Mai 2013

Tenter d’arracher le lecteur aux petits soucis quotidiens, aux préoccupations constantes qu’entraîne toujours la vie moderne… Lui ouvrir toutes grandes les fenêtres sur la magie de l’aventure, les champs immenses du romanesque… L’entraîner loin de sa routine, de son labeur de tous les jours, pour lui faire vivre en des décors divers — étonnants, curieux, étranges… des péripéties captivantes… Le promener en guide disert par des pays et des époques où son esprit rêva parfois de vagabonder à sa guise, l’initier aux mœurs pittoresques de milieux inattendus… Le faire vibrer à l’unisson de scènes poignantes ou passionnées. Tel est le rôle que se propose de jouer le Rayon vert, notre nouvelle collection, qui permettra aux lecteurs de redécouvrir toute l’immense richesse de la littérature populaire.

En commençant par un roman policier dont la dernière édition remonte à 1919 : L’Inconnu de Belleville, par Pierre Zaccone, écrivain aujourd’hui bien oublié, mais qui fut à l’instar de Gaboriau, son contemporain, l’un des grands noms du feuilleton populaire. Toute la verve et les rebondissements macabres du polar naissant s’épanouissent ici, dans un roman dont l’intérêt est loin d’être seulement documentaire : notre Rayon vert publiera uniquement des textes appréciables (aussi) au premier degré, bien sûr. Et Zaccone est un sacré raconteur !

Suivront, d’ici septembre prochain, un recueil de trois romans d’anticipation de René Thévenin, Les Chasseurs d’hommes et autres récits conjecturaux (stocks en arrivage au courant du mois de mai), un gros volume réunissant pour la première fois en français la trilogie ruritanienne d’Anthony Hope, puis une anthologie de récits fantastiques du « Maupassant russe », Alexandre Kouprine.

Toujours dans cet esprit de sauvegarde et de mise en valeur de notre patrimoine littéraire, nous avons le plaisir et la fierté de publier, plus de trente ans après sa première édition et dans une version enfin bouclée, le roman de Michel Jeury, Les Îles de la Lune. Achevant une carrière aussi fournie que renommée, Jeury se retourne ici sur le passé de la science-fiction et mêle en un seul récit la spéculation sociétale la plus pertinente, un grand souffle poétique et un hommage à l’un des maîtres du genre, Clifford Simak. Le texte de ce roman de 1979 a été retouché par l’auteur, prolongé d’une nouvelle partie ainsi que d’un épilogue. Un chant du cygne de toute beauté.

Par ailleurs, signalons que le volume réunissant les trois romans, policiers et médiévaux, de La Geste de Lyon de Nicolas Le Breton, risque fort d’être victime de son succès, il est donc prudent de le commander sans trop tarder !

Agenda ovin

Les Moutons électriques, depuis leur association au sein du collectif des Indés de l’Imaginaire, commencent à faire plein de salons. Au point qu’un petit agenda devient nécessaire… Nous serons donc ici et là, au fil des mois :

18 mai : dédicace d’André-François Ruaud, à la librairie L’Antre-monde, 142 rue du Chemin Vert, Paris 11e.

18 au 20 mai : Étonnants Voyageurs à Saint-Malo. Nous aurons un stand avec les Indés.

23 au 26 mai : Les Imaginales à Épinal. Un événement incontournable pour les amateurs d’imaginaire… et la présence de tous les éditeurs des trois maisons des Indés, qui donneront un pot de l’amitié, le vendredi midi. Avec Étienne Barillier, Fabrice Colin, Estelle Faye, Johan Heliot, Jean-Philippe Jaworski, Xavier Mauméjean, Arthur Morgan…

25 et 26 mai : Geekopolis à Paris Est Montreuil. Nous aurons un stand avec nos copains des Indés. Signature d’Alex Nikolavitch le 26.

31 mai au 2 juin : Nous aurons un stand à la 1ère édition du festival Atlantide à Nantes, avec les Indés.

6 et 7 juin : Lyon, colloque « Psychogéographies, poétiques de l’exploration urbaine :
sources, figures, actualité », Université Jean Moulin – Lyon 3, avec intervention d’André-François Ruaud sur Londres.

8 et 9 juin : La Comédie du livre à Montpellier. Pas de stand spécifique aux Indés mais un grand espace « imaginaire », Estelle Faye en dédicace et présence de tous les éditeurs des trois maisons des Indés, avec conférence à la clef.

22 juin : Lyon, la garden party steampunk des Indés, lieu à confirmer.

29 et 30 juin : Bloody Week-end à Audincourt (Espace Japy – La Filature), en présence de Julien Bétan.

3 et 4 août : André-François Ruaud en signature au salon Voyages de Mortagne-s/Gironde.

22 au 25 août : 40e convention nationale de science-fiction à Aubenas. André-François Ruaud est invité et les Indés auront un stand, bien sûr. Table ronde « Les Moutons électriques : 10 ans ! Fiction : 60 ans ! ».

7 septembre : signature de Jean-Philippe Jaworski, à la libraire l’Antre-monde à Paris.

28 septembre : journée Roland C. Wagner, au Petit-Clamart.

4 au 6 octobre : OctoGônes 4 à Villeurbanne. Stand des Indés.

25 octobre : c’est le dixième anniversaire des Moutons ! Toute la journée à la librairie L’Esprit-Livre (rue du Dauphiné, Lyon 3e), avec Raphaël Colson, Johan Heliot et Jean-Philippe Jaworski.

26 au 31 octobre : 2e édition du Festival de science fiction de Lyon. Avec prolongement du dixième anniversaire des Moutons, le dimanche, et Estelle Faye est invitée en plus. Stand des Indés.

Certainement un salon à Mulhouse, 9 et 10 novembre ; Fantasy en Beaujolais le 16 et 17 novembre ; et salon du jeu, à Toulouse, 30 novembre et 1er décdembre.

7 décembre : Les Rencontres de l’Imaginaire de Sèvres. André-François Ruaud est invité.

Rayon vert, toujours

Pour parodier le texte de présentation d’une collection d’autrefois, affirmons que notre nouvelle collection, le Rayon vert, c’est…

« Tenter d’arracher le lecteur aux petits soucis quotidiens, aux préoccupations constantes qu’entraîne toujours la vie moderne… Lui ouvrir toutes grandes les fenêtres sur la magie de l’aventure, les champs immenses du romanesque… L’entraîner loin de sa routine, de son labeur de tous les jours, pour lui faire vivre en des décors divers — étonnants, curieux, étranges… des péripéties captivantes… Le promener en guide disert par des pays et des époques où son esprit rêva parfois de vagabonder à sa guise, l’initier aux mœurs pittoresques de milieux inattendus… Le faire vibrer à l’unisson de scènes poignantes ou passionnées.

Tel est le rôle que se propose de poursuivre notre collection, qui permettra aux lecteurs de redécouvrir toute l’immense richesse de la littérature populaire. »

Beaumarchais et la loi scélérate du 1er mars 2012

Une note de Jean-Philippe Jawkorski :

De l’écrivain plumé sous l’Ancien Régime

Des siècles durant, les écrivains furent dépendants. Économiquement dépendants : jusqu’à la Révolution française, le droit d’auteur n’existant point, un homme de lettres ne pouvait quasiment pas vivre de sa plume. En règle générale, l’écrivain vendait ses manuscrits au forfait à un libraire-imprimeur, ce corps de métier ayant, à l’époque, le monopole de la diffusion. Une fois l’œuvre publiée, n’importe quel libraire pouvait la reprendre, la réimprimer et la vendre sans reverser un sou à l’auteur. Les troupes de théâtre reversaient théoriquement des droits aux dramaturges, mais les spoliaient dans les faits. Au XVIIIe siècle, la Comédie française avait ainsi des privilèges exorbitants. D’une part, elle exerçait un monopole : toute pièce en vers devait lui être proposée ; de plus, elle récupérait la propriété d’une pièce de théâtre qu’elle représentait si les recettes baissaient en-dessous d’un montant de 800 livres l’été etde 1200 livres l’hiver. Il suffisait de ne pas communiquer le montant des recettes à un dramaturge pour l’escroquer, en prétendant que les recettes avaient été mauvaises : non seulement sa pièce ne lui rapportait presque rien, mais il perdait la propriété de son œuvre.

L’absence de droit d’auteur induisait donc, sous l’Ancien Régime, des effets pervers. On ne pouvait écrire librement (et je laisse de côté le problème de la Librairie royale, c’est-à-dire de la censure) qu’à deux conditions : soit si l’on était riche, soit si l’on était disposé à crever de faim. Parmi les chanceux, citons Montaigne et Montesquieu, tous deux gentilshommes et magistrats, ou Pascal et Voltaire, tous deux riches héritiers. Parmi les gueux, citons Diderot et Rousseau. Jean-Jacques Rousseau, auteur de best-sellers européens, était réduit à copier des partitions de musique pour vivre très chichement. Quant à Diderot, il exerça divers petits métiers (dont rédacteur de sermons, ce qui est très cocasse de la part d’un écrivain anticlérical) et vécut quelques années dans une grande obscurité, avant d’être finalement protégé par l’impératrice Catherine II deRussie.

Car c’est là le pire danger de la carence du droit d’auteur : faute de revenus réguliers,l’artiste va souvent chercher des mécènes. Ainsi verra-t-on Molière faire sa cour au prince de Conti, à Monsieur et enfin à Louis XIV. Il va sans dire qu’un écrivain qui bénéficie ainsi de la protection d’un puissant n’est plus indépendant, ni financièrement, ni littérairement. Denis Diderot nous en donne l’illustration. De son vivant, il ne publia pas certaines de ses œuvres, par crainte de la police royale et de la prison ; comme Catherine II de Russie, pour lui donner les moyens de vivre, avait acheté sa bibliothèque en viager, après la mort du philosophe, tous les manuscrits de Diderot partirent dans la bibliothèque des Romanov. Or ceci rendit l’accès aux inédits particulièrement difficile, et certains textes de Diderot ne parurent qu’au XIXe siècle.

Beaumarchais et le droit d’auteur

Là-dessus, à la fin du XVIIIsiècle, arrive Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais. En 1775, la Comédie française, usant du stratagème évoqué plus haut, essaie de lui barboter la propriété du Barbier de Séville après lui avoir versé des dividendes médiocres. Mais M. de Beaumarchais n’est pas seulement un brillant auteur de comédie : c’est surtout un homme d’affaires. Le procédé le scandalise. Il proteste, mène campagne de presse et fonde la Société des Auteurs dramatiques en 1777. Cette société rassemble une vingtaine d’auteurs de théâtre dont les œuvres ont été monopolisées par la Comédie française, dans le but de récupérer des droits sur leurs pièces. L’affaire, portée devant le Conseil d’État en 1780, donne raison à la Société des Auteurs dramatiques. C’est l’apparition du droit d’auteur, même s’il ne s’applique à l’époque qu’à un champ d’application très réduit. Le principe est néanmoins posé : les auteurs dramatiques conservent la propriété de leur œuvre, que la Comédie française ne peut confisquer, et ils doivent en conséquence percevoir des droits sur l’exploitation de leurs pièces, quel que soit le montant des recettes.

Ce principe sera étendu à l’ensemble des œuvres au cours de la Révolution française. Les lois de 1791 et surtout de 1793 accordent à tous les auteurs le droit exclusif d’autoriser la reproduction de leurs œuvres. C’est, à proprement parler, la naissance de la propriété intellectuelle.

Grâce à ce droit, la littérature française sera florissante au XIXe et au XXesiècles. Des jeunes gens issus de milieux ruinés (comme Victor Hugo ou Guy de Maupassant) pourront mener des carrières purement littéraires grâce aux revenus rapportés par leurs droits. Je ne ne veux pas dire que sans le droit d’auteur, ces écrivains n’auraient pas écrit ; mais il y a fort à parier qu’ils auraient moins produit. Tant que Maupassant est fonctionnaire dans différents ministères, il écrit très peu. C’est à partir du moment où il démissionne parce que sa plume lui apporte un revenu suffisant qu’il devient un écrivain prolifique. Et il est loin d’être un cas isolé. Le droit d’auteur, en protégeant la propriété intellectuelle, a donc contribué assez largement à l’épanouissement culturel français.

De l’écrivain plumé au XXIe siècle : la loi du 1ermars 2012

Arrive, au XXIe siècle, la difficile problématique de l’adaptation de l’édition au numérique. Les éditeurs peinent à s’adapter tandis que certaines grosses multinationales, comme Google pour ne pas la citer, numérisent à tout va et entrent en conflit avec les gouvernements dont les législations sont violées.

Là-dessus, le gouvernement Fillon fait voter en catimini une loi qui ouvre une brèche substantielle dans le droit d’auteur : la LOI n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle: http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.docidTexte=JORFTEXT000025422700

Il s’agit d’une loi qui autorise la BnF à numériser et à diffuser en libre accès tous les livres du XXe siècle dits indisponibles. Ou bien, dans des conditions un peu obscures, à recommercialiser ces œuvres en se passant de l’accord de l’auteur. Vous allez me dire : c’est très bien, c’est un vrai service public. Certes. Mais c’est oublier un peu vite les auteurs…

Un auteur vit de ses livres. Un livre est un produit à revenu différé : ce n’est pas parce qu’il est indisponible aujourd’hui qu’il ne sera pas commercialisé à nouveau demain. Il arrive, plus fréquemment qu’on ne croit, que le livre n’est plus commercialisé parce que l’éditeur choisit de ne plus faire un nouveau tirage. Dans ce cas, tout contrat d’édition stipule qu’au bout d’un délai donné, l’auteur récupère ses droits sur l’œuvre et peut les renégocier avec un autre éditeur pour une nouvelle diffusion. Si, entre temps, le livre est numérisé et diffusé librement, vous imaginez bien que l’auteur peut dire adieu à tout espoir d’en tirer un nouveau contrat.

Certes, la loi donne un droit d’opposition aux auteurs. Mais il est très restrictif. D’abord, l’auteur n’est pas officiellement averti que son livre va être numérisé. C’est à lui de se renseigner, sur le Registre de la BnF (http://relire.bnf.fr). De plus, il n’a que six mois pour faire opposition. Après, bernique ! Tant pis pour lui. De plus, s’il fait opposition, il doit faire la preuve, par courrier et non par e-mail, qu’il est bien l’auteur de son propre livre, à l’aide d’une déclaration sur l’honneur assortie d’une photocopie d’une pièce d’identité. En plus, il ne peut pas faire opposition globalement à tous les projets de numérisation de ses livres : il doit refaire la même démarche pour chacun des titres que la BNF lui barbote. (Et certains des auteurs concernés ont des dizaines de titres confisqués.)

C’est purement et simplement un premier coup porté au droit d’auteur. L’écrivain, de son vivant, n’est plus maître de son œuvre, sauf vigilance exacerbée. Plus douteux encore : les droits de ses titres confisqués et numérisés se retrouvent d’office gérés par une mystérieuse « société de perception et de répartition des droits » (a priori, la SOFIA), qui a le droit de les commercialiser, moyennant une rétribution à l’auteur. Or l’auteur n’aura signé aucun contrat avec cette société. Il n’aura pas décidé de lui céder un droit de diffusion, on aura décidé pour lui. Pis encore : qu’en sera-t-il de la négociation sur les droits ? De la transparence des comptes ?

En fait, la loi du 1er mars 2012 recrée ce que l’Assemblée Constituante avait aboli sous la Révolution : un monopole sur l’exploitation des œuvres numérisées, comparable au monopole qu’exerçait la Comédie française sur les œuvres en vers sous l’Ancien régime ! Nous voici revenus trois siècles en arrière. Pour être écrivain, il faut à nouveau être héritier, vendu ou crève-la-faim.

Vive la République ! Vive M. de Beaumarchais !