L’œillet vert

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre…

Les Moutons électriques qui publient de, de… de la littérature générale ? Mais comment est-ce possible ?! Eh bien, dans le cadre de la collection « Rayon vert » j’aime publier des vieux textes, des textes singuliers et oubliés — et si les deux volumes du Zigomar de Léon Sazie, roman-feuilleton policier précurseur de Fantômas, si inscrivent naturellement, mon goût pour l’univers victorien et la chose anglaise ne cesse de me pousser à farfouiller dans les textes de cette période… Et s’il est une personnalité devenue mythique qui m’attire par-dessus tout, c’est bien entendu Oscar Wilde. J’ai déjà publié en « Rayon vert » deux comédies : Le Grand hôtel Babylon et Le Trésor du Faucon, et n’entendant pas m’interdire quoi que ce soit, il m’a semblé logique de proposer cette autre comédie, non policière cette fois : L’Œillet vert. Les Moutons électriques aiment les limites, les frontières des genres, et l’on ne saurait être plus dans les limites qu’ici… En plein dans le souffre et les scandales que ce que l’on a nommé les Yellow Nineties, ces années 1890 qui virent l’ascension puis la chute du grand Oscar Wilde. Le tout sous la plume d’un auteur, Robert S. Hichens, plutôt renommé pour ses nouvelles de fantastique… c’était pour nous, vous dis-je !

Il y a quelques années, j’avais lu une biographie saisissante : The Secret Life of Oscar Wilde, par Neil McKenna (non traduite). Jamais auparavant, sans doute, la société n’aurait-elle permis que l’on écrive une bio aussi… complète, aussi crue : le portrait de Wilde brossé là incluait très largement son homosexualité, ses outrances, son goût du danger… Et c’est en ces pages fascinantes que j’avais appris qu’à l’époque, Wilde avait lancé une mode de l’œillet vert porté à la boutonnière : trempée dans de l’encre, la fleur  buvait l’encre bleue jusqu’à se teinter en vert, et cet œillet non naturel devenait ainsi le symbole des gays de la bonne société, un signe d’appartenance à cette portion alors interdite des citoyens. Et j’avais appris, également, qu’une connaissance de Wilde, Robert S. Hichens, resté lui « dans le placard », avait eu la perfidie de publier un roman à clef aussi acide qu’hilarant, où il parodiait le grand homme et ses relations mondaines, lord Alfred en particulier. Ce roman n’avait alors jamais été réédité, mais on le trouvait d’occasion dans son unique réédition de 1949. Je résolus donc de faire paraître en français ce court texte, si incroyable, si drôle, si éclairant sur Wilde ! Et le voici, quelques années plus tard.