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Une vidéo où le Boss ovin, André-François Ruaud, également président de l’Association des Éditeurs de Nouvelle Aquitaine, parle édition en compagnie de deux consœurs, dans les ors abandonnés d’un opéra. Merci au salon Escale du Livre (Bordeaux).

Entretien avec Michel Pagel

Notre grand événement qui débarque enfin en librairies cette semaine,
c’est la réédition en deux pavés de ténèbresdu cycle La Comédie inhumaine de Michel Pagel. Respectivement 960 et 912 pages, pour 8 romans et recueils + préface et nouvelle finale inédites.
Entretien avec l’auteur !

– Lorsque vous avez débuté le cycle, vous étiez plutôt un auteur de SF, qu’est-ce qui vous a conduit à vous lancer dans le fantastique ?

Je suis et reste avant tout un auteur de science-fiction. Mon esprit cartésien et mon athéisme profond m’empêchent d’adhérer au fantastique pur. D’ailleurs, la trame principale de La Comédie Inhumaine, puisque l’existence de tous les dieux et démons qu’elle met en scène est rationalisée, appartient sans problème au genre SF, même si elle possède tous les aspects extérieurs du fantastique (ou plutôt de l’horreur moderne). Je n’ai guère fait qu’une ou deux nouvelles purement fantastiques (« Ce n’était qu’un rêve », par exemple, même si une explication rationnelle, quoique psychologique, traîne entre les lignes). Côté romans, on pourrait compter Sylvana et L’Esprit du Vin mais ils s’apparentent tout autant à la littérature générale, selon l’interprétation qu’on en a. Il y a tout de même L’Ogresse qui est sans doute le seul et unique thriller d’horreur (au sens « stephenkingien » du terme) que j’aie jamais écrit.

Pour être tout à fait honnête, cependant, lorsque j’ai rédigé les premiers volets de la Comédie, même de sa trame principale, notamment Le Diable à Quatre, je croyais moi-même écrire du fantastique, car je n’avais pas encore établi la rationalisation des dieux dont je parlais plus haut.

Pourquoi me suis-je donc intéressé à ce genre ? Parce que, dans les années 80, en raison de l’émergence de l’horreur moderne, en particulier grâce à King, puis très vite à d’autres auteurs, comme Clive Barker (qui, incidemment, m’a beaucoup plus influencé que King, quoi qu’en disent certains slogans), le fantastique m’apparaissait comme bien plus excitant que la SF de l’époque, laquelle était en train de prendre un tournant « retour au space-opera et à la hard-science » qui ne m’a jamais enthousiasmé.

Sylvana présente des éléments d’autobiographie ?

Oui, énormément. Je ne vais pas rentrer dans les détails, qui sont d’ordre privé (si je voulais écrire mes mémoires, je ne déguiserais pas la réalité), mais les lieux et la plupart des personnages sont calqués (quoique pas totalement) sur des lieux et personnages existants. J’ai ressorti là-dedans mes vacances d’enfant en Vendée, notamment, et la galère qu’a été mon adolescence (mais, non, surprise, je n’ai jamais connu de vampire).  Cet aspect réaliste m’a permis d’écrire un bouquin très proche de la littérature générale, ce qui correspond chez moi à une envie périodique.

– Et ensuite, il y a-t-il des aspects autobio dans Le Diable à quatre, par exemple, et dans le reste du cycle ?

Non, en aucun cas. Certains lieux sont inspirés de lieux réels, par commodité ou par flemme, mais c’est tout. On peut trouver une exception, L’Esprit du Vin, qui est comme on dit inspiré de faits réels, mais j’ai complètement reconstruit lesdits faits, ne gardant que la situation de départ. En outre, il ne s’agit pas d’autobiographie à proprement parler puisque les événements réels sont arrivés non pas à moi mais à des amis.

– Quand avez-vous su que vous vous engagiez dans une série ?

Au moment de l’écriture du Diable à Quatre. J’avais déjà écrit le recueil qui deviendrait Désirs Cruels et, surtout, jeté les bases du roman Nuées Ardentes, notamment ses personnages. Quand je me suis amusé à en reprendre quelques uns dans Le Diable à Quatre, puis quand j’ai intégré une référence à Nuées Ardentes à la fin de Sylvana, je crois que j’ai commencé à me douter de quelque chose. Les Antipodes a confirmé la tendance, et c’est là, me semble-t-il, que j’ai décidé de tout relier.

– D’où provient ce titre, la Comédie inhumaine ?

C’est bien entendu une référence à La Comédie Humaine de Balzac (en toute humilité). Le titre a été trouvé par le traducteur Jean-Daniel Brèque, il m’a plu, et je l’ai adopté officiellement. Depuis, je me suis rendu compte que c’était vraiment un très bon titre, puisque quelqu’un d’autre s’en était déjà servi également. Ma foi, tant pis.

– La première collection à vous avoir publié était le Fleuve Noir Anticipation, orientée SF, n’y a-t-il pas eu de difficultés à leur faire passer du fantastique ?

Anticipation avait toujours publié un bouquin fantastique de temps en temps. En outre, la direction littéraire venait de changer, et la nouvelle directrice, Nicole Hibert, était fan de fantastique, si bien qu’elle était ravie d’en accueillir dans la collection.

– Pensiez-vous un peu à la défunte collection Angoisse, à l’époque ?

Ça, c’est un de mes regrets. J’étais beaucoup trop jeune pour publier dans Angoisse, alors que cette collection me serait allée comme un gant, je pense. Donc, oui, j’ai dû y penser.

– De même, Désirs cruels est un recueil de nouvelles, chose inconnue en Anticipation, comment cela fut-il accueilli ?

Autant que je me rappelle, il n’y a pas eu de différence notable dans les ventes. Nicole voulait bien publier des recueils de nouvelles mais, principe de la collection oblige, à condition qu’ils soient maquillés en romans par l’adjonction d’un fil conducteur. Mon recueil, qui a ouvert les festivités (avant que Wagner, Dunyach, Ligny… ne s’engagent dans la brèche), était déjà construit sur ce modèle, donc je n’ai même pas eu à le bricoler.

–  Quel fut le parcours éditorial de L’Ogresse ?

Chaotique. Le roman m’avait été commandé par Patrice Duvic pour Pocket Terreur. À l’arrivée, ça ne lui a pas plu, j’ai refusé de retravailler dans le sens qu’on m’indiquait (je refuse toujours ces choses-là) et le bouquin est donc resté un bon moment dans un tiroir. Il a fini par être publié par une petite boîte d’édition, avec qui j’ai eu des mots au point de récupérer mes droits. Ensuite, le bouquin a été repris dans l’intégrale de la Comédie entamée par J’ai Lu, avant de prendre sa place dans celle des Moutons électriques.

– Et l’inspiration de L’Esprit du vin ?

J’y faisais allusion plus haut. Il faut se replacer dans le contexte des années 90 et début 2000, dans lesquelles l’agriculture bio n’avait pas la presse qu’elle a aujourd’hui. Mes voisins, viticulteurs bio pionniers, puisqu’ils ont été les premiers dans le Tarn (ils étaient 7 au moment où j’ai écrit le roman, il y en a aujourd’hui plusieurs dizaines), se trouvaient en butte aux vexations, voire aux persécutions des agriculteurs traditionnels des environs. Les choses n’ont jamais pris un tour aussi tragique que dans mon roman, mais elles sont allées suffisamment loin pour m’inspirer.

– Vous êtes un lecteur de fantastique, par exemple des auteurs belges ? ou de la vague anglo-américaine des années 80 ?

Je déteste cordialement le fantastique belge à la Jean Ray, Thomas Owen, etc. Ça m’ennuie, m’agace, et, aux exceptions près, je n’en vois pas l’intérêt. J’ai horreur du fantastique gratuit, sans logique. Je suis déjà plus client des classiques anglais façon Dracula, et surtout de l’horreur moderne. J’ai besoin de croire à ce que je lis. King, Barker, Grant, Straub, etc. ont des personnages crédibles et un excellent sens du récit, si bien que je reste la plupart du temps un grand amateur de ce genre-là.

– Au moment où sont parus Les Antipodes, vous saviez déjà où vous iriez ensuite avec le cycle ?

Pas vraiment. Je savais vouloir faire se rencontrer la fille du Diable et le fils de Dieu nés à la fin des Antipodes, mais je voulais attendre qu’ils soient assez âgés pour vivre l’histoire d’amour que, grand romantique dans ma jeunesse, je leur imaginais. Par chance, j’ai eu le temps de mûrir un peu avant d’écrire le bouquin en question (L’Œuvre du Diable), si bien que l’histoire a été un peu moins cucul qu’elle n’aurait pu l’être.

– Les textes de la présente intégrale ont-ils été revus ?

Oui, bien sûr. Je revois toujours mes textes avant chaque nouvelle publication. La Comédie Inhumaine sera sans doute désormais l’exception, car il faut savoir s’arrêter. L’Intégrale des Moutons sera donc le texte définitif du cycle. En quoi a consisté le retravail effectué ? Principalement des petites corrections stylistiques, car je suis de plus en plus exigeant (il faut dire que je ne l’étais pas beaucoup au tout début). J’ai aussi, je l’avoue, un peu édulcoré certaines scènes de sexe dans L’Ogresse car, avec l’âge et le recul, j’ai trouvé que j’y étais tout de même allé un peu fort et qu’on pouvait prendre pour une tentative d’érotisme malsain ce qui n’était à mes yeux que descriptions indispensables à l’histoire. Tout bien considéré, j’ai coupé un peu les descriptions, et il en reste largement assez pour qu’on comprenne le propos.

– C’est vraiment fini ?

Je crois, oui. Je referai sans doute des textes qui s’apparenteront au fantastique, mais ce ne sera plus La Comédie Inhumaine. En fait, j’y ai mis un point final en écrivant « Les Fantômes de la Rougemûrière », la courte nouvelle inédite qui ferme l’intégrale et boucle trente ans après la boucle entamée avec « Sylvana. À présent, c’est un tout.

La Comédie inhumaine tome 1ISBN : 978-2-36183-620-7, Broché bord des pages noir, 16.2 × 21 cm, 960 pages

La Comédie inhumaine tome 2ISBN : 978-2-36183-621-4, Broché bord des pages noir, 16.2 × 21 cm, 912 pages

Diffusion-distribution : Media Diffusion / MDS

 

Mini interview : Patrick Marcel

Nous avons eu l’idée  de poser une série de brèves questions à nos auteurs — et d’en distiller les réponses au fil des jours et des semaines.

 – Un livre que vous lisez en ce moment

Pas en ce moment, mais très récemment : The Mermaid and Mrs Hancock, un magnifique roman d’Imogen Hermes Gowar qui raconte la rencontre improbable, dans le Londres du XVIIIe siècle, d’un riche négociant qui croit sa vie faite et d’une courtisane de luxe, autour du corps desséché d’une sirène. Très bien écrit, étonnant et formidablement documenté, c’est un régal dans cette veine de romans actuels dont on ne sait pas bien, à l’achat, s’ils vont être fantastiques ou pas. Une irruption sournoise et délicieuse du genre dans la « littérature générale ».

– Un livre qui a changé votre vie

La Guerre des mondes de H.G. Wells. « Changé », je ne sais pas. Mais « solidifié la décision », c’est certain. À mon souvenir, c’est le premier roman de SF adulte que j’ai lu et quand je l’ai eu fini, je me suis dit qu’il fallait que je trouve davantage de ces romans de science-fiction, parce que c’était vachement bien.

– Un livre que vous auriez aimé écrire

Y en a tant ! J’ai d’abord pensé aux Aventures extraordinaires de Cavalier & Clay de Michael Chabon (ou à son génial Club des policiers yiddish) mais finalement, après mûre réflexion, je pense que ce serait peut-être Jonathan Strange et Mr Norrell de Susanna Clarke, cette étrange uchronie fantastique inversée, inventive et pince-sans-rire, qui ramène dans l’Angleterre pré-romantique et austenienne les elfes et la magie des temps médiévaux. Sinon, Cent ans de solitude pour sa constante avalanche de trouvailles et son mélange inextricable de merveilleux et de quotidien.
Comment ça, « on avait dit un » ?

– Un livre qui a influencé votre propre écriture

« Influencé », je pense que c’était trop tard pour ça et que Greg et Achille Talon avaient déjà apposé leur empreinte fatale. Mais j’ai adoré les traductions faites par Marc Logé sur les contes de Lafcadio Hearn. Traduisant ces contes d’un Anglais exilé au Japon, Logé a employé une langue très élégante, dont il m’a toujours semblé que sa sobriété conservait un peu de la courbure des ivoires précieux.

– Un livre qui a changé votre manière de penser

Peut-être À la recherche du temps perdu. On retrouve au fil de cette œuvre-fleuve tant d’éléments qu’on reconnaît et que l’analyse de Proust fait considérer d’un œil neuf, tant de choses qu’on pensait personnelles et qui apparaissent soudain des éléments communs de l’expérience humaine. Proust prend la réalité, l’examine, la sonde et imprime ses réflexions sur notre vision de la vie.

– Le dernier livre qui vous a fait pleurer

He de John Connelly – une biographie originale de Stan Laurel, contée à travers le flot des souvenirs de l’acteur dans sa villa californienne à la fin de sa vie. Émouvant, notamment par l’évocation du personnage d’Oliver Hardy. Mais je verse souvent aussi ma petite larme sur les livres que je traduis : à force d’aller et de venir dans le livre, on s’attache aux personnages et on a d’eux une sorte de vision d’ensemble qui rend fatidiques et plus émouvants les passages dramatiques.

– Le dernier livre qui vous a fait rire

Le dernier ? Hum, pas facile, je n’ai pas lu beaucoup de livres qui m’aient fait rire, ces derniers temps. Bien que certains aient pu me faire sourire çà et là. Dans le genre, bien que ce ne soit pas son but principal, je pense à The Anomaly de Michael Rutger (pseudonyme de Michael Marshall Smith) où le suspense et la tension généralement sont agrémentée d’une narration caustique qui fait merveille.

– Un livre que vous n’avez pas pu terminer

Drood de Dan Simmons. Le sujet m’intéressait beaucoup, mais j’ai dû m’enliser au bout du premier tiers, à attendre désespérément qu’on quitte l’avalanche de documentation biographique pour arriver à une ébauche d’intrigue consistante.

– Un livre que vous offrez souvent

Offrir, l’occasion se présente peu, mais conseiller, certainement : Neverwhere de Neil Gaiman, une séduisante fantasy urbaine qui joue de façon intrigante et moderne avec le Londres des fictions et des légendes.Et également Replay de Ken Grimwood, un roman de science-fiction que peuvent lire même les gens qui n’aiment pas le genre. Un homme pris dans une série de boucles temporelles qui lui font indéfiniment revivre sa vie. Fascinant, et sans doute l’origine d’Un jour sans fin et de tout un tas de versions dérivées un peu partout.

– Un livre que vous n’avez jamais lu

Ulysse de James Joyce. Ça m’intrigue, mais… Pas encore eu l’occasion d’y toucher. Un jour, peut-être.

– Votre tout premier souvenir de lecture

C’est loin, loin, loin. Si on ne compte pas les histoires de Donald dans Le journal de Mickey que je me faisais relire jusqu’à les savoir par cœur et à pouvoir les reprendre moi-même, sans doute était-ce un grand recueil de contes d’Andersen, illustré par Jean Léon Huens. La Petite marchande d’allumettes m’a effaré, quand je l’ai lu. C’était quoi, cette fin ? C’était… c’était… c’était affreux ! Qu’est-ce que j’étais censé en penser ? Petit traumatisme qui m’a fixé cette lecture en tête.