Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… André-François vous parle cette fois-ci de son travail, avec Xavier Mauméjean, sur la biographie (bien réelle) du célèbre détective belge : Hercule Poirot (http://www.moutons-electriques.fr/poirot-vie-poche)

***

À propos de monsieur Poirot, juste un détail, un souvenir que je peux vous confier : nous avions presque terminé de rédiger cette nouvelle version de sa biographie, Mauméjean et moi, lorsque je réalisai que nous avions omis quelque chose de pourtant assez important : l’on savait que Poirot, en bon Belge de son époque, était croyant, forcément catholique. Comment imaginer qu’il n’allait pas à la messe, alors ? Non qu’Agatha Christie n’ait jamais évoqué cela, mais soudain il me sembla qu’il s’agissait d’une évidence, d’un trait de caractère intime qui ne pouvait être inséré dans un roman policier mais devait faire partie de l’existence quotidienne de notre cher détective.

Comme nous l’écrirons alors : « Nulle part dans les textes il n’est fait la moindre allusion au fait que Poirot se rende dans une église. Mais, à cette époque, il s’agissait encore d’une démarche assez commune, fort peu sujette à commentaires spécifiques. La foi de Poirot relevant du domaine intime et n’ayant pas de lien avec ses enquêtes, ses biographes n’ont pas jugé utile de nous donner des indices sur sa fréquentation ou non d’un lieu de culte. »

Mais enfin, l’évidence me frappe, Hercule Poirot ne se rend-il pas parfois à la messe ? Je cherche sur des cartes : les églises catholiques ne sont vraiment pas nombreuses à Londres. Ah, en voici une pas très loin de Covent Garden… Oh mais non, encore mieux, attendez… Il y en a une au bout de Charterhouse Street, la rue qui conduit à l’immeuble d’Hercule Poirot sur Charterhouse Square ! La réalité nous fait de ces cadeaux : l’église de St Etheldreda, l’une des plus vieilles d’Angleterre, sur Ely Place. Une église catholique, la seule de tout ce secteur. Voilà : impossible d’imaginer qu’il ne s’agisse pas de l’église où monsieur Poirot, alla de temps en temps à la messe.

Ainsi se conduit la biographie d’une grande figure mythique des littératures populaires : sous la forme d’une enquête.

Andre-François Ruaud

Note d’intention pour « Femmes d’argile et d’osier » (par Robert Darvel)

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Robert Darvel, auteur, éditeur, vous parle de son dernier livre : « Femmes d’argile et d’osier« , un conte exotique au pied du Machu Picchu.

***

L’idée première était d’amener un fait historique avéré vers le conte sans heurt ni brutalité ; sans que la réalité rechigne ni ne se cabre ; sans que le lecteur assiste à une lutte ou à une capitulation. Un récit développé en des termes proches des basculements chers à Cortázar, mais sans l’effroi ― sans que l’objet du récit soit le changement de camp. L’histoire mue de manière naturelle. Ce n’est pas une reconstitution historique ; ce n’est pas un récit d’aventures. C’est un voyage à travers une tapisserie, de son endroit à son envers.

D’où le reflet du Machu Picchu ; d’où, dès les premières pages, cette « chaussée géminée d’un reflet aérien » ; ce « lit double, épars et trompeur qu’hommes et bêtes devaient préférer à toute autre surface où cheminer ».

J’ai choisi comme objet de cet amusement la découverte du Machu Picchu par Hiram Bingham en 1911. Cela me permettait de garder en arrière-plan l’ombre du réalisme magique sud-américain.

Il n’y a pas de révélation de la part des personnages, pas de brutale épiphanie ni de conversion. Tout au plus une réponse à l’existence de certaines chenilles (uru) dans une certaine vallée (bamba).

De même, il n’y a pas de surprise dans la structure (mais il y en a dans les péripéties), pas de twist intrinsèque, mais un glissement progressif, têtu et de plus en plus saillant. Le lecteur sait. Néanmoins, il tombe de sa chaise lorsqu’un muletier de sureau s’ôte la tête.

Ce même lecteur est amené à s’installer dans le confort d’une rigueur historique soutenue, non pas trompeuse, ni secondaire ― juste brève (les notes de bas de page, elles, continuent un temps, de manière imperturbable alors que le merveilleux est avéré). Il y a l’explorateur, ses compagnons et le détail du financement de l’expédition dont la durée et l’itinéraire sont fidèles à la réalité ; il y a une femme d’argile et d’osier, des poupées de conte, une roche qui parle, des conquistadores quadricentenaires. Il y a la mutation progressive d’un unijambiste en créature d’osier ; il y a celle d’un scaphandre de caoutchouc en personnage vivant et agissant. Il y a une fin brutale, mais anticipée dès le chapitre deux. Les contes (« On raconte ceci ») qui s’entremêlent à la narration ont autant de réalité que l’histoire. Les deux formes de récit ne luttent pas. C’est une réalité double qui jamais n’est séparée. Bingham renonce à l’Histoire pour le Conte et traverse la tapisserie de l’une à l’autre.

Outre les mémoires de Bingham, de l’explorateur Charles Wiener et de Catalina de Erauso, mes sources ont été : « La troisième balle » de Leo Perutz ; « The explorer » de Rudyard Kipling ; « Le zoo du docteur Ketzal » de Raymond Reding (BD de 1973) ; « Aguirre » film de Werner Herzog.

Aucune mule n’a été maltraitée durant l’écriture de cette fantaisie.

Robert DARVEL

La direction littéraire – « Bon sang, pour qui se prend-il, ce Mérédith ? »

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Mérédith Debaque, l’assistant éditorial des Moutons électriques, se confie cette fois-ci. Il vous parle de direction littéraire ; il a pour le moment accompagné trois auteurs : Chloé Chevalier, Nelly Chadour et Nicolas Labarre, et il dirige l’anthologie humanitaire « SOS Terre et Mer » en compagnie de Christine Luce (financement en mars).

***

« Diriger » un roman est une drôle d’opération, un peu embarrassante pour tout vous dire. Imaginez-vous vous introduire dans la maison d’un ami pour discuter du choix de son mobilier, de l’emplacement de son tableau, et de fil en  aiguille, lui conseiller une nourriture plus variée ou lui indiquer la  meilleure manière d’aérer son logis. C’est passionnant bien sûr de devenir cet œil extérieur, ce point de vue qui jauge le travail immense d’une autre personne, l’observateur soi-disant objectif qui annote les bouts de phrases nés de l’imagination géniale de sa vic… de son auteur. Mais vous êtes un intrus, l’inconnu qui pinaille sur les mots et les points, qui trouve le verbe inadéquat ou trop faible, la réaction absurde ou disproportionnée, l’intrigue convenue ou manquant de panache.

Et puis, le choix du ton à prendre est difficile : faut-il être didactique, pour balancer des leçons comme un prof’ de style — « Du liant, il faut du liant ! » — ou jouer plutôt le rôle de l’humble assistant, qui prétend quand même être de bon conseil — « Je pense,
qu’il serait mieux de… » ? C’est le troisième texte que je « dirige » (je préfère le terme « accompagner », diriger me donne envie d’acheter un fouet), et si je penche largement vers le second type, le premier me rattrape parfois, et avec lui une voix grêle qui semble
chuchoter : « Mais, bon sang, Mérédith, pour qui tu te prends ? »

J’imagine alors l’auteur, outré, scandalisé même, peut-être plutôt hilare, face à mes petites notes, mes ratures timides, mes objections justifiées : « Qui est ce mec qui veut changer MON texte ? Bon sang, pour qui se prend-il, ce Mérédith ? » Malaisé de lui donner tort, à cet auteur qui offre une part de lui-même et que l’on critique aussitôt, avec tout le professionnalisme possible. Il faut réussir à établir un dialogue et, mieux encore, à instaurer une camaraderie complice, se tenir prêt, également, à essuyer refus, rebuffades, engueulades ou, parfois, un silence réprobateur.

Sans aucunement comparer l’exercice à celui d’écrire, intervenir dans la prose d’un autre est un travail laborieux, aussi périlleux que chargé de responsabilité : il faut réfléchir à ce qui est améliorable, à ce qui ne l’est pas, différencier une erreur de la volonté de l’auteur, etc. Puis trouver les bons mots, les bonnes idées et s’engager avec sincérité, parce que si l’on vient désherber le paysage d’un jardinier et lui couper quelques fleurs, il vaut mieux pouvoir expliquer avec justesse et éloquence ses raisons. La tâche est difficile.

Mais je me fais violence, parce que j’ai l’impression que le métier d’éditeur réclame cette attention sévère : examiner les textes à la loupe, traquer leurs points troubles pour qu’ils s’éclaircissent, leur offrir le petit plus d’une première lecture vigilante. Comme l’ingénieur
du son qui enregistre le CD d’un groupe, j’essaye d’aménager un environnement soigné pour le roman que j’accompagne. Tant pis si je bouscule un peu l’auteur, tant pis si je ne suis pas vraiment à l’aise. Pour le moment, malgré ma modeste expérience, le dialogue s’est toujours noué naturellement avec les auteurs, comme s’ils l’attendaient, avec peut-être un peu d’inquiétude, mais je crois aussi que l’échange professionnel les a rassurés : ils ne sont plus seuls pour affronter la publication de leur texte.

Alors je continue de pinailler.

Les Saisons de l’étrange

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois, André-François Ruaud vous parle d’une nouvelle collection exceptionnelle : « Les Saisons de l’étrange », au financement de laquelle vous pouvez participer ici: https://fr.ulule.com/les-saisons-de-letrange/

***

Le savez-vous ? Quelque chose de neuf et d’important est en train de naître : un nouveau label en imaginaire, les Saisons de l’étrange.

En tant que lecteur, il se trouve que depuis quelques années je fais une forte consommation de ce nouveau surnaturel qui est si florissant, toutes ces histoires de détectives de l’étrange, tous ces mélanges de polar, de thriller ou d’espionnage avec de l’uchronie, des fantômes ou de la magie ; tenez par exemple les Daniel O’Malley (en français chez Pocket), ou bien ceux que je viens juste de finir, des romans de George Mann, Lisa Tuttle et Vivian Shaw. En tant que consommateur culturel, je suis également fan de séries, forcément, et gros lecteurs de comics, aussi. Mais en tant qu’éditeur, c’est plutôt la création francophone qui m’anime, qui me passionne. Alors des idées sont nées, tout d’abord au sein de l’équipe des Moutons électriques, et puis par un effet inédit tout un projet a fait tache d’huile… les Saisons de l’étrange sont nées !

Un financement participatif (« crowdfunding ») a été lancé sur Ulule qui vise à la création de cette collection, qui va être co-éditée par les Moutons électriques. Les Saisons de l’étrange est un label co-dirigé par notre graphiste Melchior Ascaride, notre secrétaire, Vivian Amalric, et un bibliothécaire, Arthur Plissecamps, avec le soutien complet des Moutons électriques qui en avaient initié la mouvement. Financer cette campagne, c’est assurer la pérennité d’une telle entreprise : contrairement à la plupart des « crowdfundings », il ne s’agit pas en effet juste d’assurer l’existence d’un ouvrage ponctuel, mais bien de lancer tout un projet de longue haleine, très ambitieux et qui, très franchement, nous tiens tous énormément à cœur. Car au-delà de cette première saison, qui verra paraître de courts romans de Lazare Guillemot, Roland C. Wagner, François Peneaud, Olav Koulikov, Paul Féval et Cédric Ferrand, les Saisons de l’étrange ont vu loin, avec se bousculant pour les saisons suivantes des auteurs comme Jean-Philippe Depotte, Julien Heylbroeck, Nelly Chadour, Nicolas Le Breton, Brian Stableford, Sylvie Denis, Christine Luce, Irène Maubreuil, Brice Tarvel, Alex Nikolavitch, etc. Eh oui, ça rigole pas ! Ou plutôt si, justement, ça rigole : ce projet est fun, pulp, enthousiaste, et totalement dans l’air du temps… le surnaturel fait son grand retour dans le rayon de l’imaginaire, la sérialité est devenue une évidence, la forme courte aussi — la rapidité, les héros, les mystères, les monstres, les savants fous, les complots, les fantômes, les druides, les uchronies, le steampunk, le thriller fantastique… c’est tout ça qui est brassé dans ce projet fou.

Et si les donateurs savent déjà être certains d’obtenir la première saison, les libraires sont également assurés ainsi du lancement de cette nouvelle collection commercialement pertinente, porteuse, avec un investissement énorme : tournée de dédicace des auteurs, campagne de pub et de com (via l’agence Perfecto), articles dans la presse et sur les blogs, présentoir en carton pour les librairies, plaquette de présentation, affichettes et marque-pages… Jamais les Moutons électriques n’auront investi autant dans un lancement, soyons clair. Dire qu’on y croit serait l’euphémisme du siècle : c’est le projet qui nous… électrise le plus, en fait, une vraie source de bonheur éditorial. Alors allez-y, foncez, n’hésitez pas : soutenez !