« Le vrai, le faux, le réel et l’imaginaire se confondent » par Xavier Mauméjean

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois, Xavier Mauméjean vous livre quelques paradoxes sur Sherlock Holmes, une vie, disponible maintenant en poche chez Hélios: http://www.moutons-electriques.fr/holmes-vie-poche

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Thomas Pavel fait remarquer que les deux phrases suivantes sont vraies :

Sherlock Holmes vivait au 221 B Baker Street.

Sherlock Holmes ne vivait pas au 221 B Baker Street.

La première est vraie dans le monde inventé par Arthur Conan Doyle et repris par ses continuateurs. La seconde ne l’est pas dans le nôtre, je ne suis pas certain que l’on puisse s’en réjouir. En fait, il n’y a jamais eu pareille adresse. Jusqu’à ce que la fiction en décide autrement, et soumette le réel à ses exigences. On peut maintenant y visiter un musée, témoin d’un passé alternatif qui pourtant nourrit bien des mémoires, dont les souvenirs deviennent vrais lorsqu’ils sont écrits et lus.

C’est ainsi que le vrai, le faux, le réel et l’imaginaire se confondent. Il n’en fallait pas plus pour écrire la vraie fausse biographie de Sherlock Holmes.

Sauf que…

Sauf que les choses ne se sont pas déroulées ainsi. Un comble pour le détective logicien, la beauté sèche du raisonnement n’a pris aucune part dans la création de la « Bibliothèque Rouge », cette collection dédiée aux vies parallèles des grands héros populaires. C’est plutôt affaire de hasard, cet entremetteur d’amitiés qui nous a réunis, André-François Ruaud et moi.

Nous avons d’abord échangé quelques mots, d’un vouvoiement poli et peut-être prudent, qui ont tourné en phrases puis, la chose n’est pas si ordinaire, en textes écrits. Précisément en ouvrages qui raconteraient une vie pour chaque figure de notre panthéon. Une vie, et non pas la vie réduite à l’analyse littéraire ou à la dévotion stérile de gardiens du temple. Au contraire, nous voulions raconter à chaque fois une existence, de manière subjective, forcément partielle et partiale, mais d’une extrême précision dans les faits historiques, sociaux et culturels. Quelque chose de sérieux, sans se prendre au sérieux.

C’est ainsi que tout a commencé par le hasard d’une rencontre, devant le 221B Baker Street. Ces circonstances engendrent de belles amitiés. Nul doute que Watson et Holmes ne diraient pas autre chose…

Xavier Mauméjean

Le secret d’Arsène Lupin, par A.-F. Ruaud

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois, André-François Ruaud vous parle d’un détail surprenant que vous trouvez dans « Arsène Lupin, une vie », disponible maintenant en poche chez Hélios: http://www.moutons-electriques.fr/lupin-vie-poche

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Il faut que je vous révèles un petit secret, concernant Arsène Lupin, une vie, qui vient juste d’être réédité en poche Hélios : j’y ai glissé un petit peu de ma famille, car figurez-vous qu’en finissant de travailler sur cette version de ma biographie du gentleman-cambrioleur, j’ai découvert qu’il y avait un lien DIRECT entre lui et les miens.

Situons la scène : je suis assis dans un fauteuil, sur la pelouse devant chez mes parents, un ordi portable sur les genoux. Je suis en train de papoter avec mon paternel, car je lui ai fait part de ma légère frustration concernant le sujet des salons littéraires parisiens : j’ai lu plusieurs études sur le sujet, mais toutes se penchent sur des salons bien antérieurs à l’époque de Lupin, au tournant du siècle ou au début du siècle suivant, en tout cas jamais dans la période des Années Folles où mon gentleman-cambrioleur se met plus particulièrement à fréquenter les salons huppés de la capitale, certainement afin de glaner des renseignements utiles à ses illicites activités — en plus de son goût pour les frivolités mondaines. Bref, pour ce chapitre j’ai du un peu extrapoler depuis des témoignages antérieurs ; et mon paternel de m’apprendre qu’une de mes arrière-tantes, Lucie dite Maman Cie (Lucie Dalloux, épouse Boutilier du Retail, 1886-1968), tenait au milieu des années 1920 un salon. Intéressé, je lui en fais dire un peu plus, et notamment lui demande de me donner des noms de « gens célèbres » qui auraient été alors des familiers du couple Boutilier du Retail — je sais déjà qu’un de leurs plus proches amis était l’acteur Henri Crémieux, qu’ils cachèrent ensuite durant la guerre, mais qui d’autre ? Et mon père de me citer quelques écrivains déjà oubliés : Maurice Constantin-Weyer, Gérard-Gailly, Maurice Bedel, Claude Aveline (tiens, un polardeux), Francis de Croisset… Je reste un instant interdit, cherchant dans ma mémoire pourquoi ce dernier nom me dit quelque chose… Puis je réalise : attend, attend, tu as bien dit Francis de Croisset, le dramaturge Francis de Croisset ? Oui, fait mon père, l’auteur de pièces de boulevard.

Quelle révélation : Francis de Croisset, le troisième et dernier des grands noms du Boulevard, n’est autre que le co-auteur de la pièce Arsène Lupin avec Maurice Leblanc ! Ainsi donc existe-il un lien réellement direct entre l’univers de Lupin et ma propre famille ; et comment ne pas supposer, de ce fait, qu’Arsène, peut-être sous son identité de Raoul d’Averny, fréquenta un peu le salon du 2 de la rue Vineuse dans le seizième ?

Tout cela, vous le trouverez page 194 de la nouvelle édition (page 228 du grand format).

Et tant que j’y suis à des confidences familiales, si vous ouvrez l’ancienne édition de notre Poirot, Les Nombreuses vies d’Hercule Poirot, à la page 21, la photo d’infirmières en 1914… celle du milieu n’est autre que Lucie Dalloux !

Un dernier détail, cocasse : lorsque j’ai reçu pour la même collection le manuscrit des Nombreuses vies de James Bond, par Laurent Queyssi, voici ce que j’y découvris : « Si l’on en croit le récit que fait l’agent 007 à John Pearson, c’est en 1930 que la famille s’installe en France dans une grande maison, près de Chinon, en Touraine. » Le jeune James Bond habita donc dans la région de Chinon, la ville originaire de ma famille ?! Amusé par la coïncidence, je glissai donc en illustration une gravure sur bois d’un ami de mon grand-père, le peintre James C. Richard (page 11).

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« Techno Faerie », un bel écrin excentrique.

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois, André-François Ruaud évoque l’étrange aventure éditoriale de « Techno Faerie », par Sara Doke.

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En cette saison festive, j’ai eu envie de parler un peu d’un beau livre qui me tient à cœur, et je me suis souvenu de son histoire un peu compliquée, sans doute intéressante à vous raconter…

Ce beau livre, c’est Techno Faerie de Sara Doke. Il y avait longtemps que j’avais connaissance d’un univers sur lequel elle travaillait de temps en temps, et j’avais eu l’occasion de publier certaines nouvelles dans le livre-revue Fiction. Un jour, Sébastien, notre chef de fabrication freelance, passe me montrer un coffret tout à fait étonnant qu’il a fait fabriquer pour les éditions Glénat. Une sorte de beau classeur, avec d’un côté un livre et de l’autre des soufflets contenant des fiches… et aussitôt, j’ai pensé à Sara, à ses fées technologiques : voilà, il s’agissait d’une forme idéale pour concrétiser son univers.

Je fais faire un devis, qui est étonnamment raisonnable, et fabriquer une maquette en banc (c’est-à-dire, sans impression) pour la montrer à Sara, ravie.

Et puis le temps passe, Sara travaille à tout ceci mais elle n’a pas que ça à faire, elle est traductrice, bref les mois puis une année ou deux passent, et j’apprends qu’en fait le cartonnier sous-traitait filouteusement en Chine sa fabrication… Puis que les tarifs chinois ont tant augmenté que, non, de toute manière plus moyen d’envisager une telle fabrication, assez complexe… Oh, la déception. Et que faire : j’ai déjà payé à un illustrateur la couverture qui devait être celle du petit livre collé dans le coffret, Sara a commandé des dessins à plein d’amis illustrateurs, les textes sont très avancés… Comment réaliser tout cela, dans une forme un peu originale, malgré tout ? Après cogitations, nous décidons d’un ouvrage hybride, mêlant des parties en noir et blanc, sur papier bouffant, et des parties en couleur, sur papier couché. L’illustrateur de la couverture intérieure ? Eh bien, elle sera en ouverture. Allez, soyons fous : 4 pages couleur, puis 190 pages en noir (la fiction), puis 160 pages en couleur (les fiches de fées et des tonnes d’illustrations) ! Et comme entre-temps le graphiste Melchior Ascaride a rejoint notre équipe, c’est lui qui conçoit finalement la couverture. Un bel écrin, inhabituel et excentrique pour un livre-univers qui ne l’est pas moins. Trop inhabituel ? Le lancement est un peu lent, les libraires sans doute désarçonnés par un « produit » hors normes le boudent un peu. Mais au fil des années, le beau livre de Sara Doke poursuit sa carrière, il vit, il se vend. Et je n’en suis pas peu fier, je le reconnais.

http://www.moutons-electriques.fr/collection/bib-volta/techno-faerie

« Le Monde du vingt-cinquième siècle » par Fabrice Mundzik

http://www.moutons-electriques.fr/vingt-cinquieme-siecle

http://www.moutons-electriques.fr/vingt-cinquieme-siecle

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois-ci, Fabrice Mundzik vous dévoile l’origine d’une envie : celle de rééditer « Le Monde du vingt-cinquième siècle » de Charles Kymrell. 

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Je suis curieux… très curieux. J’aime chercher, encore et toujours, être surpris, et découvrir des textes anciens, peu connus, voire totalement oubliés. Les Moutons électriques ont déjà publié une série de volumes, issues de mes recherches sur les frères J.-H. Rosny (La Légende des Millénaires, 3 vol.) [LIEN] et Renée Dunan (Le Roman de la Fin des Hommes) [LIEN].

Ce que j’apprécie le plus, dans la quête de textes anciens, ce sont les découvertes inopinées, les « trouvailles » involontaires, puisque, dans le cas du Monde du vingt-cinquième siècle, de Charles Kymrell, la recherche menée portait sur un tout autre sujet (Gaston de Pawlowski, pour tout vous avouer).

La phrase d’ouverture de ce roman m’a interpellé :« L’an 2400 après Jésus-Christ, la ville de Bombay, capitale de la République Hindoue, inaugurait une nouvelle salle de spectacle [un Opéra]. C’était le 1er mars, premier jour de l’année et, en même temps, du vingt-cinquième siècle de l’ère chrétienne. » J’ai, en effet, immédiatement pensé à « La Sortie de l’Opéra en l’an 2000 », d’Albert Robida, un auteur que j’apprécie énormément.

Quelques chapitres plus loin, le « Téléphoscope » — un « appareil à vision éloignée » qui évoque le « Téléphonoscope » de Robida —, fait son apparition. Dans son récit, Charles Kymrell aborde de nombreux sujets, tels que l’émancipation de la Femme, les loisirs, la santé, l’économie politique, l’alimentation, les mœurs, les transports, etc. Le Monde du vingt-cinquième siècle, publié en 1898, serait-il un plagiat de Le Vingtième Siècle (1883) et La Vie électrique (1890) ?

Absolument pas ! Il a sa propre identité, même s’il existe des similitudes, c’est indéniable : l’influence d’Albert Robida est bien prégnante. Toutefois, Kymrell ose, dans certains domaines, aller bien plus loin que son illustre prédécesseur. Les idées foisonnent, dans ce récit exceptionnel. L’auteur lâche les brides de son imagination et nous délivre un véritable feu d’artifice d’anticipations :

En l’an 2400, l’Europe est unifiée, de la France aux frontières de l’empire de Chine — les États-Collectifs sont dirigés par les quarante membres du Conseil Suprême ; la Grande-Bretagne est rattachée au continent par un pont gigantesque ; l’armée est équipée de missiles téléguidés ; les États-Collectifs ont repoussé les tentatives d’invasions chinoises, alors que l’Amérique est occupée : seuls les Canadiens résistent encore ; un vaste réseau de vidéo-caméras observe l’intérieur du territoire ; les frontières sont surveillées par des « moyens d’observation très puissants » (nos radars) ; les Européens voyagent couramment en « train-éclair », « ballon fusiforme » ou bateau sous-marin ; la femme vit de son travail, le mariage n’existe plus et l’État élève les enfants ; il existe une langue internationale : le « parler universel » ; les travailleurs utilisent des tenues renforcées (des exosquelettes) ; des badges personnalisés (similaires à nos cartes magnétiques) permettent l’ouverture automatique de certaines portes ; de gigantesques usines d’agroalimentaire nourrissent l’ensemble des habitants, l’invisibilité est une réalité, etc. Et ce ne sont là que quelques exemples !

Certaines des innovations prévues par Charles Kymrell sont devenues courantes, banales même, de nos jours ; c’est une des forces de ce roman : le lecteur n’est pas étonné de découvrir des bâtiments équipés d’ascenseurs sans machiniste, d’apprendre que les forces de l’ordre utilisent l’équivalent de nos « Taser » ou de voir un personnage utiliser une lampe de poche. Elles ne faisaient pourtant pas partie du quotidien, en 1898.

Ce roman est réellement plaisant à lire : chaque chapitre apporte son lot de surprises ; le récit est véritablement prenant et les personnages attachants. Le fil conducteur de ce récit est une intrigue amoureuse, mais elle n’est pas omniprésente. Kymrell prend le temps de développer ses personnages et de les faire évoluer au fil du récit. Ses descriptions sont précises et détaillées, sans trop s’appesantir. Les rebondissements sont nombreux et le récit tend parfois vers l’ambiance des romans d’espionnage ou d’aventures, d’où l’impression d’un renouvellement permanent, tout au long de la lecture.

Le Monde du vingt-cinquième siècle est un roman visionnaire qui est, enfin, 120 ans après sa publication en feuilleton, proposé dans un format qui lui rend justice.

À mes yeux, il mérite — n’ayons pas peur des mots ! — une place auprès des meilleures anticipations de la fin du XIXe siècle.