Viaduc

Diriger une collection, c’est notamment se faire plaisir en réalisant quelques vieux rêves liitéraires: ainsi en allait-il du recueil de Léon Groc, La Cité des Ténèbres et autres voyages excentriques, qui correspondait à une lecture de mon enfance. Et ce mois-ci, sort en Bibliothèque voltaïque le diptyque provençal post-apo de Jean-Louis Le May, que j’ai eu l’occasion de lire et de relire maintes fois depuis sa sortie d’origine en 1979. Fin 2009, dînant à Sèvres avec Rivera et Nolane, j’appris de ce dernier que Le May venait de mourir. Je dis alors mon regret de n’avoir pas eu l’occasion de concrétiser mon envie de rééditer son diptyque, et Nolane me conseilla de contacter son vieil ami Charles Moreau, qui « devait connaître les héritiers ». Magique Charles, qui me procura immédiatement le numéro de téléphone du fils de Jean-Louis Le May!  Un accord fut trouvé aussitôt, et enfin cette Ombre dans la vallée voit le jour (nous avons reçu les stocks hier midi — Charles Moreau en a signé la postface, bien sûr).

Je ne sais plus qui m’avait conseillé de lire ces deux romans, Michel Pagel ou Roland C. Wagner sans doute. Il devait y avoir quelque chose de spécial dans l’air de cette époque, pour qu’avec Paul Béra, G. Morris ou Gabriel Jan, ce soit Jean-Louis Le May lui aussi qui sorte des sentiers battus (il co-signait jusqu’alors des space operas routiniers), et que le « Fleuve Noir Anticipation » publie L’Ombre dans la vallée et Le Viaduc perdu. En cela, ce vieux routier de la littérature populaire rejoignait soudain la voie de certains bédéastes phares de l’époque: il prenait en prose le même chemin que les Simon du Fleuve de Claude Auclair ou que les Armalite 16 de Michel Crespin. Celui d’un post-apo sudiste et turbulent, à la fois violent et sensuel. Un vrai choc, et pour moi ce diptyque demeure l’une des œuvres majeures de cette période de la science-fiction. Une œuvre que j’ai souvent relue, et elles ne sont pas si nombreuses, issues du flot du « Fleuve Noir Anticipation », à avoir si bien surmonté le passage du temps. En fait, en dehors de titres qui furent, eux, plus ou moins vite réédités, par exemple Poupée aux yeux morts de Wagner (que les Moutons envisagent de remettre en librairie l’an prochain, d’ailleurs) et ses « Nouveaux Mystères de Paris », Les Flammes de la nuit de Pagel et sa « Comédie inhumaine », ou bien encore Demain une oasis et les autres Ayerdhal, j’avoue n’avoir pas conservé grand souvenir de toute cette production. Je garde une tendresse particulière pour Les Glaces du temps de Frank Dartal, et puis donc, pour ce double Le May — enfin réédité, eh oui.