Une histoire de profil, par Melchior Ascaride

oeillet vert blogNous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre…

D’HABITUDE chez Les Moutons électriques, on s’occupe de fantasy et de science-fiction. Mais voilà qu’un jour je reçois un e-mail dans lequel André-François Ruaud me demande de m’occuper de la couverture d’un roman n’ayant rien à voir avec les genres susnommés, intitulé L’œillet vert, suivi d’un descriptif du livre sachant que ce dernier était toujours en cours de traduction. De sa première traduction en français, excusez du peu ! Et donc de sa première édition française, plus d’un siècle après sa première parution. Je suis certes en terra incognita, mais après lecture de l’e-mail je me dis « Ce soir, je dîne avec Christophe Colomb, Erik le Rouge et autres Buzz Aldrin ! ». Bon, à la table des enfants certes, mais tout de même !

Seulement je fais quoi avec ce livre ? Le titre pourrait être bêtement transposé en image après tout. Malheureusement, piètre horticulteur que je suis, je serais bien en mal de reconnaître un œillet si j’en voyais un. Et puis l’idée d’un personnage fictif (Esmé) dont les lignes proviennent d’un personnage réel (Wilde) m’intéressait bien plus. Donc j’ai réfléchi à une composition qui imbriquerait deux visages de ce cher Oscar. Par exemple une photo de face et une de profil mélangées. Ça pourrait être pas mal ça !

J’ai donc trouvé assez vite un superbe portrait de face réalisé par Napoleon Sarony. Formidable, la moitié du chemin est faite. Bon allez plus qu’à trouver une image de profil et le tour est joué. Et là… Rien. Pire que rien même ! Pas un seul portrait de profil. Incroyable. Internet ne contient donc pas tout, ma vie était un mensonge ? J’ai beau chercher, traquer des blogs américains d’amateurs de Wilde, les contacter pour leur demander d’où viennent leurs images, voir avec surprise et joie qu’ils me répondent et me donnent les contacts de divers « wildophiles » et ayants droit, ne recevoir aucune réponse de la part de ces derniers… J’ai même, c’est vous dire, poussé mes recherches au-delà de la troisième page de Google. Je vous le dis, j’ai fouillé partout. Sans succès.

Puis, au hasard d’une conversation avec un ami dans laquelle je lui racontais mes fouilles archéologiques 2.0, ce dernier m’apprend que Wilde ne s’est jamais fait tirer le portrait de profil car, en bon dandy, il avait honte de son embonpoint et en particulier son double-menton. Elle était donc là la clef de l’énigme ! Dans un excès de peau et de tissus adipeux. Vanité, tu seras la ruine de l’homme et tu as manqué de me coûter une couverture ! Car je n’allais pas baisser les bras face à un simple goitre. Qu’auraient dit Buzz et Erik ?

J’ai donc abandonné mes recherches d’un portrait photographique au profit d’une recherche de statue. J’ai farfouillé chez Madame Tussaud, dans le Merrin Square de Dublin mais là encore les photographes en herbe respectaient la volonté de l’auteur. Jusqu’à ce que, probablement au détour de la septième ou huitième page de recherche, je trouve le Graal. Un buste. Et pris sous tous les angles. Faites donc place Alexandre, Temudjin et Tamerlan. Un nouveau conquérant vient taper dans le buffet des vainqueurs !

J’avais tout ce dont j’avais besoin : un profil pour une silhouette, un portrait de face à y insérer car Oscar Wilde méritait amplement de figurer sur la couverture et… voilà (à prononcer avec l’accent de l’anglophone qui parle en français) ! L’œillet figurera sur les rabats intérieurs, un fond blanc pour rester sobre et bien faire ressortir les visages et juste une touche de vert pour le titre.

C’était prêt, il ne restait plus qu’à lire !

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Melchior Ascaride, graphiste 

Livres fantômes

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Mais cette fois, ayant un peu fouillé dans l’ordinateur à la recherche de vieilles images pour une sortie de septembre prochain, j’ai eu envie de vous montrer quelques couvertures… qui n’ont finalement jamais vu le jour : projets abandonnés, collections interrompues, textes pas fournis par les auteurs, etc.  Un p’tit tour dans l’arrière-cuisine.

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L’œillet vert

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Les Moutons électriques qui publient de, de… de la littérature générale ? Mais comment est-ce possible ?! Eh bien, dans le cadre de la collection « Rayon vert » j’aime publier des vieux textes, des textes singuliers et oubliés — et si les deux volumes du Zigomar de Léon Sazie, roman-feuilleton policier précurseur de Fantômas, si inscrivent naturellement, mon goût pour l’univers victorien et la chose anglaise ne cesse de me pousser à farfouiller dans les textes de cette période… Et s’il est une personnalité devenue mythique qui m’attire par-dessus tout, c’est bien entendu Oscar Wilde. J’ai déjà publié en « Rayon vert » deux comédies : Le Grand hôtel Babylon et Le Trésor du Faucon, et n’entendant pas m’interdire quoi que ce soit, il m’a semblé logique de proposer cette autre comédie, non policière cette fois : L’Œillet vert. Les Moutons électriques aiment les limites, les frontières des genres, et l’on ne saurait être plus dans les limites qu’ici… En plein dans le souffre et les scandales que ce que l’on a nommé les Yellow Nineties, ces années 1890 qui virent l’ascension puis la chute du grand Oscar Wilde. Le tout sous la plume d’un auteur, Robert S. Hichens, plutôt renommé pour ses nouvelles de fantastique… c’était pour nous, vous dis-je !

Il y a quelques années, j’avais lu une biographie saisissante : The Secret Life of Oscar Wilde, par Neil McKenna (non traduite). Jamais auparavant, sans doute, la société n’aurait-elle permis que l’on écrive une bio aussi… complète, aussi crue : le portrait de Wilde brossé là incluait très largement son homosexualité, ses outrances, son goût du danger… Et c’est en ces pages fascinantes que j’avais appris qu’à l’époque, Wilde avait lancé une mode de l’œillet vert porté à la boutonnière : trempée dans de l’encre, la fleur  buvait l’encre bleue jusqu’à se teinter en vert, et cet œillet non naturel devenait ainsi le symbole des gays de la bonne société, un signe d’appartenance à cette portion alors interdite des citoyens. Et j’avais appris, également, qu’une connaissance de Wilde, Robert S. Hichens, resté lui « dans le placard », avait eu la perfidie de publier un roman à clef aussi acide qu’hilarant, où il parodiait le grand homme et ses relations mondaines, lord Alfred en particulier. Ce roman n’avait alors jamais été réédité, mais on le trouvait d’occasion dans son unique réédition de 1949. Je résolus donc de faire paraître en français ce court texte, si incroyable, si drôle, si éclairant sur Wilde ! Et le voici, quelques années plus tard.

Yellow Submarine

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En 1983, les photocopieuses (notamment les Xerox) avaient fait des progrès considérables et il était soudain possible d’obtenir de très belles choses. C’est cette nouvelle donne technique qui m’a donné l’envie de réaliser mon propre fanzine. Un jour de mars 1983, je descends donc sur les quais de Bordeaux, non loin de la gare, et j’improvise dans une boutique de reprographie un petit fanzine de huit pages : deux pages pliées en deux, recto-verso. Avouons-le : plutôt que faire une revue, pour laquelle je n’avais encore aucun contenu, je voulais utiliser les possibilités d’impression, m’amuser avec… Même le titre fut improvisé : je n’étais  pas fan des Beatles, c’est juste ce qui m’est passé par la tête à ce moment-là, un titre à la connotation un peu guillerette. Simplement, je voulais qu’il y ait deux mots, pour que l’on puisse facilement l’abréger en deux lettres. De ce point de vue, Yellow Submarine (« YS ») était donc un bon titre, mais j’aurais tout aussi bien pu en choisir un autre… Et pourtant, 33 années plus tard figurez-vous que ce fanzine improvisé sur un coup de tête, il paraît toujours !

Au tout début, il s’agissait juste d’une sorte de « feuille d’infos » sur l’actualité de la SF, puis vers le n°13, on a commencé la formule mensuelle avec « interview-express » et chroniques de livres. Ensuite, aux alentours des numéros 70-80, on a voulu se consacrer à des articles un peu plus importants, plus charnus, à des articles de réflexion. Et surtout, je crois que nous commencions à savoir écrire. Pour donner un peu plus de corps à l’ensemble et assurer la pagination et le rythme de publication, j’avais tissé des partenariats avec des fanzines étrangers : Shards of Babel aux Pays-Bas ; Samizdat au Québec ; et un autre, anglais, Imagination. On s’échangeait du matériel. À noter que c’est à cette époque que j’ai gagné mon surnom de capitaine : c’est l’écrivain anglais Colin Greenland qui commença à m’appeler ainsi. Bref, je traduisais donc pas mal d’articles pour étoffer le fanzine, qui devenait une vraie revue de réflexion autour de la science-fiction. De son côté, Patrick Marcel avait lancé un équivalent fantastique d’YS : Manticora. Il y eut aussi quelques numéros spéciaux. Celui, par exemple, sur la fantasy, coédité avec Manticora. Ou celui sur Christine Renard, décédée en 1979, un écrivain que j’aimais beaucoup. J’avais rencontré son mari quelques temps avant son suicide, qui m’avait confié des documents et des textes inédits que nous avons pu publier. Nous avons réalisé aussi un numéro spécial sur Michel Jeury et un autre sur Serge Lehman. Nous devenions sérieux, quoi ! Au numéro 90, on commençait à véritablement avoir une revue étoffée, et avec la version dos carré, on arriva à quelque chose d’assez satisfaisant.

Et puis un petit éditeur, Étoiles Vives, me proposa d’intégrer le fanzine à sa ligne éditoriale — j’avais envisagé d’arrêter le fanzine, au lieu de quoi il devint un beau livre-revue distribué en librairie, et il continua sa carrière de façon sporadique, passant d’un éditeur à un autre… et aux Moutons électriques finalement. Entre-temps, j’en ai laissé la direction à mon excellent camarade Alexandre Mare, et il commence à révolutionner cette bonne vieille revue. Le n°137 vient de paraître, sur la frontière ténue entre fiction et réalité, et le n°138 devrait voir le jour en avril ou mai, sur la question du langage.

Il y a même une page Facebook, maintenant, c’est fou. C’est un comble : ce sous-marin s’est avéré être… insubmersible !