Mini interview : Michel Pagel

Dans le cadre du « Mois de l’imaginaire », nous avons eu l’idée  de poser une série de brèves questions à nos auteurs — et d’en distiller les réponses au fil des jours et des semaines. Le premier à avoir répondu l’a fait longuement, alors ouvrons cette rubrique avec Michel Pagel.

– Un livre que vous lisez en ce moment

Alors, là, je suis content qu’on me pose la question, parce que je viens tout juste d’en terminer un (hier soir, ça compte dans la catégorie « en ce moment » hein ?) dont j’avais envie de parler à quelqu’un. J’ai relu Doomsday Morning alias La Dernière Aube de Catherine L. Moore. Je l’avais déjà lu il y a bien longtemps, et n’en gardais strictement aucun souvenir, sinon celui d’une impression globalement positive. Eh bien, figurez-vous que c’est vachement bien. Aux antipodes des oeuvres les plus connues de Moore que sont les cycles de Northwest Smith et de Jirel de Joiry, il s’agit d’une oeuvre d’anticipation à court terme. L’action se situe dans une Amérique d’un proche avenir, où s’est mis en place un régime fasciste. En Californie, un mouvement révolutionnaire secoue le joug de l’état, lequel imagine alors un plan machiavélique pour écraser la rebellion. L’action est vue par les yeux d’un comédien tombé dans la dèche depuis la mort de sa femme, alcoolique, qui accepte sur les sollicitations d’un ancien ami, désormais en place au gouvernement, de monter une troupe de théâtre ambulante et d’aller jouer en Californie une pièce bien précise, sans en changer une ligne. Pas question d’en révéler plus, bien sûr. L’oeuvre est noire, à défaut d’être vraiment pessimiste, et la psychologie traumatisée de son protagoniste en est autant le sujet que l’enjeu social. L’écriture est efficace, une première personne un peu sèche, façon hard-boiled, qui refuse tout sentimentalisme, le rythme est vif, les personnages cohérents et le dénouement satisfaisant. Si vous en déduisez que j’ai bien aimé, vous n’avez pas tout à fait tort. Sérieusement, messieurs les éditeurs, je ne sais pas ce que vaut la traduction française naguère parue chez Presses-Pocket, mais ça vaudrait le coup de se renseigner, parce qu’il faudrait rééditer ça.

– Un livre qui a changé votre vie

Ce n’est pas particulièrement un traité de philo. Les Meilleurs Récits d’Amazing Stories, une antho de Jacques Sadoul chez J’ai Lu. Au-delà des qualités des textes, c’est le tout premier livre de SF que j’ai lu en sachant que c’en était, à 15 ans, et il m’a assez enthousiasmé pour que je ne lise ensuite rien d’autre que de la SF pendant des années. Si vous détestez mes livres, vous n’avez à inventer une machine à remonter le temps et à m’empêcher d’acheter ce bouquin. Il est alors probable que tous les miens disparaîtront. Mais ne comptez pas sur moi pour vous dire dans quelle librairie je l’ai trouvé.

– Un livre que vous auriez aimé écrire

La Bible, pour les droits d’auteur.

– Un livre qui a influencé votre propre écriture

The Books of Blood, de Clive Barker, dans les années 80. J’avais déjà publié quelques bouquins, la plupart pas très bons, et Stephen King avait déjà rallumé mon amour pour le fantastique en tant que lecteur, mais Barker m’a clairement ouvert une voie d’écriture. Une bonne partie des textes de la Comédie Inhumaine, notamment les nouvelles, n’auraient pas été écrites sans cela — ou l’auraient été autrement.

– Un livre qui a changé votre manière de penser

La Bible, encore. Avant de la lire, je croyais ce qu’on m’avait appris à la maison et au catéchisme. C’est en lisant la Bible que j’ai perdu la foi. Et je n’ai même pas eu besoin de la lire en entier (heureusement parce que, ne nous voilons pas la face, il y a des longueurs.)

– Le dernier livre qui vous a fait pleurer

Je n’ai pas souvenir qu’un livre m’ait jamais fait pleurer, Il faut pour cela au moins un épisode de La Petite Maison dans la Prairie ou un discours politique, mais le dernier dont je me souviens qu’il m’a provoqué un important torrent d’émotion, c’est Nuit de colère, de Francis Berthelot.

– Le dernier livre qui vous a fait rire

Attendez voir. Fat Ollie’s Book, d’Ed McBain. Fat Ollie Weeks est un flic inénarrable, raciste, misogyne, homophobe, j’en passe, et spécialiste des vannes atroces, totalement irracontables en société, souvent intraduisibles, mais tout à fait hilarantes du simple fait qu’elles sont atroces.

– Un livre que vous n’avez pas pu terminer

Il y en a un certain nombre. Comme je n’aime pas être méchant avec mes confrères, sauf quand ils sont d’extrême droite, je vous citerai La Démone de Karastan de Philippe Randa, paru dans la collection « Anticipation » du Fleuve Noir. Ce livre possède le douteux honneur d’être le seul que, non content de ne pas terminer, j’ai projeté avec violence contre le mur d’en-face en poussant un cri de révulsion.

– Un livre que vous offrez souvent

Au prix où sont les livres ? Vous rigolez, non ?

– Un livre que vous n’avez jamais lu

Là encore, il y en a un paquet. Pour que la question ait un sens, j’imagine qu’il faut en choisir un que j’aurais très envie de lire mais que, pour tout un tas de raisons x et y, je ne me suis jamais décidé à attaquer. Dhalgren de Samuel Delany correspondrait bien à cette définition. Il y a aussi Moby Dick de Melville, et Ulysse de James Joyce.

– Votre tout premier souvenir de lecture

Mon premier souvenir fort, je pense que c’est « Les Animaux du Petit Bois », d’Anne-Marie Dalmais, une série de quatre volumes parue dans la collection bleue d’Étoile d’Or. C’était, comme son nom l’indique, une histoire d’animaux dans un petit bois, les héros principaux étant le lièvre et le petit lapin, ainsi que des écureuils qui faisaient du parachutisme du haut des arbres avec leur queue en panache, et les méchants trouvant de fort bonnes incarnations dans le renard et la belette. Je me rappelle aussi, dans la même collection, la série des « Ratons Laveurs » d’Alain Grée, moins réaliste et plus humoristique. Bref, il faut croire que j’étais plutôt branché sur les bestioles quand j’avais cinq ou six ans.