Dévoreur de Stefan Platteau (http://www.moutons-electriques.fr/livre-359), la magie des astres canalisée dans des mots :
« Il a surgi de derrière la bâtisse, trottinant d’un pas souple : un énorme chien sombre, plus grand que mes ânes, au pelage totalement noir, je veux dire, noir d’absence, noir de néant. Il n’en luisait que deux yeux de perle, qui feignaient de ne pas me regarder, et dedans la gueule deux rangées de dents semblables à des lignes de crêtes. Par quelque caprice de la nature, sa robe ombreuse avait laissé nue la peau de ses mâchoires, mauve et ocre, maladive, tendue comme parchemin sur l’os. Il arrivait sur moi d’une allure apparemment décontractée, mais en réalité rapide et suffisamment directe pour que je sente venir la menace. J’ai perçu son odeur : celle du feu et des scories de métal, celle du sang sur la fourrure. Une peur paralysante m’a serré le coeur. J’ai juste pensé que j’allais finir en barbaque dans l’instant.
Le vent a soufflé comme un goût de sel sur mes lèvres ; et alors, le chien s’est mis à parler. Ou plutôt, à murmurer dans le vent. Sa voix n’émanait pas seulement de son robuste poitrail : elle montait du sol en grondant, s’enflait dans l’air en dilatant les constellations. Mais il s’adressait à moi seul, et tandis qu’il discourait, je voyais pulser au fond de son gosier un soleil sombre en suspens. Il me disait des choses, des choses… qui me faisaient frémir d’horreur et de répulsion. Il m’invitait, au mépris du sens commun, à découvrir et à commettre… à aiguiser… à goûter… à transgresser… à accomplir… eh bien, quelque chose de totalement nouveau. J’étais en nage, les braies et la chemise me collaient à la peau ; toute mon eau me fuyait le corps. La bête m’a montré un avenir tellement choquant, tellement extraordinaire, que mes sens s’en sont voilés, et que j’ai connu un moment d’absence. »