Une affaire de trois jours (Les récits du Demi-Loup)

Les Récits du Demi-LoupNous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois-ci, Mérédith Debaque vous parle de la réception de la saga de Chloé Chevalier : « Les Récits du Demi-Loup ».

J’aime assez raconter la réception des manuscrits de Chloé Chevalier. Imaginez un peu, je commence à travailler, quelques livres à mettre en page sans doute, et là je vois cette appétissante pile de manuscrits érigée à ma droite. Lire les manuscrits est une expérience intéressante : l’impression de jouer à une sorte de loto littéraire. Il ne s’agit pas de juger de la qualité objective des ouvrages, mais plus d’estimer si l’un des manuscrits convient à la ligne éditoriale des Moutons électriques.

Ce jour-là donc, cette pile me fait de l’œil, et naturellement, abandonnant la quelconque besogne en cours (sans aucun doute essentielle au fonctionnement des Moutons électriques), je me jette dans la lecture des publications potentielles. Deux choses me marquent : premièrement, on y trouve le début d’une saga de fantasy (comme c’est original…), et deuxièmement, l’auteur se nomme « Chloé Chevalier ». L’ironie ne m’échappe pas, et je dois l’avouer, j’ouvre donc un peu rigolard le premier de la série.

72 heures plus tard, je me réveille dans mon fauteuil, plusieurs tasses de café vides à mes côtés, et trois manuscrits de fantasy imprimés éparpillés à côté de moi. Pris dans un maelstrom de lecture boulimique, j’ai dévoré les trois premiers tomes (NdÉ : en réalité, les deux premiers et demi, puisque le troisième n’était pas fini) en 3 jours. Stupéfaction et ravissement, je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de bouquins qui m’ont causé pareil effet vampirisant (et une main à laquelle on aurait tranché, avec application espérons-le, plusieurs doigts).

Puis, après avoir informé le boss ovin de ma franche admiration pour la fantasy de Chloé Chevalier, et mon impérieuse envie de la voir au catalogue, une question vient titiller mon esprit embrouillé : pourquoi moi, un grand bonhomme d’une trentaine d’années, plutôt lecteur de romans concernant d’autres grands bonhommes (ou des grandes bonnes dames) matures et raisonnables, me suis-je laissé happer par le premier tome, Véridienne  ? Il ne s’agit après tout que d’histoire de cinq fillettes, avec tout son attelage de disputes immatures, de bêtises enfantines et d’amourettes d’adolescentes… Pourquoi ai-je suivi ces enfantillages avec une passion vorace ? Facile, vous répons-je (après plus d’un an de réflexion) : Véridienne est une histoire de contrastes, le contraste entre les vanités de nos héroïnes et cette épidémie cruelle, la différence troublante entre leurs béguins naissants et les drames qui frappent leur entourage, leurs préoccupations puériles face à la menace constante de cet Empire mystérieux à l’immensité monstrueuse. Derrière leurs jeux, derrière leur rire, Chloé Chevalier tisse l’enjeu de sa saga. Nos protagonistes jouent, mais entre les cadavres de l’épidémie, elles aiment, mais entre les mensonges, elles rient, mais entre les tragédies passées et à venir… Rien d’étonnant à ce que ce premier tome m’ait happé tout entier pour me recracher plusieurs heures plus tard, heureux lecteur suppliant une suite.

Suite que j’avais sous la main, fort heureusement pour le salut de mon âme.

On dit (par on, j’entends le boss ovin) que les deuxièmes tomes sont souvent les plus faibles, parce que l’on n’y trouve ni exposition ni résolution, juste une continuité. Ce n’est pas le cas des Terres de l’Est. Si je devais le qualifier, ces quelques termes suffiraient : « Une promesse tenue ». Tout le potentiel dramatique que Chloé Chevalier cachait sous le voile déformant du regard des cinq jeunes filles, rejaillit ici avec force, au fur à mesure qu’elles grandissent et qu’elles constatent de leurs yeux plus lucides, moins innocents, l’état du royaume. Des caractères tracés encore en pointillés s’affirment, les secrets se révèlent. Indéniablement, Chloé Chevalier sait raconter des histoires. J’ai été étonné (et franchement admiratif), devant sa capacité à jouer avec la forme de son récit, un mélange, parfois savamment chaotique, d’épistolaire et de journaux intimes, pour créer une intrigue puissante. Derrière chaque ligne pèse un couperet, dont le balancement mortel annonce le destin qui attend nos cinq fillettes, destin qui ébranle déjà considérablement dans ce tome le Demi-Loup.

Ce fatal mouvement m’a captivé durant toute ma lecture. Ce fut une affaire de trois jours.

Mérédith Debaque, assistant éditorial des Moutons électriques

PS : Et non, je ne vous parlerai pas du troisième, il est trop tôt, et je n’en ai lu que la moitié, qui était fort bien d’ailleurs et… mais chut.
Vous aussi, découvrez le Demi-Loup :  http://www.moutons-electriques.fr/livre-356 et http://www.moutons-electriques.fr/livre-410

Une histoire de profil, par Melchior Ascaride

oeillet vert blogNous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre…

D’HABITUDE chez Les Moutons électriques, on s’occupe de fantasy et de science-fiction. Mais voilà qu’un jour je reçois un e-mail dans lequel André-François Ruaud me demande de m’occuper de la couverture d’un roman n’ayant rien à voir avec les genres susnommés, intitulé L’œillet vert, suivi d’un descriptif du livre sachant que ce dernier était toujours en cours de traduction. De sa première traduction en français, excusez du peu ! Et donc de sa première édition française, plus d’un siècle après sa première parution. Je suis certes en terra incognita, mais après lecture de l’e-mail je me dis « Ce soir, je dîne avec Christophe Colomb, Erik le Rouge et autres Buzz Aldrin ! ». Bon, à la table des enfants certes, mais tout de même !

Seulement je fais quoi avec ce livre ? Le titre pourrait être bêtement transposé en image après tout. Malheureusement, piètre horticulteur que je suis, je serais bien en mal de reconnaître un œillet si j’en voyais un. Et puis l’idée d’un personnage fictif (Esmé) dont les lignes proviennent d’un personnage réel (Wilde) m’intéressait bien plus. Donc j’ai réfléchi à une composition qui imbriquerait deux visages de ce cher Oscar. Par exemple une photo de face et une de profil mélangées. Ça pourrait être pas mal ça !

J’ai donc trouvé assez vite un superbe portrait de face réalisé par Napoleon Sarony. Formidable, la moitié du chemin est faite. Bon allez plus qu’à trouver une image de profil et le tour est joué. Et là… Rien. Pire que rien même ! Pas un seul portrait de profil. Incroyable. Internet ne contient donc pas tout, ma vie était un mensonge ? J’ai beau chercher, traquer des blogs américains d’amateurs de Wilde, les contacter pour leur demander d’où viennent leurs images, voir avec surprise et joie qu’ils me répondent et me donnent les contacts de divers « wildophiles » et ayants droit, ne recevoir aucune réponse de la part de ces derniers… J’ai même, c’est vous dire, poussé mes recherches au-delà de la troisième page de Google. Je vous le dis, j’ai fouillé partout. Sans succès.

Puis, au hasard d’une conversation avec un ami dans laquelle je lui racontais mes fouilles archéologiques 2.0, ce dernier m’apprend que Wilde ne s’est jamais fait tirer le portrait de profil car, en bon dandy, il avait honte de son embonpoint et en particulier son double-menton. Elle était donc là la clef de l’énigme ! Dans un excès de peau et de tissus adipeux. Vanité, tu seras la ruine de l’homme et tu as manqué de me coûter une couverture ! Car je n’allais pas baisser les bras face à un simple goitre. Qu’auraient dit Buzz et Erik ?

J’ai donc abandonné mes recherches d’un portrait photographique au profit d’une recherche de statue. J’ai farfouillé chez Madame Tussaud, dans le Merrin Square de Dublin mais là encore les photographes en herbe respectaient la volonté de l’auteur. Jusqu’à ce que, probablement au détour de la septième ou huitième page de recherche, je trouve le Graal. Un buste. Et pris sous tous les angles. Faites donc place Alexandre, Temudjin et Tamerlan. Un nouveau conquérant vient taper dans le buffet des vainqueurs !

J’avais tout ce dont j’avais besoin : un profil pour une silhouette, un portrait de face à y insérer car Oscar Wilde méritait amplement de figurer sur la couverture et… voilà (à prononcer avec l’accent de l’anglophone qui parle en français) ! L’œillet figurera sur les rabats intérieurs, un fond blanc pour rester sobre et bien faire ressortir les visages et juste une touche de vert pour le titre.

C’était prêt, il ne restait plus qu’à lire !

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Melchior Ascaride, graphiste 

Livres fantômes

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Mais cette fois, ayant un peu fouillé dans l’ordinateur à la recherche de vieilles images pour une sortie de septembre prochain, j’ai eu envie de vous montrer quelques couvertures… qui n’ont finalement jamais vu le jour : projets abandonnés, collections interrompues, textes pas fournis par les auteurs, etc.  Un p’tit tour dans l’arrière-cuisine.

149 257  231Couv-Goudgecouv-Venise263  230Couv Steampunk 2Couv-Pôles  couv-Zenda-Helios

 

L’œillet vert

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre…

Les Moutons électriques qui publient de, de… de la littérature générale ? Mais comment est-ce possible ?! Eh bien, dans le cadre de la collection « Rayon vert » j’aime publier des vieux textes, des textes singuliers et oubliés — et si les deux volumes du Zigomar de Léon Sazie, roman-feuilleton policier précurseur de Fantômas, si inscrivent naturellement, mon goût pour l’univers victorien et la chose anglaise ne cesse de me pousser à farfouiller dans les textes de cette période… Et s’il est une personnalité devenue mythique qui m’attire par-dessus tout, c’est bien entendu Oscar Wilde. J’ai déjà publié en « Rayon vert » deux comédies : Le Grand hôtel Babylon et Le Trésor du Faucon, et n’entendant pas m’interdire quoi que ce soit, il m’a semblé logique de proposer cette autre comédie, non policière cette fois : L’Œillet vert. Les Moutons électriques aiment les limites, les frontières des genres, et l’on ne saurait être plus dans les limites qu’ici… En plein dans le souffre et les scandales que ce que l’on a nommé les Yellow Nineties, ces années 1890 qui virent l’ascension puis la chute du grand Oscar Wilde. Le tout sous la plume d’un auteur, Robert S. Hichens, plutôt renommé pour ses nouvelles de fantastique… c’était pour nous, vous dis-je !

Il y a quelques années, j’avais lu une biographie saisissante : The Secret Life of Oscar Wilde, par Neil McKenna (non traduite). Jamais auparavant, sans doute, la société n’aurait-elle permis que l’on écrive une bio aussi… complète, aussi crue : le portrait de Wilde brossé là incluait très largement son homosexualité, ses outrances, son goût du danger… Et c’est en ces pages fascinantes que j’avais appris qu’à l’époque, Wilde avait lancé une mode de l’œillet vert porté à la boutonnière : trempée dans de l’encre, la fleur  buvait l’encre bleue jusqu’à se teinter en vert, et cet œillet non naturel devenait ainsi le symbole des gays de la bonne société, un signe d’appartenance à cette portion alors interdite des citoyens. Et j’avais appris, également, qu’une connaissance de Wilde, Robert S. Hichens, resté lui « dans le placard », avait eu la perfidie de publier un roman à clef aussi acide qu’hilarant, où il parodiait le grand homme et ses relations mondaines, lord Alfred en particulier. Ce roman n’avait alors jamais été réédité, mais on le trouvait d’occasion dans son unique réédition de 1949. Je résolus donc de faire paraître en français ce court texte, si incroyable, si drôle, si éclairant sur Wilde ! Et le voici, quelques années plus tard.