Mars 2012

Le mois de mars est aux moutons électriques ce que les giboulées sont à la météo : l’occasion d’un grand écart, formel et thématique, entre nos deux nouveautés. D’un côté, un essai, qui pour s’intéresser à la fiction ne s’ancre pas moins dans la rugosité de l’existence ; de l’autre, un roman qui, au propre comme au figuré largue les amarres, délaissant les rives rassurantes de nos certitudes scientifiques pour voguer allègrement vers les terres inconnues de notre imaginaire.

Notre premier titre, Extrême ! de Julien Bétan, sous couvert d’une exploration du cinéma qui dépasse les bornes (mondo, snuff, torture flicks, survival, nazisploitation, etc.), propose de réintégrer une production méconnue et souvent méprisée dans la dynamique générale du 7ème art. La violence graphique, dans sa dimension la plus extrême, est ici envisagée comme une conséquence plutôt que comme une cause de la violence réelle, confrontant les censeurs et les moralisateurs à leurs propres contradictions. Loin d’une tentative d’épuisement de ce vaste sujet, l’auteur nous invite à une promenade libre sur des sentiers peu fréquentés, questionnant au passage les rapports ambigus entre spectateur et violence, censure et liberté d’expression, cinémas d’auteur et de genre, exploitation et démarche artistique. Un propos passionné mais néanmoins distancié, s’adressant autant aux amateurs de cinéma « vomitif », qu’à ceux, plus nombreux, qui s’interrogent sur la place de l’image dans nos sociétés.

Le second titre de ce mois de mars, Un mois sous les mers de Tancrède Vallerey, constitue quant à lui un fort bel exemple de la vivacité de la littérature populaire française de l’entre-deux-guerres. Paru en 1937, il démontre avec suspense et une propension à l’émerveillement peu commune que la science-fiction existait en France, sous sa forme actuelle, sans référence obligée à un genre que les Américains s’approprièrent. Les références de Vallerey, ce sont plutôt les récits de Rosny aîné et ceux d’H. G. Wells, donc une tradition spéculative européenne — mais le « sense of wonder » est bien là. Narrant les péripéties d’un voyage, non pas dans les grands fonds marins mais bien en-dessous, ce texte faussement linéaire surprend par sa modernité et son implacable mécanique, qui embarque imperceptiblement le lecteur vers une conclusion digne des plus grands classiques. Un roman jouissif et jouissant d’une présentation à la hauteur de ses qualités : un hardcover en tirage limité et numéroté, relié sous couverture rigide toilée grise avec fer or sur le dos et jaquette couleur, dont la souscription est dès aujourd’hui ouverte. Les illustrations d’origine sont toutes restaurées, la couverture aussi, et l’ouvrage préfacé par l’essayiste et traducteur Patrick Marcel. À l’instar de la Cité des Ténèbres de Léon Groc, il s’agit là pour nous d’un coup de cœur, d’une envie de retrouver le puissant goût d’enfance de l’anticipation d’antan. Par nostalgie ? Non : par passion.

Une passion qui nous conduit d’ailleurs à travailler actuellement et d’arrache-pied sur une nouvelle collection, qui sera lancée l’an prochain. Une collection de redécouverte de la littérature populaire, qui mènera ses explorations non seulement du côté de l’anticipation, mais aussi de celui du roman policier, du roman feuilleton, de l’aventure ou du cape et d’épée. Le Rayon vert sera son nom et André-François Ruaud planche sur le programme des deux premières années, avec l’indispensable collaboration de spécialistes comme Christine Luce, Alexandre Mare et Serge Lehman. Mais on en reparlera le temps venu !