La ville peu de temps après

La Ville peu de temps après est un roman de Pat Murphy, première des utopies que nous publions cette année. Son traducteur, Patrick Marcel, nous en dit quelques mots.

“It’s an odd thing, but anyone who disappears. is said to be seen in San Francisco. It must be a delightful city and possesses all the attractions of the next world.” C’est étrange, mais dès que quelqu’un disparaît, on raconte qu’on l’a vu à San Francisco. Ce doit être une ville charmante, dotée de tous les attraits de l’autre monde.
Oscar Wilde (De l’importance d’être Constant)

San Francisco a toujours été une utopie. Depuis les premiers temps où quelqu’un a découvert la première pépite d’or par accident sur les terres de John Sutter et où la petite bourgade de Yerba Buena a enflé jusqu’au chaos de San Francisco la ville de l’or, ce terme de la marche vers l’Ouest où la loi a tardé à arriver était le refuge de ceux qui sortaient du système, des aventuriers, des bandits et des rêveurs. Excentriques et rêveurs y ont de tout temps prospéré : un des premiers écrivains de science-fiction professionnels, Robert Duncan Milne, a vécu (et est mort) là-bas, un empereur des États-Unis, Joshua Norton, y a coulé des jours heureux, respecté par la population. Le San Francisco sauvage du temps de la Côte barbare a été en grande partie anéanti par le tremblement de terre de 1906, mais l’aspect décalé est resté en sourdine.

Il est véritablement revenu en force avec les années cinquante et soixante : les mouvements beatnik à North Beach puis hippie à Haight-Ashbury s’y sont implantés, nombre d’auteurs de SF et de fantastique y ont habité, parmi lesquels on retiendra surtout Fritz Leiber qui, dans son Notre-Dame des Ténèbres, charge la ville d’une inoubliable magie spécifique. Depuis, elle a été investie par d’autres rêveurs, les compagnies informatiques, et le rêve a peut-être dérapé. L’avenir le dira.

Le roman de Pat Murphy s’inscrit avant ce tournant récent, et décrit un futur antérieur parallèle, né d’une déviation à la fin des années 80, l’ordinateur est encore dans ses balbutiements. C’est un idéal, une utopie implantée sur des fondations tragiques qui ne nous dépayseront plus autant, à l’heure actuelle. La ville est colonisée par les rêveurs, ceux à qui elle appartient de droit. Elle offre une sorte d’équilibre rêvé entre civilisation et retour à une vie simple, un havre situé à mi-chemin entre urbanisme et nature, comme cette cathédrale changée en serre le symbolise.

Mais c’est un équilibre dynamique, maintenu par la tension permanente entre le caractère idyllique des lieux et les constants rappels de la catastrophe qui l’a rendu possible : ses épaves, ses squelettes et ses décombres.

Ville de rêveurs, ce cocon de maisons et d’immeubles réapproprié par la végétation est aussi une ville vivante, stimulée par la présence de ces habitants fantasques, qu’elle accueille et protège. Elle résonne de leur présence, de leurs rêves et de leurs souvenirs. Ce grand écart entre la vie et la mort la définit et reflète toute la dramaturgie du roman, qui va devoir faire coexister des idéaux de non-violence avec une défense contre des ennemis sans remords. Cette dualité du yin et du yang sert de fascinant moteur à l’intrigue, du début à la fin. Un principe de vie est aussi héraut de mort, un code de conduite généreux court le risque d’être fatal, une dramaturgie peut se retourner contre qui l’exploite, la paix demande des sacrifices.

Une grande partie de la force de Pat Murphy dans ce roman vient de la voix simple, douce, avec laquelle elle raconte l’histoire. Elle ne hausse pas le ton dans les moments dramatiques et le contraste entre ce qu’elle raconte et la douceur de de sa narration, la sérénité d’un grand lama quelque part dans les hauteurs de l’Himalaya, peut-être, ou celle des brouillards qui encoconnent le dédale des rues, articule la tension ressentie à la lecture. C’est sans doute la difficulté essentielle que j’ai rencontrée en traduisant l’ouvrage : demeurer dans un registre simple, quotidien, respecter l’allure calme et aisée à laquelle est mené ce conte de fées aux aspects naïfs délibérés qui côtoient une cruauté assurée.

Sans élever la voix, ce roman va s’imprimer dans vos mémoires.

Entretien avec Élisabeth Vonarburg

Le 19 février, les Moutons électriques rééditent en deux beaux et gros volumes à la souples et colorés les 5 romans qui forment le cycle de Tyranaël, plus comme en bonus le recueil de contes qui va avec. Cette œuvre majeure de la science-fiction francophone n’était jamais parue qu’au Québec : la voici qui arrive enfin en Europe, et nous avons un peu interrogé Élisabeth Vonarburg à cette occasion.

– Si nous avons bien compris, le sujet de base de Tyranaël est né lors d’un rêve, dans votre jeunesse ?

Après avoir découvert la science-fiction et, moindrement, la fantasy, à quinze ans (via Le Matin des Magiciens de Pauwels et Bergier), j’en ai lu de manière intense pendant un an, et j’ai ensuite en effet fait ce rêve dont il ne m’est resté qu’une phrase de deux lignes à peine.

– Et vous avez ensuite rédigé une masse considérable de texte ?

On s’entend bien : on parle ici de l’origine du bidule, il y a cinquante-sept ans. Je ne vais pas prétendre en avoir un souvenir net. La phrase oui, parce que je l’avais consignée dans mes carnets zintimes de l’époque. Mais ce que j’ai fait ensuite… L’histoire que je me raconte est celle-ci : j’ai tout de suite imaginé quelque chose de gigantesque (il y avait tout une planète !), et des nouvelles de tailles inégales avec des ellipses temporelles entre elle pour raconter l’histoire. J’ai commencé une liste de personnages, en les décrivant physiquement et psychologiquement, en leur donnant un passé… Mais surtout j’ai dessiné une carte de la planète au complet, sur laquelle il fallait placer des noms et j’ai donc commencé à inventer la puis les langue(s) de cette planète. Tout ça en même temps, une chose menant à l’autre : un nom de lieu donne une histoire, qui donne des personnages dont il faut trouver le nom qui leur donne une histoire qui les envoie dans des lieux et ça recommence. La création de monde, en fiction, ne se fait pas en sept jours bien ordonnés (sauf chez les maniaques). C’est un processus chaotique, tourbillonnaire… et qui a duré en l’occurrence des années, pour moi, avec des modifications incessantes du substrat “scientifique” qui modifiait les histoires, ce qui amenait à d’autres modifications du substrat etc., plus les lectures, fiction ou non-fiction, les apprentissages personnels, tout le barda. Quelques-uns de ces brefs “ur-textes” rédigés entre seize et dix-huit ans peuvent se lire sur mon site de nooSFere.

Dans la mesure où c’était juste une méga-histoire que j’avais envie/besoin de me raconter à moi-même sans souci de publication ou même de lecture par autrui, dans la mesure où ça a été mon refuge pendant les années difficiles de la fin d’adolescence et début d’adulteté, il n’y avait pas de limites. Quel pied ! Et Pierre Versins, qui avait lu la toute première version, m’avait dit “Continue, tu as encore beaucoup d’histoires à raconter” – la permission d’écrire ! Les textes ont donc été écrits, et réécrits, et allongés, sur une période de quatorze ans pour la “dernière” version, une trilogie d’environ 1500 pages. C’était la quatrième version. Je les écrivais du début à la fin puis de la fin au début etc. – c’était possible puisque c’était modulaire – et j’ai donc terminé par le début la quatrième version ! Après quoi j’ai rangé, avec une certaine mélancolie. J’avais beaucoup appris avec ces histoires, dont le décor et les personnages me restaient chers comme une enfance ou une origine inventée, j’avais appris à écrire et j’avais appris en grande partie quels étaient les motifs qui m’animaient. Mais j’avais trente ans, j’avais terminé, et je pouvais sans doute passer à autre chose. Et puis, 1978, c’est l’année où une femme s’est révélée être James Tiptree Jr, et où les questionnements féministes commençaient à sérieusement me turlupiner. Ce qui deviendrait Chroniques du Pays des Mères est né à ce moment-là, et Le Silence de la Cité en a découlé. Qui a gagné ses prix au Québec et en France au début des années 80. Tout qui s’est enclenché là (avec aussi la chanson, qui a pris beaucoup de place pour moi pendant une décennie et demie, et le doctorat en création) m’a emmenée ailleurs.

– Quel tri avez-vous effectué en fin de compte et n’y aurait-il pas eu matière à écrire encore d’autres volumes dans ce cycle, pourquoi vous être arrêtée à cinq romans ?

Cinq romans c’est déjà beaucoup (trop, diront d’aucunes) ! Il n’y a pas eu de tri, puisqu’en réalité l’ensemble est le résultat d’un processus d’accrétion qui s’est donc étalé, pour la version publiée, sur trente-quatre ans. Le seul texte mis à part, ou du moins une version mise à part de ce qui s’est retrouvé en partie sous une autre forme dans l’ensemble, a été publié dans L’Année 1990 de la science-fiction et du fantastique québécois (« Un bruit de pluie »). Il y a eu réarrangements des modules qui sont devenus des chapitres dans des parties dans des volumes, mais pas de tri. Et certes, il y aurait eu de quoi écrire davantage – j’ai d’ailleurs écrit certains des contes et mythes évoqués dans la pentalogie, en y ajoutant quelques autres (Contes de Tyranaël) ; et j’ai écrit au moins une nouvelle (de fantasy !) dans le cadre de Tyranaël (“La mort aux dés”, Solaris #171, 2009). Il y a l’exemple de Tolkien, n’est-ce pas. Mais je n’allais pas faire un Silmarillion ! je dirais que mon investissement n’était pas du même ordre. J’ai envisagé, à un moment d’assèchement scriptural caractérisé, d’écrire des nouvelles qui se passeraient sur Tyranaël ou Virginia, après les événements de la pentalogie. Je les ai même imaginées. Ça m’a nourrie pendant un moment. Mais je ne les ai pas écrites, et je ne les écrirai pas. J’aurais l’impression d’exploiter. Ce serait quelque chose… d’outilitaire. Ces histoires imaginées existaient seulement pour moi, pour me servir de béquille psychologique pendant un temps, elles n’existaient pas vraiment par elles-mêmes, elles n’avaient pas… comment dire… leur propre étincelle de vie. Évidemment, cette étincelle vient toujours de moi, des Tréfonds de mon Subplancher, mais pour que je puisse écrire une histoire, même maintenant, il faut qu’il y ait ce mouvement intérieur, ce besoin qui n’est pas simplement celui de me faire plaisir, ou de me réconforter (comme ces histoires tyranaëliennes avortées, donc). J’ai quelque chose à me dire, et je dois trouver quoi en écrivant l’histoire, ou enfin, en la remue-méningeant, d’abord, puis en l’écrivant.

– À quel moment, sur quelle impulsion, Tyranaël est-il passé du stade d’univers personnel et intime au matériau de fictions à publier ? Est-ce un éditeur qui vous a poussée, ou bien d’autres circonstances ?

En 1994-5, Jean Pettigrew sévissait chez un éditeur québécois où il dirigeait une toute nouvelle collection de genre. II cherchait de quoi publier. Il m’a dit : “Tu n’as pas un grand machin qui traîne depuis des lustres, toi, Tyranaël ?” C’était un peu l’Arlésienne de la SFFQ, ce non-bouquin. On savait que ça existait, des petits extraits en avaient été publiés (« Marée Haute », Requiem #19, 1978), “L’œil de la nuit” (qui est en partie la conclusion du dernier volume final) avait gagné en 1977 le prix Dagon, (futur prix Solaris), Norbert Spehner, qui avait lu l’avant-dernière version de 1978, avait manifesté publiquement son enthousiasme… J’ai pensé ah tiens oui pourquoi pas. Non, en fait, je ne sais plus ce que j’ai pensé, Mais l’histoire que je me suis racontée après, c’est que je me suis dit “bon, j’ai cinquante ans, il serait peut-être temps de voir si cette chose tient toujours le coup et où j’en suis par rapport à mon enfance littéraire”. Ce qui est sûrement plus décoratif comme motif que, “yé, trois volumes, je vais me faire un peu de fric”, tout en n’étant pas faux. J’ai donc relu le bidule et, à ma grande surprise – et joie –, tout cela me parlait encore. Le mouvement intérieur était là, ce qui voulait dire que je n’en avais pas vraiment fini avec ces histoires. Je me suis donc allègrement embarquée dans le truc. Avec la volonté bien arrêtée d’affermir son aspect SCIENCE-fictionnel. J’avais un ami scientifique galopant, écosystématicien, le formidable Norman Mohlant. Il a accepté de m’aider et je lui en suis éternellement reconnaissante : cette dernière et ultime version ne serait absolument pas ce qu’elle est sans lui. Notre interaction a été la plus fructueuse de toutes celles que j’ai pu connaître dans le domaine : mon imagination rebondissait sur son savoir, ses spéculations scientifiques sur mon imagination et de hop en hop… c’est devenu cinq volumes (ce qui n’était pas prévu au départ.)

– Et un oratorio ? Il y a un oratorio ? Comment un tel projet est-il né ?

Eh oui, il y a un oratorio de Tyranaël, créé en 1999. J’ai à Chicoutimi un ami excellent musicien et compositeur, Jean-Pierre Bouchard, avec qui j’ai travaillé à plusieurs reprises. Et il m’a proposé ce projet. J’ai accepté avec une enthousiaste curiosité. Et je n’ai pas été déçue ! Le texte parle de celles et ceux qui partent avec la Mer pour s’y fondre. Très lyrique… Un an après la mort de ma mère. Il y avait comme un rapport.

De la suite dans les idées

De mon point de vue, être éditeur c’est notamment un « jeu » sur le long terme : une construction de longue haleine, pas des stratégies et des réactions seulement dictées par une actualité ou un contexte ponctuel, mais véritablement des envies et des idées à conduire sur plusieurs décennies. Des œuvres et, plus globalement, des réflexions sur la « chose littéraire », qui me travaillent personnellement depuis longtemps et auxquelles je veux donner corps.

Cette année en particulier, je devrais (touchons du bois) avoir la satisfaction en tant qu’éditeur et en tant que lecteur de réaliser toute une série de souhaits anciens. Ces vœux de longue date, ils prennent l’aspect de la publication d’un certain nombre de romans que j’admirais et avais envie d’éditer depuis un bail. Ah bien sûr, ça ne marche pas toujours : si je vous disais par exemple que deux des romans que j’avais envie de publier depuis des lustres parurent finalement… chez d’autres éditeurs ? Ce fut le cas du toujours trop méconnu Arslan de M. J. Engh, chef-d’œuvre brutal et sidérant traduit chez Denoël il y a quelques années ; et du « culte » Mermère d’Hugo Verlomme, réédité il y a peu par nos amis d’ActuSF, que j’ai donc copieusement maudits.

Enfin, vient de partir chez l’imprimeur La Ville peu de temps après de l’autrice californienne Pat Murphy, un roman que j’admire depuis sa parution d’origine et dont j’avais acheté un exemplaire chez un libraire bordelais chez qui j’avais été stagiaire — je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans etc. Je l’ai lu et relu et rerelu, ce roman, cette belle utopie si originale qu’elle tient à la fois de la SF post-apo et du réalisme magique, et dont le traducteur Patrick Marcel me disait que la fin lui avait même tiré une petite larme.

Un peu avant, paraît en deux pavés souples et colorés le cycle de Tyranaël par Élisabeth Vonarburg : nos amis de chez Mnémos publient d’autres œuvres de cette immense autrice, mais je tenais absolument à « faire » Tyranaël, saga de SF en cinq romans qui n’était jamais parue qu’au Québec et dont j’avais à l’époque tout bonnement ralenti ma lecture (!) tant je ne voulais pas quitter cet univers — incroyablement accompli et complet, à la fois totalement captivant et littérairement riche, la construction de deux sociétés. Une œuvre à l’égale des plus belles d’Ursula Le Guin, pour faire une comparaison — enfin, je vous laisse découvrir tout cela : les deux volumes sortent mi février, et ils comprennent aussi en « bonus » un recueil de contes de ce monde.

Sur mai-juin, ce sera encore l’époque des désirs enfin accomplis : quatre utopies, rien que ça ! Lisière du Pacifique de Kim Stanley Robinson a été refusé à l’époque par ses deux éditeurs français, qui n’en appréciaient pas le point de vue « politique » (il s’agit d’une société écologiste) et, depuis, je rêvais d’en devenir l’éditeur — j’en avais discuté avec Patrice Duvic, le co-créateur des Moutons, puis avec David Camus qui fut l’un des traducteurs de l’auteur, puis encore avec Julien Bétan, mon ancien « numéro deux »… Mais notre maison n’étant guère portée sur les traductions de romans étrangers (leurs préférant la créa francophone), en définitive c‘est maintenant seulement que ce projet aboutit, et pile à temps pour s’inscrire au sein d’une année qui chez nous se consacre largement aux utopies contemporaines, les « écotopies » dont notre monde aurait tant besoin nous semble-t-il. Écotopies également, en poches Hélios, avec coup sur coup Transit de Pierre Pelot, L’Univers-ombre de Michel Jeury (encore deux romans « cultes » pour moi, des œuvres solaires et très actuelles qui ont eu des histoires éditoriales un peu bousculées — également parce que politiquement ils ne plaisaient guère — et que je suis aux anges de publier) et L’Œil du héron d’Ursula Le Guin (qu’adorent mes collaborateurs Christine Luce et Mérédith Debaque, et qui va s’inscrire en Hélios aux côtés d’autres titres de cette grande dame, dont un recueil de nouvelles qui sort le même mois sous l’égide d’ActuSF).

Besoins d’utopie et désirs réalisés : pourvu que la réalité sanitaire ne vienne pas encore contrarier un aussi beau programme…

La suite du programme

Chères lectrices, chers lecteurs, permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter une bonne année 2021, que j’espère meilleure que 2020. Ce qui, entre nous, ne devrait pas être bien dur. Pour faire suite au mot d’André-François Ruaud, directeur des Moutons électriques, je prends la plume pour vous parler un peu programme à venir.

Vous le savez, depuis quelques années à présent est arrivée chez nous une nouvelle collection, la « Bibliothèque dessinée », vous proposant des courts romans graphiques où le texte et l’image fonctionnent en symbiose. Née de Tout au milieu du monde, la collection n’a eu de cesse de s’étoffer, lentement mais sûrement, et nous sommes ravis de l’accueil que vous avez réservé à ces titres ovniesques jetant des ponts entre la littérature, la bande-dessinée, la narration de type cinéma et, au final, toutes les formes d’expression possibles.

Cette collection nous tient à cœur, car elle permet de réunir en un seul petit volume toutes les passions de l’équipe des Moutons, à savoir la littérature, le dessin, le graphisme et un traitement sérieux et multiple de la culture populaire. Aussi nous continuons, sans cesse, de réfléchir à de nouveaux titres, que ce soit des créations ou des adaptations, deux exercices à l’approche très différente mais ô combien fascinante. L’an dernier, nous vous avions proposé trois titres réunissant en tout sept auteurs et autrices : Désolation, adaptation de la nouvelle de Jean-Philippe Jaworski par votre serviteur ; Frantz, dans lequel Sébastien Hayez s’est accaparé de la plus personnelle des manières l’incroyable récit du titan français de la science-fiction qu’est Dominique Douay, et enfin Sunk, l’OVNI total de Sabrina Calvo & Fabrice Colin, et Arnaud Cremet au dessin, que nous avons réédité dans une version complètement revue et augmentée.

Cette année, particulière pour nous comme vous l’avez déjà lu, nous ne délaissons pas le moins du monde cette collection puisque nous remettons le couvert avec trois nouveaux titres qui je l’espère, sauront vous ravir. Parlons-en un peu.

Nous inaugurons l’année avec, en février, une nouvelle adaptation de Jean-Philippe Jaworski, figure de proue de la fantasy francophone auquel nous continuons de rendre hommage tant son œuvre déborde de qualités. Sébastien Hayez reprend du fusain dans Le Service des dames (venu de Janua Vera). Ce texte, bien que constitutif du cycle du Vieux Royaume, se détache de tout élément de pure fantasy pour renouer avec un genre tout à fait français : le récit de chevalerie. Mais si l’on lorgne plus vers Le Roman de la Rose que vers Tolkien, nous sommes toujours bel et bien chez Monsieur Jaworski. Après son étonnant traitement de Frantz, Sébastien Hayez revient à un rendu plus traditionnel au fusain, et livre des compositions graphiques éthérées, parfois presque vaporeuses, où le noir et l’orange s’affrontent dans un magnifique clair-obscur. Très atmosphérique, ce volume livre de magnifiques fulgurances lumineuses, parfois ambigües, parfois violentes pour mettre en avant ce superbe texte où le fer et les mots s’entrechoquent avec fureur.

Enfin, comble du plaisir, c’est l’occasion de renouer avec le personnage du Chevalier aux Épines, qui sera le protagoniste du prochain roman de Jean-Philippe Jaworski, qui revient au Vieux Royaume, c’est officiel !

Puis vient, en mars, Eurydice déchaînée sur lequel j’officie en solo. Puisant dans les mythes grecs, je vous propose une relecture du mythe d’Orphée et Eurydice, retraçant l’histoire (tue par les Grecs) de la dryade abandonnée par son époux aux Enfers. Je vous embarque dans un récit de vengeance à travers le monde souterrain, dans un récit plein de monstres, de figures mythologiques et de colère où les mythes sont parfois tordus, parfois laissés tels que nous les connaissons, dans leur plus pure horreur et leur injustice la plus crue, et où la quête personnelle prendra une ampleur bien plus universelle. Tout comme j’ai modifié mon approche graphique entre Tout au milieu du monde et Ce qui vient la nuit, je change à nouveau mon fusil d’épaule pour une approche où je renoue avec mes premières amours : la bande-dessinée. Dans ce voyage en noir et bleu, vous trouverez de nombreuses inspirations que je vous laisse le soin de découvrir, quelques clins d’œil, çà et là, que je ne pouvais décemment pas laisser passer et surtout, ma première expérience d’écrivain. Inutile de vous dire que si je suis extrêmement fier que les Moutons m’aient offert cette opportunité, je redoute, non sans une certaine excitation, le moment où vous tiendrez le livre dans vos mains !

Enfin, en mars toujours, nous vous proposons dans le cadre de nos utopies un texte de Michel Jeury que Greg Vezon met en images : La Fête du changement. Nouveau dans la collection, Greg ne l’est pas pour autant dans l’édition car il officie, entre autres, comme graphiste de couverture chez L’Arbre vengeur. Vous avez d’ailleurs déjà eu un aperçu de son travail parmi les illustrations de notre Matière de Léomance. Dans cette utopie sociale de l’une des figures majeures de la science-fiction francophone des années 70-80, l’Homme change pour que le monde change. Rien ni personne ne reste figé et, comme le dit le titre, ce changement est une fête. Et l’autre fête, c’est le travail de Greg. En noir et corail, ses images convoquent à la fois le design et années 60 et le flat design, résurgence contemporaine de cette décennie d’or du graphisme. En ressort, via ce traitement quelque peu retro et pourtant très actuel, une certaine douceur, parfois presque mélancolique, où la nécessité du changement se traduit par des courbes élégantes, où le trait ondule en même temps que la pensée.

Trois œuvres, trois approches différentes, radicales et très personnelles, qui, à n’en point douter sauront allumer des étoiles dans vos yeux. Voilà ce que la « Bibliothèque dessinée » vous réserve pour l’année à venir, et croyez bien que nous avons encore d’innombrables projets en réserve, dont trois arriveront à l’aube de 2022.