Un extrait d’Enterrée Vivante ! et des précisions de Christine Luce

ctiation lermina

Christine Luce, collaboratrice des Moutons électriques et du blog : « L’Amicale des Amateurs de Nids à Poussière » cite cet extrait saisissant de Enterrée Vivante ! de Jules Lermina (http://www.moutons-electriques.fr/livre-376) :

 

 


 

« Toute grande ville, si luxueuse, si régulière qu’elle s’affirme, a ses coins de désordre, tant moral qu’architectural. Londres a ses Seven Dials et les taudis de Green Lane et d’Hounsditch, Paris a ses ruelles de la place Maubert, ses cloaques des rues Saint-Denis et Saint-Martin, ses Maubuée et ses Venise.

New-York, quoique ville moins ancienne, a, tout proche de ses plus magnifiques voies, de Broadway, de Madison, d’Union Park et de Wall Street, la rue des affaires, une agglomération, un faubourg intérieur, refuge des gredins, exploiteurs, vagabonds, aigrefins qui pullulent dans toutes les capitales.

Il s’appelle le Bowery.

C’est plutôt une place, en ellipse irrégulière, dans laquelle grouillent tous les spécimens de la malechance humaine, de toutes les nations aussi, évadés des misères d’ailleurs pour venir croupir dans celle d’ici, Américains du Nord, du Sud, décavés des mines de l’Ouest, épaves des entreprises milliardaires retombées au bas-fonds de l’égout, Chinois, métisses, mulâtres, puis une colonie juive, auprès de laquelle celle des environs de Cheapside, à Londres, paraîtrait élégante.

Boutiques crasseuses, bazars puants, tavernes borgnes, hôtels d’allures invraisemblables, Bowery et ses rues adjacentes, Mulberry et Boxler, sont le réceptacle de toutes pourritures, l’alambic de toutes ivrogneries, le fourneau où mijotent les projets les plus criminels.

Là, se blottissent, tranquilles, et à l’abri de la police, les outlaws de tout acabit, depuis le bandit oublié jusqu’au swell, l’escroc, qui sort de son repaire sous un costume acceptable, va faire sa tournée en ville, et selon que la chance l’a ou non favorisé, reste en un hôtel de Broadway ou revient se terrer dans son taudis. »

 

 

Elle rajoute en commentaire :

« Lermina est un as de la description, il maîtrise l’art de camper en quelques lignes un décor plus tangible que ceux en carton-pâte d’un vieux muet.

Une description que Jules Lermina a peut-être empruntée aux photos de Jacob Riis, émigrant danois parvenu à devenir journaliste d’investigation, pour la police, puis s’engageant dans une croisade solitaire, pour réveiller la conscience des New Yorkais. Le livre qu’il finit par réussir à publier en 1880 fut pour beaucoup dans l’attention qu’on accorda enfin aux immigrants qui vivaient là, dans le Lower East Side. Le livre était titré  How the Other Half Lives  : « Comment l’autre moitié vit ». Étonnamment, ce titre est inspiré par un vieux classique français, La Vie de Gargantua et de Pantagruel de notre Rabelais : « la moytié du monde ne sait comment l’autre vit ».

Image lermina

Lermina insiste sur la répulsion classique quand il décrit Bowery la première fois, il va doucement la contourner dans la suite de ce récit paru dans La Vie d’Aventures, en 1907 et permettre aux lecteurs sérieusement touchés par les préjugés de mettre le doigt sur les méfaits de la misère dont ils sont responsables en grande partie. Bon, je me répéterai en disant que ces préjugés resurgissent de plus belle un siècle plus tard comme si le passé n’avait pas déjà administré la leçon. »

Pour commander ce tirage limité, c’est sur le site des Moutons à cette adresse : http://www.moutons-electriques.fr/livre-376