Métier : éditeur

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre…

Quel est mon métier ? Mon métier c’est éditeur. Pas publieur, entendez bien, mais éditeur : il y a une grande différence, que camoufle trop souvent le manque de différenciation dans la langue française entre ces deux philosophies éditoriales fort différentes. Et lorsque je dis que c’est mon métier, il faut bien admettre que c’est bien plus encore : une passion, pour ne pas dire une rage ou une folie, qui m’anime depuis mes premiers pas dans l’univers des livres — ma formation en « métiers du livre » à Bordeaux au mitan des années 1980, mes premiers fanzines, le premier recueil que j’ai eu la chance de diriger (Roulette mousse de Jean-Pierre Hubert, chez Denoël, alors que j’avais à peine 20 ans), mes premières anthologies, l’aventure trop brève des éditions Étoiles Vives… Tout mon parcours n’a tendu finalement que vers cela : découvrir et faire découvrir toujours de nouvelles plumes, faire naître toujours de nouveaux textes, imaginer toujours de nouveaux livres.

Il y a un peu plus de 12 ans que j’ai fondé les Moutons électriques avec une poignée d’amis, et cette passion me pousse toujours de l’avant. Depuis quelques années, les Moutons électriques se sont même orientés encore plus fermement vers une politique de création francophone : trouver des romanciers, les faire écrire, les encourager, les suivre. Une remarque en passant, l’autre jour, de l’assistant éditorial des Moutons, mon excellent camarade Mérédith, m’a fait réaliser à quel point cette démarche est devenue importante. Venant de lire un peu de Patrick Rothfuss, un best-seller américain de fantasy, il me dit que c’était presque aussi bien que du Stefan Platteau. Eh oui, « presque » : de nos jours, le degré de qualité et de créativité des écrivains francophones d’imaginaire n’a plus rien à envier à ce qui se fait dans le domaine anglo-saxon — bien au contraire, c’est peut-être plutôt à eux de pouvoir nous envier. Il aurait été excessivement prétentieux d’affirmer ça il y a encore quelques années, mais aujourd’hui c’est simplement vrai.

Éditeur, donc. Être éditeur, c’est faire confiance à son « nez », savoir ce que l’on veut et en créer les opportunités, en poussant les auteurs, en les faisant travailler et retravailler si nécessaire, en suggérant des pistes thématiques, en cherchant sans cesse de nouveaux talents… C’est cela mon moteur, ce qui me fait avancer : le prochain beau roman, le texte suivant dont je suis primo-lecteur et donc éditeur heureux — et le suivant, et le suivant… Et ce ne sont pas mes lectures de ces derniers jours qui risquent de faire retomber mon enthousiasme : je ne peux pas encore vous dire le nom des auteurs, mais bon sang, que c’est beau, tout ces débuts de romans que l’on vient de nous soumettre ! Il y a le château géant de B., la chasseuse vampire de N., le Sherlock Holmes aux Enfers de N., le détective de l’étrange de L., autant d’entrées de romans qui me font tomber la mâchoire au sol et murmurer des « wow wow wow » excités… Vous n’avez pas idée de la force incroyable de ce qui se prépare. C’est bien simple : chaque mois nous publions au moins un roman, et chacun est superbe, fort, nécessaire. Au point qu’il nous est même parfois difficile de convaincre nos interlocuteurs — diffuseur, libraires — que si, mais si, tout est bien, tout est réellement excellent, il faut soutenir, soutenir encore. Ce que nous créons, c’est tout un véritable domaine de l’imaginaire.

C’est pour cela, notamment, que nous avons eu l’envie de rapprocher un peu plus les lecteurs de l’éditeur, avec la création de ce que nous nommons un « abonnement-souscription ». Pas mal de labels de musique font cela, en revanche je crois qu’en édition ça ne se faisait plus trop, depuis les adhésions à L’Association. Nous visons au grand maximum une cinquantaine de ces abonnements-souscriptions, c’est à la fois très peu et beaucoup, autant de petits coups de pouce militants qui vont nous aider dans notre effort de création. Le principe ? Nous proposons d’expédier 6 romans en 6 mois, plus un beau cadeau exclusif (un tirage limité), le tout avec une économie pour les abonnés de plus de 60 euros. De quoi nous faire un peu de trésorerie, le « nerf de la guerre », pour faire face plus aisément à certains frais que nous avons très en amont de la facturation aux libraires, par exemple les jeux d’épreuves, ou bien la dépression créée un mois ponctuel par les retours, bref nous créer une sorte de petit coussin de sécurité. Nous envisageons aussi de créer une telle souscription pour nos livres numériques, puisque nous allons grandement renforcer aussi cette part de notre activité. À suivre, comme on dit.

Ils sont beaux, ces petits

Depuis quelques mois, nous avons mis au point un nouveau format : petit (haut comme un poche), large (presque carré comme nos grands formats), esthétique et pas cher, il semble bien plaire. Il nous sert à publier des textes plus courts que nous n’en avons l’habitude, et entre nous nous l’appelons la « petite voltaïque ». Portrait de famille… Inquiétant, planant, lyrique, vertigineux, bouleversant… Attrapez-les tous ?

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« Véridienne », une couverture par Melchior Ascaride

Blog Chloé MelchiorNous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre…

Je dois aux Récits du Demi-Loup ma première blague aux Moutons électriques (si vous jetiez un œil à mon CV, vous verriez que dans la catégorie « Être sérieux en toutes circonstances » j’ai inscrit « Vagues notions »). Comme le dirait un célèbre présentateur télé qui a incarné le caped crusader au cinéma, « Vous l’avez chez vous ». Demi-Loup. Deux Milou. J’ai dit que c’était une blague. Je n’ai jamais spécifié qu’elle était bonne. Mais elle l’était un peu (Note de l’assistant : Qu’est ce qu’on rigole chez les Moutons !). Chloé n’a vu cette couverture que bien plus tard et a fait bien pire (mieux ?) depuis avec son détournement des Terres de l’Est. Je sais, je m’égare mais en même temps je n’ai pas encore dit où nous allions.

Donc, comment sont nées les couvertures du Demi-Loup ?

Chaque livre sur lequel je travaille est comme un enfant. L’enfant de quelqu’un autre. Je peux l’adorer, mais il est quand même pénible au début. Pénible pas par sa lecture. Chloé a une chouette plume et ses histoires sont beaucoup mieux imbriquées que mes Legos quand j’étais enfant. Pénible par la question que chaque ouvrage a soulevée : « Et maintenant ? » Si certains me facilitent la tâche en tirant leurs inspirations fantastiques dans diverses cultures de la réalité réelle, là… non. Non parce que de fantastique, point. Juste des humains dans un univers imaginaire. Donc il fallait puiser l’épiphanie créatrice ailleurs. Il y avait bien cette idée d’emblème circulaire du chat et du loup, mais je suis interdit de cercle en première de couverture. Je vous raconterai pourquoi dans un article spin-off. Et puis je l’ai casé en quatrième donc tout va bien.

Bon pas de merveilleux donc, mais qu’à cela ne tienne, j’en ai vu d’autres. Pas de précipitation. On a des batailles, des loups, des chats… Attendez deux secondes, machine arrière. J’ai oublié une péripétie. Et vous comprenez désormais pourquoi je ne suis pas écrivain ? Il faut savoir qu’à l’origine, le premier tome, intitulé Véridienne (ça aussi j’aurais pu le mentionner au début, mais je sais que vous le savez), le premier tome donc ne s’appelait PAS Véridienne. Quand j’ai reçu le manuscrit il s’intitulait Les Femmes du Demi-Loup. Donc quand j’ai commencé à travailler dessus, j’ai travaillé sur… des femmes. Les femmes dudit titre. De fines silhouettes dans un style médiévalisant. Puis, alors qu’ils étaient de passage à Paris, André-François et Mérédith me disent qu’ils vont rencontrer Chloé et que si je peux être là c’est bien comme ça on discute tous ensemble. Fort bien, c’est toujours utile. Et alors que la conversation va bon train est suggérée l’idée de changer le titre en Véridienne, ce que tout le monde approuve. Dans ma tête il y a eu le son que feraient quatorze mille Big Bang s’ils arrivaient tous en une demi-seconde couplés à un orage de malédictions prononcées avec la voix d’une chanteuse rousse disant d’elle-même qu’elle est libertine. Et j’ai hoché la tête pour approuver à mon tour, de mini déluges dans les yeux.

Bonjour Case Départ, tu vas bien ? Incruste-toi je t’en prie tu sais à quel point je te hais. Combien de sucres avec le thé ?

Je reprends. On a des batailles, des loups, des chats et surtout, un château. Maintenant que le titre avait changé, l’idée de faire du château de Véridienne le sujet de la couverture me plaisait bien. Surtout qu’il est important. Et humide. Voilà, je la tenais. Un château humide, la déliquescence des relations entre les personnages, un royaume qui part à vau-l’eau… Le château (qu’il fallait très stylisé) qui se disperse comme quand on verse de l’encre dans de l’eau. Et ce qui est bien, c’est que l’idée est parfaitement déclinable pour toute la série, car ces thématiques se retrouvent dans le second tome, dans le recueil de nouvelles… J’ai jeté mon ordinateur en l’air en hurlant « Eurêka ! » avant de me souvenir que je ne suis pas chercheur et qu’un ordinateur ne retombe pas comme une averse de feuilles de papier. J’ai soumis le concept au Grand Conseil.

Et il a plu.

Une affaire de trois jours (Les récits du Demi-Loup)

Les Récits du Demi-LoupNous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois-ci, Mérédith Debaque vous parle de la réception de la saga de Chloé Chevalier : « Les Récits du Demi-Loup ».

J’aime assez raconter la réception des manuscrits de Chloé Chevalier. Imaginez un peu, je commence à travailler, quelques livres à mettre en page sans doute, et là je vois cette appétissante pile de manuscrits érigée à ma droite. Lire les manuscrits est une expérience intéressante : l’impression de jouer à une sorte de loto littéraire. Il ne s’agit pas de juger de la qualité objective des ouvrages, mais plus d’estimer si l’un des manuscrits convient à la ligne éditoriale des Moutons électriques.

Ce jour-là donc, cette pile me fait de l’œil, et naturellement, abandonnant la quelconque besogne en cours (sans aucun doute essentielle au fonctionnement des Moutons électriques), je me jette dans la lecture des publications potentielles. Deux choses me marquent : premièrement, on y trouve le début d’une saga de fantasy (comme c’est original…), et deuxièmement, l’auteur se nomme « Chloé Chevalier ». L’ironie ne m’échappe pas, et je dois l’avouer, j’ouvre donc un peu rigolard le premier de la série.

72 heures plus tard, je me réveille dans mon fauteuil, plusieurs tasses de café vides à mes côtés, et trois manuscrits de fantasy imprimés éparpillés à côté de moi. Pris dans un maelstrom de lecture boulimique, j’ai dévoré les trois premiers tomes (NdÉ : en réalité, les deux premiers et demi, puisque le troisième n’était pas fini) en 3 jours. Stupéfaction et ravissement, je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de bouquins qui m’ont causé pareil effet vampirisant (et une main à laquelle on aurait tranché, avec application espérons-le, plusieurs doigts).

Puis, après avoir informé le boss ovin de ma franche admiration pour la fantasy de Chloé Chevalier, et mon impérieuse envie de la voir au catalogue, une question vient titiller mon esprit embrouillé : pourquoi moi, un grand bonhomme d’une trentaine d’années, plutôt lecteur de romans concernant d’autres grands bonhommes (ou des grandes bonnes dames) matures et raisonnables, me suis-je laissé happer par le premier tome, Véridienne  ? Il ne s’agit après tout que d’histoire de cinq fillettes, avec tout son attelage de disputes immatures, de bêtises enfantines et d’amourettes d’adolescentes… Pourquoi ai-je suivi ces enfantillages avec une passion vorace ? Facile, vous répons-je (après plus d’un an de réflexion) : Véridienne est une histoire de contrastes, le contraste entre les vanités de nos héroïnes et cette épidémie cruelle, la différence troublante entre leurs béguins naissants et les drames qui frappent leur entourage, leurs préoccupations puériles face à la menace constante de cet Empire mystérieux à l’immensité monstrueuse. Derrière leurs jeux, derrière leur rire, Chloé Chevalier tisse l’enjeu de sa saga. Nos protagonistes jouent, mais entre les cadavres de l’épidémie, elles aiment, mais entre les mensonges, elles rient, mais entre les tragédies passées et à venir… Rien d’étonnant à ce que ce premier tome m’ait happé tout entier pour me recracher plusieurs heures plus tard, heureux lecteur suppliant une suite.

Suite que j’avais sous la main, fort heureusement pour le salut de mon âme.

On dit (par on, j’entends le boss ovin) que les deuxièmes tomes sont souvent les plus faibles, parce que l’on n’y trouve ni exposition ni résolution, juste une continuité. Ce n’est pas le cas des Terres de l’Est. Si je devais le qualifier, ces quelques termes suffiraient : « Une promesse tenue ». Tout le potentiel dramatique que Chloé Chevalier cachait sous le voile déformant du regard des cinq jeunes filles, rejaillit ici avec force, au fur à mesure qu’elles grandissent et qu’elles constatent de leurs yeux plus lucides, moins innocents, l’état du royaume. Des caractères tracés encore en pointillés s’affirment, les secrets se révèlent. Indéniablement, Chloé Chevalier sait raconter des histoires. J’ai été étonné (et franchement admiratif), devant sa capacité à jouer avec la forme de son récit, un mélange, parfois savamment chaotique, d’épistolaire et de journaux intimes, pour créer une intrigue puissante. Derrière chaque ligne pèse un couperet, dont le balancement mortel annonce le destin qui attend nos cinq fillettes, destin qui ébranle déjà considérablement dans ce tome le Demi-Loup.

Ce fatal mouvement m’a captivé durant toute ma lecture. Ce fut une affaire de trois jours.

Mérédith Debaque, assistant éditorial des Moutons électriques

PS : Et non, je ne vous parlerai pas du troisième, il est trop tôt, et je n’en ai lu que la moitié, qui était fort bien d’ailleurs et… mais chut.
Vous aussi, découvrez le Demi-Loup :  http://www.moutons-electriques.fr/livre-356 et http://www.moutons-electriques.fr/livre-410