Mini interview : Mathieu Rivero

Dans le cadre du « Mois de l’imaginaire », nous avons eu l’idée de poser une série de brèves questions à nos auteurs — et d’en distiller les réponses au fil des jours et des semaines.

– Un livre que vous lisez en ce moment

Hum, j’ai pas mal de bouquins en cours. Mais je vais détourner la question pour parler d’un roman que j’ai fini il y a peu : Un Étranger en Olondre, que j’ai beaucoup aimé. L’histoire de Jevick et de son fantôme regorge de moments incroyables, de petites pépites d’analyse sociale, de poésie, de mystère. Cette ode d’amour à la littérature, j’aurais sûrement aimé l’écrire, la traduire, l’éditer, je ne sais pas. Je lui trouve, assez étrangement, un potentiel pour être adaptée sur les planches, malgré sa nonchalance et la discrétion de son rythme.

– Un livre qui a changé votre vie

Sans surprise aucune, je vais mentionner Dune de Frank Herbert. D’une rare puissance, Herbert invente, développe, étend des concepts connus, détourne des coutumes. J’ai lu quelque part que tous les écrivains sont des voleurs : nous dérobons les instants, les pensées, les rêves et les gens, mas il nous appartient aussi de respecter ce que nous prenons — ou même parfois, de choisir de ne pas subtiliser. Herbert s’empare de son matériau avec férocité, le modèle, le met à l’épreuve avec courage. En bref, j’ai lu Herbert à dix ans à la bibliothèque municipale, j’ai adoré.
Je pourrais en citer beaucoup d’autres, car au fond, chaque livre qui m’a touché a fait basculer des petites choses en moi. Je suis la somme de tous ceux pour qui j’ai eu un affect (oui, même ceux que j’ai détesté !).

– Un livre que vous auriez aimé écrire

Je m’admets volontiers admiratif de beaucoup d’œuvres. Je suis fasciné par le savoir-faire des raconteurs, quel que soit leur médium, et je m’extasie souvent sur un dialogue réussi, sur un moment poétique, sur un façonnage particulier de l’intrigue ou un évocation subtile d’un thème. Je pense que les Études sur les ballades de Narayama (souvent appelé Narayama), de Shichirō Fukazawa, m’a pas mal renversé (à l’époque), et le souvenir qui m’en reste est assez impérissable. Je pense que, quelque part, il est responsable d’une part des thématiques de Tout au milieu du monde. Il raconte l’histoire d’une vieille qui se sent devenir fardeau pour son village de montagne, et son ascension de la montagne jusqu’au « vallon des vieux » où les personnes âgées se laissent mourir. Pas fun du tout. Mais qu’est-ce que c’est cathartique, bordel.

– Un livre qui a influencé votre propre écriture

Comme dit plus haut, je suis myriade. Je pense que Mister Norrell et Jonathan Strange, et sa façon voluptueuse de s’étendre, de faire ressentir le flegme anglais de l’époque, sa façon subtile de casser le quatrième mur, a fait un petit quelque chose pour moi. J’aimerais lire plus de choses de Susanna Clarke. Les deux personnages (le maître théoricien et le cancre créatif), leur lutte pour restaurer la magie anglaise, m’ont certes distrait le temps des nombreuses pages de ce pavé, mais surtout, j’ai appris le sens de l’humour dans la narration. Plus subtil et moins déjanté que Pratchett, certes, mais mieux dosé à mon sens !

– Un livre qui a changé votre manière de penser

Ado, je lisais comme un ogre. Je dévorais, au rythme minimum de cent pages par heure, sans compter. Je défonçais les rayonnages de la bibliothèque municipale. Et puis une de mes tantes (merci !) m’a filé Le Loup Bleu de Yasushi Inoué. L’histoire de Gengis Khan. Je l’ai lu pendant un séjour dans une gare en pleine canicule (les trains cessaient de fonctionner, tellement il faisait chaud !) et donc, j’ai mis six heures à siroter les maigres deux cent pages de ce roman. J’avais conscience d’avoir entre les mains quelque chose de précieux. Il fallait profiter de chaque mot, et de chaque mot entre les mots.

– Le dernier livre qui vous a fait pleurer

Je suis peu émotif, de l’extérieur (au ciné, en lisant, à un concert). Je reçois l’œuvre de plein fouet pour la réfléchir ensuite : je me gorge de tout. Et du coup, je suis triste (ou heureux) après coup. Le dernier livre qui m’a fait pleurer de l’intérieur m’a en fait fait pleurer de rage. Le bouquin avait ses qualités, l’écrivain avait son style et son bagou, mais je ne pouvais pas adhérer aux idées véhiculées par le narrateur et l’auteur, nauséabondes à souhait. Comme c’est un confrère du paysage imaginaire francophone encore vivant et encore en activité, je tairai le nom du roman. Lectrices et lecteurs, j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur.
(Après secrètement je suis madeleine ascendant fleur bleue. Mais chut, ça ne se voit pas.)

– Le dernier livre qui vous a fait rire

Instant d’autopromo éhontée : celui que Julien Bétan, Melchior Ascaride et moi-même sommes en train de composer/finir, et qui devrait s’appeler Ce qui vient la nuit. Julien sait me provoquer et me faire ricaner bêtement. (Melchior aussi, mais il dessine des trucs sérieux.)
Autrement, Ariel Holzl avec Les Sœurs Carmine. J’attends un poil de disponibilité de cerveau pour engloutir le tome trois, Dolorine à l’école, mais il me tarde ! Que c’est fun, mes aïeux !

– Un livre que vous n’avez pas pu terminer

Le livre dont je n’ai pas apprécié l’idéologie ci-dessus. Sinon, Terre des Oublis de Dong Thu Huong. Une histoire de retour de soldat oublié, de petit village reculé. Jamais compris pourquoi ça faisait un tabac quand c’est sorti ; ça m’a ennuyé, question histoire, style, thèmes.

– Un livre que vous offrez souvent

Aucune idée ! Dès que j’aime un bouquin, je le prête, je le donne à qui je pense que ça peut plaire. Je ne suis pas très fétichiste de ma bibliothèque, sauf pour des ouvrages particuliers que j’ai envie de garder parce qu’ils ont une place particulière dans ma vie ou dans mon cœur. Du coup, presque toute ma bibliothèque peut tourner.

– Un livre que vous n’avez jamais lu

Trop. Et j’ai le défaut d’être curieux. Je suis aventurier en ce qui concerne les genres, les auteurs et autrices, et c’est pour ça que je n’aime pas particulièrement les séries au long cours : j’ai tendance à préférer les livres qui vont d’un seul tenant, qui proposent une expérience qui leur est propre. Ça me frustre profondément de ne pas pouvoir tout faire à la fois, mais je me suis fait une raison : ma culture brillera par ses lacunes ou ne brillera pas!

– Votre tout premier souvenir de lecture

J’ai appris à lire en compagnie de mon grand-père, très tôt. Je faisais semblant de lire son journal, et à un moment, j’ai su. Le goût des histoires est venu peu après. C’est un super souvenir de complicité, très cher à mon cœur.