Le roman majeur de Michael Bishop, La Montagne aux licornes,
paraît sous notre label Le Bateau-feu,
et son traducteur Patrick Marcel nous livre son sentiment…
Demain sort en librairie le livre de Michael Bishop, LA MONTAGNE AUX LICORNES. Bishop est un des auteurs que j’aime bien et que je suis, dans ses trop rares parutions. Quand UNICORN MOUNTAIN est sorti, en 1985, la date à laquelle se situe l’action, j’avoue que je l’ai commandé aussitôt, en partie avec une sortie d’attente horrifiée. Résumée à sa plus simple expression, l’intrigue avait de quoi interroger: dans un ranch du Colorado où vient d’être recueilli un jeune homme en train de mourir du sida, depuis quelques années, on voit passer des licornes. Des vraies.
En 1985, la montée du sida (qu’on écrivait SIDA, puisque c’est au départ un acronyme) n’était pas du tout un sujet de plaisanterie. Les gens mouraient de façon rapide et horrible, sans l’ombre d’un remède, sinon quelques médications qui retardaient un peu l’inéluctable. Ça s’est amélioré depuis, mais quand je vois les gens se plaindre qu’on n’a pas été capable de trouver un vaccin définitif contre le Covid en trois ans, je souris jaune.
Bref. En traiter dans un roman de fantasy moderne doté de ce qui est sans doute le plus léger des animaux du bestiaire merveilleux, ça semblait appeler la faute de goût et j’avais vraiment peur du clash fatal. J’ai dévoré le bouquin et j’ai été rassuré. C’est un drôle de roman, qui mélange de façons inattendues et finalement liées par des correspondances multiples des choses aussi disparates que le sida, la défense de l’identité et des croyances amérindiennes, l’homophobie, le merveilleux chrétien, une sorte de fantasy dickienne véhiculée par la télé, un fantôme vengeur et des licornes.
Ce n’est pas un bouquin facile – Michael Bishop l’a un peu révisé dans la version qui sort ici. Je n’ai pas de souvenir précis de la version de 1985, mais il y a des incises de pensée chez les personnages qui s’apparentent un peu au flux de conscience, par exemple. Mais c’est surtout que le livre prend un sujet et le suit, sans chercher à donner de leçons, préciser le bien et le mal. Il y a des personnages très sympathiques qui sont capables d’être pénibles ou d’être tentés par une pensée monstrueuse (je pense à Libby qui peu après une réflexion choquante a un geste spontané totalement bouleversant), d’autres qui sont des crapules mais ont presque à leur insu des pulsions décentes, des préjugés donnés comme tels qui peuvent être purement sans malice ou totalement ignobles, un fantastique qui est accepté dans ses manifestations syncrétiques les plus improbables, des symboles et des parallèles qui interrogent sans pour autant être réduits à des métaphores. Et un fil conducteur qui court à travers des gens normaux dont les soucis premiers sont leur vie (voire leur survie) au jour le jour, les bêtes qu’on doit soigner, les relations personnelles. Et la recherche, sans illusion mais pas forcément en vain, d’une impossible transcendance.
Pour moi, c’est un grand, grand bouquin. C’est aussi un livre difficile à définir, qui part dans tous les sens tout en restant cohérent.
Vous verrez bien.