Avril 2012

Notre nouveauté du mois, c’est le tome 14 de notre livre-revue semestriel, Fiction. Fondé en 1953 (excusez du peu), ce support crucial des littératures de l’imaginaire est l’édition française d’un livre-revue américain, Fantasy & Science Fiction, auquel nous ajoutons nouvelles inédites, articles, portfolios… et cette fois-ci, un DVD. Eh oui, un DVD de trois court métrage d’un tout jeune réalisateur, Clément Trebaol, qui n’a que 17 ans mais a déjà reçu beaucoup de prix. Ses films nous ont séduit et nous avons donc décidé de vous offrir ce DVD en plus du numéro.

Et puis, tant qu’à être « multi-média », nous proposons aussi, gratuitement, un supplément à télécharger. Au sommaire de ce volet web, une nouvelle, un article et un portfolio. Le tout en complément de notre sommaire, qui pour ce tome 14 se compose de onze nouvelles inédites, un portfolio, une BD, deux rubriques et deux articles. Le tout sous une couverture par un illustrateur catalan de renom international, Max.

Rappelons sinon que nous venons juste de sortir un nouveau tirage limité : Un mois sous les mers de Tancrède Vallerey, qui est un fort bel exemple de la vivacité de la littérature populaire française de l’entre-deux-guerres. Narrant les péripéties d’un voyage, non pas dans les grands fonds marins mais bien en-dessous, ce texte faussement linéaire surprend par sa modernité et son implacable mécanique, qui embarque imperceptiblement le lecteur vers une conclusion digne des plus grands classiques. Un roman jouissif et jouissant d’une présentation à la hauteur de ses qualités : un hardcover en tirage limité et numéroté, relié sous couverture rigide toilée grise avec fer or sur le dos et jaquette couleur. Les illustrations d’origine sont toutes restaurées, la couverture aussi, et l’ouvrage préfacé par l’essayiste et traducteur Patrick Marcel. À l’instar de la Cité des Ténèbres de Léon Groc, il s’agit là pour nous d’un coup de cœur, d’une envie de retrouver le puissant goût d’enfance de l’anticipation d’antan. Par nostalgie ? Non : par passion. Une passion qui ne cesse de nous animer et qui n’est pas prête de s’arrêter. Nous y travaillons en permanence ! Et pas seulement aux livres en papier : notre site est en cours de relooking intensif, vous verrez ça bientôt, et nous préparons aussi un programme de e-books.

Un mois sous les mers

Les stocks de notre nouvel ouvrage de luxe, Un mois sous les mers de Tancrède Vallerey, sont arrivés ce matin. Tirage limité à 50 exemplaires, couverture toilée sous jaquette, fer doré sur le dos, papier ivoire, illustrations de Maurice Toussaint : en vente exclusive sur notre site. C’est le seizième hardcover que nous publions ainsi, dans une démarche d’amour des beaux livres — et nous sommes le seul éditeur à faire cela, apparemment. Douce folie ? En tout cas, sur ces 16 volumes, 6 sont épuisés. C’est le savoir-faire d’un imprimeur anglais qui nous permet de réaliser de tels tirages, aussi limités.

Extrait de la préface de Patrick Marcel :

(…) Le roman de Vallerey est sorti en 1933, une année qui paraît avoir connu plus que sa part d’événements marquants, dans une période faste pour la fiction, sinon pour le monde : tandis qu’Adolf Hitler accède au pouvoir, semble s’exprimer une envie d’autres mondes exotiques, au-delà de l’horizon sinistre d’une Crise désormais bien ancrée. Cette année-là, outre-Atlantique, sortent au cinéma King Kong, en kiosques Doc Savage et ses fantastiques aventures, et en librairies Horizons Perdus de James Hilton, et sa vallée perdue de Shangri-La ; dans les quotidiens étasuniens, c’est la grande période des comic strips d’aventure. Une Amérique qui fascine l’Europe : Zig et Puce se sont évertués à y aller, Tintin en revient, les pensionnaires de Saint-Agil comptent s’y rendre.
Un Mois sous les mers appartient à l’esprit de cette période, mais procède d’une inspiration plus européenne, cependant ; britannique, plutôt qu’américaine. Son intrigue commence de façon classique, proche en somme des Voyages fantastiques de Jules Verne, en particulier de son Voyage au centre de la terre, mais il ne s’agit pourtant pas d’un roman de monde perdu, comme en ont fourni maints auteurs depuis l’ère victorienne, du domaine de l’Ayesha de H. Rider Haggard jusqu’à la Terre de Maple White d’A. Conan Doyle. Dans ces affaires de monde perdu, c’est en général vers un passé révolu de notre monde que tendent les efforts des héros. Lorsque sort Un Mois sous les mers, la donne a changé. On regarde ici vers l’avenir, on en appelle à la science. Celle, supérieure en bien des points, du royaume de Guaninco, mais d’emblée aussi les avancées de savants géniaux, œuvrant pour le Savoir, en dépit des sots et des moqueurs : preuve de leur génie, le mystérieux « bolide » de Stanton et Randal dépasse déjà les possibilités de l’époque. La science constitue le moteur et le grand enjeu de l’histoire. Une Science idéaliste et idéalisée, porteuse d’avenir et de promesses – mais pas glorifiée au point de ne pas évoquer ses erreurs et ses dévoiements.
L’ouvrage frappe également par sa vivacité de ton – même s’il reste évidemment très châtié pour nos habitudes – et, en somme, par sa vie. Certes, le livre vise les adolescents, mais la recherche du maintien de l’intérêt du lecteur n’est jamais condescendante ; de fait, l’étiquette « tous publics » convient sans doute à merveille. La voix du narrateur, jeune homme irréprochable, résolument moderne, a l’allégresse sportive des Années folles finissantes (peut-être est-ce cette considération qui a poussé Maurice Toussaint à supprimer sur ses illustrations la moustache dont le texte gratifie Maxence ?). Mais sans doute cette énergie émane-t-elle simplement de Tancrède Vallerey lui-même : le livre témoigne d’un élan indéniable, que révèle une ponctuation souvent farfelue (dont les excès ont été un peu atténués ici) qui relaie directement, par la plume ou le clavier de la machine à écrire, l’enthousiasme ou la hâte de l’écrivain. (…)

Mars 2012

Le mois de mars est aux moutons électriques ce que les giboulées sont à la météo : l’occasion d’un grand écart, formel et thématique, entre nos deux nouveautés. D’un côté, un essai, qui pour s’intéresser à la fiction ne s’ancre pas moins dans la rugosité de l’existence ; de l’autre, un roman qui, au propre comme au figuré largue les amarres, délaissant les rives rassurantes de nos certitudes scientifiques pour voguer allègrement vers les terres inconnues de notre imaginaire.

Notre premier titre, Extrême ! de Julien Bétan, sous couvert d’une exploration du cinéma qui dépasse les bornes (mondo, snuff, torture flicks, survival, nazisploitation, etc.), propose de réintégrer une production méconnue et souvent méprisée dans la dynamique générale du 7ème art. La violence graphique, dans sa dimension la plus extrême, est ici envisagée comme une conséquence plutôt que comme une cause de la violence réelle, confrontant les censeurs et les moralisateurs à leurs propres contradictions. Loin d’une tentative d’épuisement de ce vaste sujet, l’auteur nous invite à une promenade libre sur des sentiers peu fréquentés, questionnant au passage les rapports ambigus entre spectateur et violence, censure et liberté d’expression, cinémas d’auteur et de genre, exploitation et démarche artistique. Un propos passionné mais néanmoins distancié, s’adressant autant aux amateurs de cinéma « vomitif », qu’à ceux, plus nombreux, qui s’interrogent sur la place de l’image dans nos sociétés.

Le second titre de ce mois de mars, Un mois sous les mers de Tancrède Vallerey, constitue quant à lui un fort bel exemple de la vivacité de la littérature populaire française de l’entre-deux-guerres. Paru en 1937, il démontre avec suspense et une propension à l’émerveillement peu commune que la science-fiction existait en France, sous sa forme actuelle, sans référence obligée à un genre que les Américains s’approprièrent. Les références de Vallerey, ce sont plutôt les récits de Rosny aîné et ceux d’H. G. Wells, donc une tradition spéculative européenne — mais le « sense of wonder » est bien là. Narrant les péripéties d’un voyage, non pas dans les grands fonds marins mais bien en-dessous, ce texte faussement linéaire surprend par sa modernité et son implacable mécanique, qui embarque imperceptiblement le lecteur vers une conclusion digne des plus grands classiques. Un roman jouissif et jouissant d’une présentation à la hauteur de ses qualités : un hardcover en tirage limité et numéroté, relié sous couverture rigide toilée grise avec fer or sur le dos et jaquette couleur, dont la souscription est dès aujourd’hui ouverte. Les illustrations d’origine sont toutes restaurées, la couverture aussi, et l’ouvrage préfacé par l’essayiste et traducteur Patrick Marcel. À l’instar de la Cité des Ténèbres de Léon Groc, il s’agit là pour nous d’un coup de cœur, d’une envie de retrouver le puissant goût d’enfance de l’anticipation d’antan. Par nostalgie ? Non : par passion.

Une passion qui nous conduit d’ailleurs à travailler actuellement et d’arrache-pied sur une nouvelle collection, qui sera lancée l’an prochain. Une collection de redécouverte de la littérature populaire, qui mènera ses explorations non seulement du côté de l’anticipation, mais aussi de celui du roman policier, du roman feuilleton, de l’aventure ou du cape et d’épée. Le Rayon vert sera son nom et André-François Ruaud planche sur le programme des deux premières années, avec l’indispensable collaboration de spécialistes comme Christine Luce, Alexandre Mare et Serge Lehman. Mais on en reparlera le temps venu !

Un mois sous les mers (2)

(…) « La ville ! » murmura Théodore Randal.
C’était en effet une ville, une cité analogue à celle dont nous avions visité les ruines, mais qui couvrait une surface décuple et que la vie animait encore. On distinguait de loin des silhouettes qui se mouvaient avec lenteur entre les habitations, et d’autres silhouettes qui se dépla­çaient au bord du fleuve où régnait une agitation relative.
Entre la base des collines et les premières maisons de la cité, s’élevaient douze constructions étranges, différentes de toutes celles que j’avais vues jusqu’alors.
C’étaient de véritables couronnes de rochers… des couronnes coupées en deux et qui ressemblaient à deux croissants de lune qu’on aurait posés l’un en face de l’autre, les pointes se touchant. Ces roches, unies, polies, mesuraient environ trois mètres de hauteur, et le cercle, formé dans l’espace compris entre les croissants, avait un diamètre de deux cents mètres au moins.
Au centre de ce cercle, se dressait un petit édifice pareil aux maisons de la ville, mais qui avait une forme rectangulaire et une hauteur peut-être double.
Les deux échancrures de la couronne étaient à peine larges de deux mètres, aucune espèce de fermeture n’était installée là.
Devant chacun de ces curieux édifices se dressait une singulière machine faite de poutrelles entrecroisées, qui supportaient une sorte de pont tournant, dont le pivot devait être constitué par une pièce de métal fichée dans le sol. (…)