lorsqu’ils s’aperçurent qu’ils marchaient côte à côte lentement mais droit devant eux et de plus en silence. » Je vous promets que, là, en la relisant, j’en ai la larme à l’œil.

– Le dernier livre qui vous a fait rire

Tout Terry Pratchett ! Sans hésiter. En anglais mais aussi en français parce que la traduction de Patrick Couton est excellente. Les tournures sont drôles, les dialogues, mais aussi les situations, les personnages, le monde tout entier. J’ai adoré Ronde de nuit mais aussi Timbré ou Monnayé. Dans ce dernier, une riche veuve veut dépenser une fortune pour un terrain désert sans aucun intérêt. Son notaire essaie de l’en dissuader mais elle s’acharne. Une fois la vente signée, il lui demande s’il peut enfin savoir pourquoi elle voulait à tout prix acheter ce terrain. Et elle lui répond : « vous savez tenir un secret, maître ? Oui ? eh bien… moi aussi. » Non seulement ça me fait marrer, mais je la ressors souvent, chaque fois qu’on me demande de dire un secret.

– Un livre que vous n’avez pas pu terminer

La Nuit des temps de Barjavel. Je voulais en faire un épisode de mon Alchimie d’un roman mais c’est vraiment au-dessus de mes forces. Je me fais un honneur de ne jamais dire de mal d’un roman que j’analyse, alors j’ai préféré m’abstenir. Idem pour Farenheit 451 que j’ai lu jusqu’au bout mais que j’ai préféré ne pas analyser. Je suis persuadé que les gens adorent ce roman pour son thème (excellent) et non pas pour son texte (sans intérêt).

– Un livre que vous offrez souvent

La Nuit sous le pont de pierre de Léo Pérutz, encore. Un livre à la fois facile à lire et étourdissant. En plus, personne ne le connaît alors il fait toujours son effet. En plus, ça me donne l’impression de participer à la publicité de cet auteur injustement méconnu qu’est Léo Perutz.

– Un livre que vous n’avez jamais lu

À la recherche du temps perdu. Il faut que je m’y mette ! Et je vais m’y mettre un jour, c’est promis ! Il y a aussi Ulysse de Joyce, mais celui-là, c’est une autre paire de manches ! C’est un livre qui me fait peur. Peur de passer à côté et de ne rien comprendre.

– Votre tout premier souvenir de lecture

Les BD. C’est Goscinny qui m’a fait découvrir la lecture et, mieux, la littérature ! Sans parler de Fred (Philémon), Greg (Achille Talon), Gotlib. Que des BD « à texte » ! Ça a certainement compté dans mon amour de la lecture. Encore aujourd’hui, je pense que ces quatre-là sont des auteurs majeurs. J’ai arrêté de lire des BD depuis longtemps et j’ai vraiment du mal à m’y remettre. Je me sens un peu largué. Là aussi, il faut que je fasse l’effort, et que j’y revienne !