De saison

L’autre jour, pour rédiger l’éditorial de décembre, Julien s’est laissé un peu emporter en dehors de ce qui était nécessaire pour cet exercice… Un petit texte, en forme cri du cœur, que nous avons eu envie de vous faire lire, pourtant.

Noël ? Une fiction partagée, nourrie de nostalgies intimes et enfantines. Un message de paix, une lumière au bout de la nuit la plus longue, une promesse de renouveau.
Noël ? Une vaste entreprise mercantile, symbole de l’emprise du réel sur nos esprits. L’enjeu d’une âpre bataille, modelant pour mieux les exploiter nos imaginaires, nos représentations.
Comme le temps de la religion s’est plaqué sur celui du mythe, comme la droite ligne vers la fin des temps a remplacé le cycle des saisons, nous semblons vivre aujourd’hui dans un éternel présent. L’immédiat règne, la durée ne vaut plus que par les instants qui la composent ; Noël n’est plus qu’un de ces temps forts dont on nous a inculqué la nécessité, un battement de ce rythme continu, que nous nous efforçons de suivre, bon gré mal gré, tant notre peur est grande de demander un temps mort.
Infantilisés, réduits à l’état de désirs plus ou moins formatés, de frustrations permanentes et d’occasions manquées, nous nous en remettons à ceux qui ont le temps de penser, qui nous fournissent des solutions bien emballées. Qui tirent de nos esprits, de nos pratiques, de nos créativités, de quoi fabriquer un nouvel objet, bientôt indispensable à nos existences. Extraient de nos tréfonds ce précieux minerai, qui une fois transformé, nous sera revendu, au prix de quelques heures de notre course contre la montre. Une mécanique bien huilée : bien qu’à force de courir nous ayons mal aux pieds, il devient fort compliqué d’imaginer s’arrêter. Des enfants dépossédés de leurs jouets, qui doivent casser leur tirelire, acheter eux-mêmes l’espace où ils sont censés s’épanouir.
Mais si nous sommes des enfants — ce que nous vous souhaitons de ne pas avoir oublié —, ce ne sont pas nos envies qu’il nous faut retrouver, plutôt notre capacité à nous en affranchir, par le rêve, par le jeu, par un saut de côté, un report audacieux, un malicieux pied de nez à la barbe de la réalité.
Non pas oublier, ni s’oublier, mais au contraire affirmer, s’affirmer. Une philosophie que nous appliquons modestement, à notre échelle, depuis bientôt une dizaine d’année. Combien de temps aurions-nous perdu à revendiquer le droit de faire ce que nous avons fait ? À regretter de ne pouvoir éditer les livres qui nous manquaient ? Est-il vraiment besoin de tout changer pour pouvoir exister ?
Nous avons préféré prendre un pari, celui de créer un espace éditorial qui, au gré des collections qui le composent, explore cette riche dualité. Biographies de personnages fictifs, de Cthulhu à Hercule Poirot, qui s’ils n’ont pas existé, font néanmoins aujourd’hui partie de nos vies (la bibliothèque rouge) ; essais sur des sujets ou auteurs bien étrangement négligés, du sexe des héros à Hayao Miyazaki, permettant d’observer à la racine la fabrique de l’imaginaire contemporain (la bibliothèque des miroirs) ; littérature bien-sûr, et plus que jamais, pour alimenter votre machine à rêver : des classiques oubliés aux Jaworski, Faye et autres Tim Rey (la bibliothèque voltaïque, la revue Fiction).
En bref, traiter l’imaginaire pour ce qu’il est : une réalité.