Nous avons besoin de vous

Salutations amies lectrices & amis lecteurs,

Nous avons besoin de vous.

L’existence de notre maison d’édition est menacée, fragilisée par les crises successives, économiques, pandémiques et politiques. Faute de trésorerie, nous serions condamnés à fermer nos portes sous peu. Pour perdurer, nous sollicitons votre générosité.

Les Moutons électriques existent depuis plus de vingt ans. Maison d’édition indépendante, nous avons perduré malgré les crises économiques, les changements brutaux du marché du livre, et nous avons même grandi. Avec quatre employés, plus de 650 tirages ou titres différents, nous avons vogué, bon gré, mal gré, dans les flots tumultueux du commerce de livre, avec comme voile pour nous porter des autrices et auteurs en majorité francophones.

Nous remercions ces créateurs de nous avoir fait confiance pour leurs aventures éditoriales, pour avoir contribué à notre longévité, et surtout de nous avoir fourni d’incroyables instants de plaisirs grâce aux mots et aux mondes qu’ils n’ont jamais manqué de convoquer sur leurs pages. Ils sont trop nombreux pour être cités tous, aussi cet éloge sera général. Bien sûr, nous remercions également notre lectorat qui a accepté de nous suivre sur des pistes littéraires parfois étranges, s’éloignant des succès commerciaux faciles et des traductions de stars américaines. Il en faut bien sûr, mais nous ne pouvions nous limiter à ce cadre. Nous avons toujours préféré les paris risqués aux publications faciles. Les Moutons électriques fait partie d’un nombre de plus en plus restreint de maisons d’édition indépendantes qui proposent aux lecteurs une autre littérature d’imaginaire, d’autres univers, d’autres visions du monde. C’est une direction artistique à laquelle nous nous accrochons depuis deux décennies, et nous n’avons pas envie de l’abandonner. Nous avons encore tant de créations à vous faire lire et découvrir.

Pourtant, malgré ce long voyage, nous devons faire face à une tempête qui nous paraît pour le moins insurmontable et nous pourrions bien fermer comme nos amis d’ActuSF avant nous, réduisant encore la biblio-diversité de l’imaginaire. Le Covid a asséché notre trésorerie et nous n’avons jamais vraiment réussi à nous en remettre, sans compter nos changements de diffuseurs, de Harmonia Mundi à MDS, pour finalement arriver chez la Diff Hachette (dont le travail nous satisfait pleinement). Le bateau tremble, la soute est fendue, l’eau monte et nous n’avons plus que des seaux bosselés pour écoper. Bref, pour arrêter cette métaphore marine, nous sommes au bord de la fermeture.

André-François Ruaud, fondateur de la maison d’édition, n’est plus salarié, pour alléger nos frais internes, et nous avons dû renoncer à engager Maxime Gendron, dont les compétences en marketing et en gestion nous sont pourtant précieuses. D’autres sacrifices sont prévus pour permettre à notre maison de perdurer, mais cela ne s’avère pas suffisant.Pour cette raison, dans un effort pour éviter que nous fermions, nous nous tournons vers vous, amies lectrices, amis lecteurs, en vous suggérant de nous soutenir grâce à cette collecte. C’est le chant du cygne, la main tendue de naufragés vers vos rivages.

Pour nous aider, suivez ce lien : https://www.paypal.com/paypalme/sosmoutons, et appuyez sur « envoyer » pour pouvoir renseigner votre don.

Avec toute notre gratitude,
Les Moutons électriques

Les bienfaiteurs

En 2016, Les Moutons électriques ont publié Kallocaïne, incroyable et angoissante dystopie suédoise, retraduite avec brio par Leo Dhayer. Le livre fit sensation : plus de 10K exemplaires vendus.

Doutes, inquiétudes, notre présent les instille au quotidien en particulier lors des élections dont les discours nous jettent en plus grand trouble encore. Le spectre de l’autoritarisme, le totalitarisme religieux, les souches rances du racisme sapent notre esprit. Après le paroxysme de ces derniers jours, Kallocaïne offre avec son lendemain vaincu l’occasion de raffermir nos choix et d’éliminer les scories fascistes qui auraient pu nous atteindre. Notre futur est meilleur que celui de Karin Boye aujourd’hui.Mais les Moutons électriques ne s’arrêtent pas là, nous avons l’honneur de vous présenter une autre facette de la dystopie, qui résonne peut-être plus avec notre présent qu’avec notre futur.

Dans Les Bienfaiteurs de James Gunn, la mauvaise humeur est un crime, la dépression, une transgression punissable de trépanation. La tyrannie du bonheur règne, les individus doivent maximiser leurs capitales joies et suivre religieusement les directives de la méga coopération « Hedonics ». Oui, il est vrai que cette société à but lucratif réalise réellement votre bonheur, mais comment exister quand l’on ne peut crier non ?

Traduite par la première fois en français par Stéphan Lambadaris, une dystopie à dévorer sous le soleil écrasant de juillet, et ses injonctions à se délasser au plus vite dans le court temps estival imparti à cet effet. Vous n’en sortirez pas intact.

Yellow Submarine 142

Le plus ancien fanzine de France, Yellow Submarine, vient de faire sortir son nouveau et fort ventru numéro, le 142e, consacré à des archives inédites de l’écrivain Roland C. Wagner. L’éditeur raconte…

Roland s’est mis à écrire dés son plus jeune âge, en véritable machine à produire du texte et à cogiter des univers entiers. Cette capacité prodigieuse à écrire de la science-fiction alors qu’il était encore adolescent, elle se traduisit en un nombre non moins remarquable de manuscrits, achevés ou pas — le jeune Roland se trouvait alors véritablement en ébullition, il bâtissait tout son imaginaire.

L’ayant connu quand nous étions dans la petite vingtaine, en compagnie de Michel Pagel, j’avais vaguement le souvenir d’histoires sur la ville dystopique de Hellstadt et d’un personnage plus grand que nature anagramiquement nommé Ronald Rengaw, mais à l’époque (au  début des années 1980) ce n’était plus d’actualité pour Roland, qui travaillait et retravaillait sur son « Histoire du Futur Proche », le roman Le Paysage déchiré (dont existe plusieurs versions complètement différentes), ainsi que sur le concept du Faisceau chromatique, sans parler de ce qui devint la trilogie Poupée aux yeux morts… Boulimique, Roland enchaînait alors les nouvelles pour tous les fanzines, des tonnes d’articles aussi (il remplissait presque à lui seul, sous plein de pseudonymes, le fanzine angevin Vopaliec SF), écrivait également avec ses copains Michel Ruf (plusieurs projets inaboutis), Michel Pagel (une novella au sommaire de l’anthologie de chez J’ai Lu, Univers) ou Alain Paris (qui lui permit d’accéder enfin au statut d’auteur publié au Fleuve Noir, son grand rêve)…

Franchement, je ne pensais pas revoir les manuscrits de cette époque, et encore moins de ses années d’adolescence… Et pourtant, ces dernières années des archives éparpillées trouvèrent le chemin de Bordeaux : le grand collectionneur béarnais Francis Saint-Martin s’était vu confié par Roland une pile de manuscrits, qu’il me prêta à son tour ; sa veuve Sylvie Denis me laissa fouiller dans l’ordi de Roland et dans des piles de cartons ; et enfin, sa première compagne, Cathy, et leur fille Natacha, m’apprirent que des tas de manuscrits avaient été laissé par Roland chez sa mère à Clamart, dans l’appartement de son enfance ; manuscrits ensuite transférés chez la maman de Cathy dans le Tarn, à deux pas de chez Michel Pagel : elles nous apportèrent cette manne un été !

Des archives débordantes, littéralement : une caisse avait été renversée, toutes les pages mélangées ; d’autres avaient été un peu mouillées… Une folie, comment trier cela ? Eh bien, une victime fut désignée : Maxime Gendron, apprenti chez les Moutons électriques, se vit confier à la fois le tri des archives, leur numérisation, et tant qu’à faire, la direction de Yellow Submarine afin de poursuivre la série des « Dossiers » entamée par trois volumes où je réunissais les articles, interviews, parodies, chroniques etc. de Roland.

Maxime produisit un premier dossier, sur le cycle de Hellstadt, et voici le pavé-monstre, le cycle de Ronald Rewgaw, incroyable plongée au cœur de l’imaginaire en construction d’un jeune auteur qui devint la voix majeure de la SF que l’on sait.

Sur la fantasy et le réalisme

Jean-Philippe Jaworski

La condamnation de la vacuité de la fantasy est-elle fondée ? Sans doute pour les œuvres dont la poétique est pauvre ou exclusivement commerciale. Toutefois, dans ce cas, ce n’est pas la fantasy qui est à blâmer mais la faiblesse d’exécution de l’œuvre. En revanche, le rejet de la fantasy en soi, en tant que genre, me semble relever du préjugé. Il existe une condescendance réaliste et, de façon plus saugrenue pour un genre d’imaginaire, une condescendance science-fictive qui réduisent la fantasy à un escapisme immature.

À titre personnel, je me méfie du discours qui érige la littérature réaliste comme unique courant vraiment littéraire car seul à même de délivrer un message sur l’homme et le monde. Non que je rejette le réalisme : au contraire, il est même nécessaire à l’émergence du fantastique et de sa prolongation fantasy. Mais je m’élève contre l’opinion qui en ferait une esthétique artistiquement prééminente.

D’une part, le réalisme suppose une adhésion à une certaine vision du monde, désenchantée et très occidentale, qui ne traduit pas la pluralité des expériences psychiques et réduit donc l’esthétique littéraire à un champ assez étroit. (« Ici et maintenant » au XIXe siècle, que la fin du XXe siècle a transformé en « moi, ici et maintenant ».) D’autre part, le réalisme est de plus en plus instrumenté au service d’un narcissisme autofictif ou d’un voyeurisme maquillé en fiction, en particulier chez des écrivains qui (comme Emmanuel Carrère) vont raconter les histoires de leurs proches plus ou moins contre leur gré. Entre une œuvre qui invente son personnel romanesque et celle qui recycle de façon subjective (voire indélicate, opportuniste ou malveillante) des contemporains identifiables, j’ai une nette préférence pour la créativité de la première.

Enfin, il me semble qu’il existe une contradiction insoluble dans la thèse qui accorde la prééminence littéraire au réalisme. Si le réel est la principale justification de l’œuvre, pourquoi fausser le réel avec de la fiction ? Le roman réaliste est en soi un genre qui entre en conflit avec sa finalité. Sa composante fictionnelle, conçue pour pour séduire le public ou pour exprimer la subjectivité d’une sensibilité, contredit en grande partie l’objectif de dire le monde tel qu’il est et non tel qu’il est rêvé. Entendons-nous bien : je ne dénie au réalisme ni l’intérêt de son esthétique ni sa capacité à peindre le monde, mais il me paraît clair qu’il n’a pas de légitimité à se considérer, en soi, comme littérature en surplomb.
Que peut nous apporter la fantasy ?
Pour les tenants d’une littérature engagée, elle peut se faire apologue et proposer une éthique, au même titre que mythes et contes philosophiques.
Pour les tenants d’une littérature de divertissement, ce qui est plutôt mon cas, elle peut se faire régulatrice d’émotions, en particulier en proposant un enchantement dépourvu de toute arrière-pensée axiologique ou idéologique. En recourant à un merveilleux sécularisé, la fantasy réenchante alors l’existence sans la conditionner à une orientation religieuse, politique ou sociétale.
Enfin, la fantasy réactualise ou crée des motifs culturels qui, s’ils sont partagés par le public, finissent par renouveler le regard sur le monde. Même lorsqu’elle ne prétend pas dire le réel, la fantasy peut nous proposer des moyens, anciens ou nouveaux, pour le vivre et le transformer. Son applicabilité ne dit peut-être pas le monde tel qu’il est mais prépare parfois la culture telle qu’elle sera.