Nous avons eu l’idée de poser une série de brèves questions à nos auteurs — et d’en distiller les réponses au fil des jours et des semaines.
– Un livre que vous lisez en ce moment
Pas en ce moment, mais très récemment : The Mermaid and Mrs Hancock, un magnifique roman d’Imogen Hermes Gowar qui raconte la rencontre improbable, dans le Londres du XVIIIe siècle, d’un riche négociant qui croit sa vie faite et d’une courtisane de luxe, autour du corps desséché d’une sirène. Très bien écrit, étonnant et formidablement documenté, c’est un régal dans cette veine de romans actuels dont on ne sait pas bien, à l’achat, s’ils vont être fantastiques ou pas. Une irruption sournoise et délicieuse du genre dans la « littérature générale ».
– Un livre qui a changé votre vie
La Guerre des mondes de H.G. Wells. « Changé », je ne sais pas. Mais « solidifié la décision », c’est certain. À mon souvenir, c’est le premier roman de SF adulte que j’ai lu et quand je l’ai eu fini, je me suis dit qu’il fallait que je trouve davantage de ces romans de science-fiction, parce que c’était vachement bien.
– Un livre que vous auriez aimé écrire
Y en a tant ! J’ai d’abord pensé aux Aventures extraordinaires de Cavalier & Clay de Michael Chabon (ou à son génial Club des policiers yiddish) mais finalement, après mûre réflexion, je pense que ce serait peut-être Jonathan Strange et Mr Norrell de Susanna Clarke, cette étrange uchronie fantastique inversée, inventive et pince-sans-rire, qui ramène dans l’Angleterre pré-romantique et austenienne les elfes et la magie des temps médiévaux. Sinon, Cent ans de solitude pour sa constante avalanche de trouvailles et son mélange inextricable de merveilleux et de quotidien.
Comment ça, « on avait dit un » ?
– Un livre qui a influencé votre propre écriture
« Influencé », je pense que c’était trop tard pour ça et que Greg et Achille Talon avaient déjà apposé leur empreinte fatale. Mais j’ai adoré les traductions faites par Marc Logé sur les contes de Lafcadio Hearn. Traduisant ces contes d’un Anglais exilé au Japon, Logé a employé une langue très élégante, dont il m’a toujours semblé que sa sobriété conservait un peu de la courbure des ivoires précieux.
– Un livre qui a changé votre manière de penser
Peut-être À la recherche du temps perdu. On retrouve au fil de cette œuvre-fleuve tant d’éléments qu’on reconnaît et que l’analyse de Proust fait considérer d’un œil neuf, tant de choses qu’on pensait personnelles et qui apparaissent soudain des éléments communs de l’expérience humaine. Proust prend la réalité, l’examine, la sonde et imprime ses réflexions sur notre vision de la vie.
– Le dernier livre qui vous a fait pleurer
He de John Connelly – une biographie originale de Stan Laurel, contée à travers le flot des souvenirs de l’acteur dans sa villa californienne à la fin de sa vie. Émouvant, notamment par l’évocation du personnage d’Oliver Hardy. Mais je verse souvent aussi ma petite larme sur les livres que je traduis : à force d’aller et de venir dans le livre, on s’attache aux personnages et on a d’eux une sorte de vision d’ensemble qui rend fatidiques et plus émouvants les passages dramatiques.
– Le dernier livre qui vous a fait rire
Le dernier ? Hum, pas facile, je n’ai pas lu beaucoup de livres qui m’aient fait rire, ces derniers temps. Bien que certains aient pu me faire sourire çà et là. Dans le genre, bien que ce ne soit pas son but principal, je pense à The Anomaly de Michael Rutger (pseudonyme de Michael Marshall Smith) où le suspense et la tension généralement sont agrémentée d’une narration caustique qui fait merveille.
– Un livre que vous n’avez pas pu terminer
Drood de Dan Simmons. Le sujet m’intéressait beaucoup, mais j’ai dû m’enliser au bout du premier tiers, à attendre désespérément qu’on quitte l’avalanche de documentation biographique pour arriver à une ébauche d’intrigue consistante.
– Un livre que vous offrez souvent
Offrir, l’occasion se présente peu, mais conseiller, certainement : Neverwhere de Neil Gaiman, une séduisante fantasy urbaine qui joue de façon intrigante et moderne avec le Londres des fictions et des légendes.Et également Replay de Ken Grimwood, un roman de science-fiction que peuvent lire même les gens qui n’aiment pas le genre. Un homme pris dans une série de boucles temporelles qui lui font indéfiniment revivre sa vie. Fascinant, et sans doute l’origine d’Un jour sans fin et de tout un tas de versions dérivées un peu partout.
– Un livre que vous n’avez jamais lu
Ulysse de James Joyce. Ça m’intrigue, mais… Pas encore eu l’occasion d’y toucher. Un jour, peut-être.
– Votre tout premier souvenir de lecture
C’est loin, loin, loin. Si on ne compte pas les histoires de Donald dans Le journal de Mickey que je me faisais relire jusqu’à les savoir par cœur et à pouvoir les reprendre moi-même, sans doute était-ce un grand recueil de contes d’Andersen, illustré par Jean Léon Huens. La Petite marchande d’allumettes m’a effaré, quand je l’ai lu. C’était quoi, cette fin ? C’était… c’était… c’était affreux ! Qu’est-ce que j’étais censé en penser ? Petit traumatisme qui m’a fixé cette lecture en tête.