La Comédie inhumaine

Pour onze jours encore, une ambitieuse souscription est ouverte, ayant pour objet la publication par nos soins d’une éditions intégrale et définitive du cycle de la « Comédie inhumaine » par Michel Pagel, en huit volumes luxes à tirage limité. Alors, en guise de « mot de l’éditeur », en fait un « mot du graphiste » pour changer un peu…

Lorsque les Moutons électriques m’ont proposé de travailler sur « La Comédie inhumaine », j’ai ouvert grand mes oreilles. Je ne connaissais pas cette grande saga, je l’avoue, et venais de découvrir les écrits de Michel Pagel qui, avec un court roman, m’avait complètement séduit. Puis sont arrivés à mes oreilles des sons bien doux tels que « Diable », « démons », « fantastique infernal »… Du miel pour le passionné du sujet que je suis. Je le confesse, intérieurement j’ai dansé une gigue joyeuse.

Le défi était de taille : huit volumes d’une édition de luxe ! Il fallait trouver un principe graphique aisément déclinable, classieux et surtout, j’y tenais, loin des atmosphères visuelles surchargées que l’on peut trouver lorsque l’on traite du sujet. Mais chaque chose en son temps, il me fallait commencer par le début, l’amorce inévitable de toute création de couverture : lire lesdits ouvrages. Pour y trouver l’inspiration nécessaire et aussi (ou surtout ?) pour l’immense plaisir de lire cette œuvre colossale.

Au départ, j’avais une idée en tête : des couvertures entièrement noires, avec de légères nuances grises. Des têtes de diables, des ronces, des figures grimaçantes, une typo gothique… Y aller à fond, comme Michel Pagel le faisait dans ses textes ! Le constat était sans appel, ça ne fonctionnait pas. Classique, ennuyeux, je n’arrivais pas à me convaincre moi-même. Rehausser le tout avec de l’or peut-être ? Noir et or, un effet de cuir sur les couvertures, ça marche toujours. Oui c’est bien joli tout cela, mais on l’a vu cent fois, mille fois… Ce n’est pas ce que l’on voulait pour cette prestigieuse réédition. Non, ce qu’il fallait, c’était ni plus ni moins que de dépoussiérer l’Enfer ! Tout en respectant certains codes. Mais lesquels ?

C’est là que tout s’est enchaîné, à tel point que je me demande encore si Lucifer lui-même ne m’a pas soufflé quelque idée. Il fallait un pentacle inversé. C’était obligatoire, on ne transige pas avec certains éléments. Un grand pentacle, qui déborderait de la page et irait même courir jusque sur la quatrième. L’avantage de cette étoile, c’est qu’en plus de respecter le genre, elle offre des lignes de construction formidables. Cela prenait forme. Il fallait choisir un caractère pour la titraille. Exit les gothiques, les polices qui coulent, les effets « grunge »… non il fallait du sobre, du chic, quelque chose d’indémodable. Une fonte lisible en petit, car je ne voulais pas que les titres de chaque volume soient trop imposants. Quelques essais de placement plus tard, tout était posé : le nom de l’auteur, de la saga et du volume suivraient les lignes du pentacle. Ça marchait, j’avançais. Le choix des couleurs a suivi, tout seul, comme évident. On laisse tomber le noir intégral, le doré et on opte pour un trio qui ne fera jamais défaut : du rouge, du blanc et du noir. Élégant on a dit.

Ne restait que l’étape finale, le visuel propre à chaque tome. Une petite illustration, au centre de chaque volume. Toutes viennent de la lecture de chaque récit, et m’ont toutes parues comme l’évidence même. Oui, presque comme si j’avais été possédé.

Et voilà, les huit couvertures étaient prêtes et n’attendaient plus que de rejoindre les étagères des lecteurs.

Vous y croyez à tout cela ? On dirait du vrai n’est-ce pas ? Le hic c’est que rien de tout cela n’est arrivé. La vérité c’est que j’ai bel et bien été bouclé dans une cave humide et froide, à peine éclairée par des bougies écarlates dont je vous épargnerai la véritable composition. Que durant toute la durée du travail, je n’ai pas bougé de ma chaise de fer, devant supporter le souffle méphitique de Belphégor sur ma nuque. Que pour l’inspiration, j’ai abandonné ma santé mentale dans les pages des pires tomes de démonologie et mon âme dans les griffes d’un être cornu.

Mais quand je vois l’édition que Les Moutons électriques vous proposent, je me dis qu’elle en vaut chaque tourment.

Infernalement vôtre,

Melchior Ascaride

Poupée aux yeux morts

Quand était-ce ? En 1986, peut-être courant 1985, je ne sais plus. Roland C. Wagner s’était lancé dans la rédaction d’une œuvre majeure, ambitieuse : ce qui devait finalement sortir sous la forme d’une trilogie, du titre de Poupée aux yeux morts. À l’époque, jeune étudiant, je bénéficiais encore de la gratuité SNCF de mon paternel cheminot et en profitais donc pour monter continuellement en région parisienne, squatter chez Pagel ou chez Wagner. Ce dernier habitait alors au rez-de-chaussée d’une grande maison bourgeoise à Garches, dont l’étage était occupé par la vieille propriétaire, une dame sourde comme un pot et que je n’ai jamais aperçue : sa présence ne m’était connue que par les hurlements de son téléviseur. Roland et sa compagne Cathy vivaient là dans trois pièces, et Roland écrivait, écrivait, écrivait. C’était avant les ordis personnels, mon copain l’écrivain tapait sur sa machine à écrire et comme j’étais présent, il me faisait lire des paquets de feuilles, au fur et à mesure ou presque. Tout de suite, je me suis passionné pour l’énorme roman qu’il entreprenait, à l’excitante ambition et aux thématiques intrigantes pour les unes, hilarantes pour les autres (les extraterrestres « salvoïdes » étant calqués sur un de ses meilleurs amis, que je connaissais bien sûr). Ça partait formidablement bien et j’étais fier de mon pote, je voyais naître une œuvre visiblement importante, c’était enthousiasmant — assez flatteur aussi, car Roland écoutait mes quelques remarques, et ainsi glissa-t-il quelque part une allusion à une extraterrestre aux yeux d’or, parce que je venais de lui faire lire une superbe nouvelle de Victor Hugo. Il m’écouta également lorsque, soudain, il partit sur une tangente narrative, un aparté qui s’avéra finalement trop long sur le quotidien d’une femme en gris… Passionné par le portrait de Paris qu’il brossait, Roland s’était laissé emporter, avait bifurqué trop longuement, ce que je lui dis. Et l’animal jeta tout le passage — combien j’ai regretté depuis de ne pas avoir gardé ces quelques feuillets, bon sang, c’était certes hors sujet mais d’une si belle atmosphère !

Longtemps après, et alors que la vie nous avait un peu séparés, Roland me téléphona pour me demander de publier une version luxe limitée de Poupée : il savait bien combien cette trilogie me tenait à cœur ! Et puis, c’était l’occasion de renouer nos liens, et ça, ça me fit également très chaud au cœur. Alors Roland entreprit de retravailler le tout, nous étions en 2008 : il voulait une version définitive. C’est ce texte-là, complet, intégral, que j’ai l’honneur de rééditer en format de poche en février, dans la collection « Hélios ». Les stocks viennent d’arriver et je suis ému.

374

Zigomar

C’était il y a trois ans et quelques : un mail arrive dans la boîte générale, où une personne inconnue nous suggère de faire une réédition de « Zigomar », le personnage autrefois si célèbre et aujourd’hui tombé dans l’oubli de Léon Sazie. Un anti-héros si populaire que son nom était passé dans le vocabulaire ! Tout de suite, cette idée m’attira. Fan des Habits noirs, de Rocambole, de Lupin et de Fantômas, j’avais de longue date eu envie de lire ce fameux Zigomar, sans jamais en trouver le moindre fascicule. Au monsieur qui nous faisait cette proposition, un certain Denis Balzan, je demandais donc de pouvoir lire au préalable un peu de ces textes. Denis ne me répond pas tout de suite, finalement me fait parvenir l’équivalent du premier fascicule, et je suis séduit : je lui donne mon accord pour qu’il poursuive. Mais tout de même, sous réserve que tout cela nous plaise. Denis travaille donc plus d’une année, lentement, à son rythme, sur la restauration patiente des textes, sur la base de scans des premiers fascicules : il faut remonter les lignes, supprimer les points de suspension qui surabondent, essayer de repérer toutes les fautes d’orthographe, très nombreuses aussi, tout remettre au propre… Il nous envoie enfin un long fichier, Julien Bétan et moi-même le lisons, trouvons ça excellent — mais pourrions-nous savoir où va l’histoire, tout de même, SVP ? Et Denis de nous compiler un long résumé de la série. Cette fois c’est bon : feu vert complet, je lui signe son contrat et le lui paye d’avance, vu le temps déjà passé sur Zigomar. Et la restauration reprend, toujours lente, jusqu’à ce qu’après trois années de « zigomarisation », Denis Balzan nous livre ce qui était prévu. Plus long que nous le pensions : qu’à cela tienne, nous ferons deux volumes, coup sur coup ! Et donc, en janvier et février 2016, soudain : z’à la vie, z’à la mort ! Et les premières chroniques, les premiers avis de lecture, sont formidablement positifs, enthousiastes : c’est que c’est vraiment du nec-plus-ultra de roman-feuilleton, Zigomar !

Kallocaïne

Ce n’est pas un « mot de l’éditeur », mais cette fois un « mot du traducteur » : Leo Dhayer raconte sa relation avec la dystopie de Karin Boye et comment il en est venu à apprendre le suédois pour pouvoir la traduire : http://laurentqueyssi.fr/…/genese-kallocaine-de-karin-boye…/

 » En définitive, la genèse de ce projet se résume à peu de choses. Pourquoi retraduire Kallocaïne ? Pour donner à ce roman cruel et prophétique la chance d’être lu au XXIe siècle comme l’un des jalons essentiels de la dystopie, injustement méconnu, qu’il demeure. Et pourquoi le lire ? Pour la bonne et simple raison que c’est un putain de chef-d’œuvre, le genre de livre qui vous happe, qui subtilement vous change, et qui ne vous lâche plus. »