Février 2021

Tandis que nous rédigeons ce mot mensuel, nous cherchons à quel saint allumer des cierges afin de prier pour que les librairies restent ouvertes, mais la vie continue, avec des parutions importantes à annoncer !

Tout d’abord, un vieux rêve, comme le Boss ovin l’a expliqué dans un récent « mot de l’éditeur » (sur notre blog) : la publication en deux pavés souples et colorés de l’intégrale du cycle Tyranaël d’Élisabeth Vonarburg (dans le même format que les deux Comédie inhumaine de Michel Pagel parues il y a un an). Il s’agit, selon nous, d’une œuvre majeure de la science-fiction francophone : cinq romans parus uniquement au Québec, auxquels nous ajoutons un recueil de contes de ce monde. Une fresque inégalée sur l’installation d’une colonie sur une exoplanète, et la manière dont une civilisation humaine parviendra à s’instaurer en dépit d’un drame cyclique.

Un autre événement éditorial, c’est chaque mois de février les « pépites de l’imaginaire » que nous conduisons avec nos amis des Indés de l’imaginaire, Actusf et Mnémos : la découverte d’un premier ou deuxième roman, de nouvelles plumes francophones de qualité à vous proposer. Cette fois, nous vous proposons La Descente ou la Chute, une post-fantasy lyrique et humaniste signée Basile Cendre, à la croisée entre Ursula Le Guin et Robert Holdstock. Un roman qui renoue dans des décors de fin de monde avec la magie du merveilleux ; un roman où la poésie surgit des carcasses de rouilles et de chair, avec un fort pouvoir évocateur.

Février, ce sont également deux poches sous le label Hélios : d’abord, Les Dévastés de JJ Amaworo Wilson, le furieux premier roman d’un écrivain nigérian-britannique, inspiré de l’histoire d’un squat vertical de Caracas, au Vénézuela. « Fantasy et fiction sociale, western et roman post apocalyptique : autant de genres que J.J Amaworo Wilson renouvelle dans ce qui se lit comme un hommage aux marginaux. » (Le Monde) Il a été récompensé par de nombreux prix littéraires et distingué par la Hurston/Wright Foundation Legacy.

Et puis un phénomène : Arsène Lupin est une des plus grandes figures de la culture populaire et son seul nom est synonyme de « gentleman-cambrioleur ». La série Lupin avec Omar Sy sur Netflix explose et l’intérêt pour la figure d’Arsène Lupin redécolle en flèche : et si vous découvriez tout de la vie tumultueuse du fameux gentleman-cambrioleur ? Nous remettons en avant Arsène Lupin, une vie d’André-François Ruaud, la référence.

De la suite dans les idées

De mon point de vue, être éditeur c’est notamment un « jeu » sur le long terme : une construction de longue haleine, pas des stratégies et des réactions seulement dictées par une actualité ou un contexte ponctuel, mais véritablement des envies et des idées à conduire sur plusieurs décennies. Des œuvres et, plus globalement, des réflexions sur la « chose littéraire », qui me travaillent personnellement depuis longtemps et auxquelles je veux donner corps.

Cette année en particulier, je devrais (touchons du bois) avoir la satisfaction en tant qu’éditeur et en tant que lecteur de réaliser toute une série de souhaits anciens. Ces vœux de longue date, ils prennent l’aspect de la publication d’un certain nombre de romans que j’admirais et avais envie d’éditer depuis un bail. Ah bien sûr, ça ne marche pas toujours : si je vous disais par exemple que deux des romans que j’avais envie de publier depuis des lustres parurent finalement… chez d’autres éditeurs ? Ce fut le cas du toujours trop méconnu Arslan de M. J. Engh, chef-d’œuvre brutal et sidérant traduit chez Denoël il y a quelques années ; et du « culte » Mermère d’Hugo Verlomme, réédité il y a peu par nos amis d’ActuSF, que j’ai donc copieusement maudits.

Enfin, vient de partir chez l’imprimeur La Ville peu de temps après de l’autrice californienne Pat Murphy, un roman que j’admire depuis sa parution d’origine et dont j’avais acheté un exemplaire chez un libraire bordelais chez qui j’avais été stagiaire — je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans etc. Je l’ai lu et relu et rerelu, ce roman, cette belle utopie si originale qu’elle tient à la fois de la SF post-apo et du réalisme magique, et dont le traducteur Patrick Marcel me disait que la fin lui avait même tiré une petite larme.

Un peu avant, paraît en deux pavés souples et colorés le cycle de Tyranaël par Élisabeth Vonarburg : nos amis de chez Mnémos publient d’autres œuvres de cette immense autrice, mais je tenais absolument à « faire » Tyranaël, saga de SF en cinq romans qui n’était jamais parue qu’au Québec et dont j’avais à l’époque tout bonnement ralenti ma lecture (!) tant je ne voulais pas quitter cet univers — incroyablement accompli et complet, à la fois totalement captivant et littérairement riche, la construction de deux sociétés. Une œuvre à l’égale des plus belles d’Ursula Le Guin, pour faire une comparaison — enfin, je vous laisse découvrir tout cela : les deux volumes sortent mi février, et ils comprennent aussi en « bonus » un recueil de contes de ce monde.

Sur mai-juin, ce sera encore l’époque des désirs enfin accomplis : quatre utopies, rien que ça ! Lisière du Pacifique de Kim Stanley Robinson a été refusé à l’époque par ses deux éditeurs français, qui n’en appréciaient pas le point de vue « politique » (il s’agit d’une société écologiste) et, depuis, je rêvais d’en devenir l’éditeur — j’en avais discuté avec Patrice Duvic, le co-créateur des Moutons, puis avec David Camus qui fut l’un des traducteurs de l’auteur, puis encore avec Julien Bétan, mon ancien « numéro deux »… Mais notre maison n’étant guère portée sur les traductions de romans étrangers (leurs préférant la créa francophone), en définitive c‘est maintenant seulement que ce projet aboutit, et pile à temps pour s’inscrire au sein d’une année qui chez nous se consacre largement aux utopies contemporaines, les « écotopies » dont notre monde aurait tant besoin nous semble-t-il. Écotopies également, en poches Hélios, avec coup sur coup Transit de Pierre Pelot, L’Univers-ombre de Michel Jeury (encore deux romans « cultes » pour moi, des œuvres solaires et très actuelles qui ont eu des histoires éditoriales un peu bousculées — également parce que politiquement ils ne plaisaient guère — et que je suis aux anges de publier) et L’Œil du héron d’Ursula Le Guin (qu’adorent mes collaborateurs Christine Luce et Mérédith Debaque, et qui va s’inscrire en Hélios aux côtés d’autres titres de cette grande dame, dont un recueil de nouvelles qui sort le même mois sous l’égide d’ActuSF).

Besoins d’utopie et désirs réalisés : pourvu que la réalité sanitaire ne vienne pas encore contrarier un aussi beau programme…

La suite du programme

Chères lectrices, chers lecteurs, permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter une bonne année 2021, que j’espère meilleure que 2020. Ce qui, entre nous, ne devrait pas être bien dur. Pour faire suite au mot d’André-François Ruaud, directeur des Moutons électriques, je prends la plume pour vous parler un peu programme à venir.

Vous le savez, depuis quelques années à présent est arrivée chez nous une nouvelle collection, la « Bibliothèque dessinée », vous proposant des courts romans graphiques où le texte et l’image fonctionnent en symbiose. Née de Tout au milieu du monde, la collection n’a eu de cesse de s’étoffer, lentement mais sûrement, et nous sommes ravis de l’accueil que vous avez réservé à ces titres ovniesques jetant des ponts entre la littérature, la bande-dessinée, la narration de type cinéma et, au final, toutes les formes d’expression possibles.

Cette collection nous tient à cœur, car elle permet de réunir en un seul petit volume toutes les passions de l’équipe des Moutons, à savoir la littérature, le dessin, le graphisme et un traitement sérieux et multiple de la culture populaire. Aussi nous continuons, sans cesse, de réfléchir à de nouveaux titres, que ce soit des créations ou des adaptations, deux exercices à l’approche très différente mais ô combien fascinante. L’an dernier, nous vous avions proposé trois titres réunissant en tout sept auteurs et autrices : Désolation, adaptation de la nouvelle de Jean-Philippe Jaworski par votre serviteur ; Frantz, dans lequel Sébastien Hayez s’est accaparé de la plus personnelle des manières l’incroyable récit du titan français de la science-fiction qu’est Dominique Douay, et enfin Sunk, l’OVNI total de Sabrina Calvo & Fabrice Colin, et Arnaud Cremet au dessin, que nous avons réédité dans une version complètement revue et augmentée.

Cette année, particulière pour nous comme vous l’avez déjà lu, nous ne délaissons pas le moins du monde cette collection puisque nous remettons le couvert avec trois nouveaux titres qui je l’espère, sauront vous ravir. Parlons-en un peu.

Nous inaugurons l’année avec, en février, une nouvelle adaptation de Jean-Philippe Jaworski, figure de proue de la fantasy francophone auquel nous continuons de rendre hommage tant son œuvre déborde de qualités. Sébastien Hayez reprend du fusain dans Le Service des dames (venu de Janua Vera). Ce texte, bien que constitutif du cycle du Vieux Royaume, se détache de tout élément de pure fantasy pour renouer avec un genre tout à fait français : le récit de chevalerie. Mais si l’on lorgne plus vers Le Roman de la Rose que vers Tolkien, nous sommes toujours bel et bien chez Monsieur Jaworski. Après son étonnant traitement de Frantz, Sébastien Hayez revient à un rendu plus traditionnel au fusain, et livre des compositions graphiques éthérées, parfois presque vaporeuses, où le noir et l’orange s’affrontent dans un magnifique clair-obscur. Très atmosphérique, ce volume livre de magnifiques fulgurances lumineuses, parfois ambigües, parfois violentes pour mettre en avant ce superbe texte où le fer et les mots s’entrechoquent avec fureur.

Enfin, comble du plaisir, c’est l’occasion de renouer avec le personnage du Chevalier aux Épines, qui sera le protagoniste du prochain roman de Jean-Philippe Jaworski, qui revient au Vieux Royaume, c’est officiel !

Puis vient, en mars, Eurydice déchaînée sur lequel j’officie en solo. Puisant dans les mythes grecs, je vous propose une relecture du mythe d’Orphée et Eurydice, retraçant l’histoire (tue par les Grecs) de la dryade abandonnée par son époux aux Enfers. Je vous embarque dans un récit de vengeance à travers le monde souterrain, dans un récit plein de monstres, de figures mythologiques et de colère où les mythes sont parfois tordus, parfois laissés tels que nous les connaissons, dans leur plus pure horreur et leur injustice la plus crue, et où la quête personnelle prendra une ampleur bien plus universelle. Tout comme j’ai modifié mon approche graphique entre Tout au milieu du monde et Ce qui vient la nuit, je change à nouveau mon fusil d’épaule pour une approche où je renoue avec mes premières amours : la bande-dessinée. Dans ce voyage en noir et bleu, vous trouverez de nombreuses inspirations que je vous laisse le soin de découvrir, quelques clins d’œil, çà et là, que je ne pouvais décemment pas laisser passer et surtout, ma première expérience d’écrivain. Inutile de vous dire que si je suis extrêmement fier que les Moutons m’aient offert cette opportunité, je redoute, non sans une certaine excitation, le moment où vous tiendrez le livre dans vos mains !

Enfin, en mars toujours, nous vous proposons dans le cadre de nos utopies un texte de Michel Jeury que Greg Vezon met en images : La Fête du changement. Nouveau dans la collection, Greg ne l’est pas pour autant dans l’édition car il officie, entre autres, comme graphiste de couverture chez L’Arbre vengeur. Vous avez d’ailleurs déjà eu un aperçu de son travail parmi les illustrations de notre Matière de Léomance. Dans cette utopie sociale de l’une des figures majeures de la science-fiction francophone des années 70-80, l’Homme change pour que le monde change. Rien ni personne ne reste figé et, comme le dit le titre, ce changement est une fête. Et l’autre fête, c’est le travail de Greg. En noir et corail, ses images convoquent à la fois le design et années 60 et le flat design, résurgence contemporaine de cette décennie d’or du graphisme. En ressort, via ce traitement quelque peu retro et pourtant très actuel, une certaine douceur, parfois presque mélancolique, où la nécessité du changement se traduit par des courbes élégantes, où le trait ondule en même temps que la pensée.

Trois œuvres, trois approches différentes, radicales et très personnelles, qui, à n’en point douter sauront allumer des étoiles dans vos yeux. Voilà ce que la « Bibliothèque dessinée » vous réserve pour l’année à venir, et croyez bien que nous avons encore d’innombrables projets en réserve, dont trois arriveront à l’aube de 2022.