Nous avons proposé à nos auteurs et collaborateurs de rédiger, s’ils le veulent, un court texte donnant un conseil de lecture genre « comfort books » pour le confinement, que l’on distillera au fil des jours…
Au tour de Melchior Ascaride, qui a fait « un peu long ».
La lecture réconfort… Les œuvres auxquelles on revient, encore et encore, parce que l’on s’y sent bien. J’avoue que ce n’est pas trop mon truc. Je ne suis pas un « re-lecteur », lorsque je reviens à un roman, c’est pour un passage particulier. Mais je ne relis que très rarement le volume global.
Pourtant il y a une œuvre à laquelle je reviens, encore et encore. C’est Dylan Dog.
Qu’est-ce ? C’est un fumetto, comprenez par-là, l’équivalent italien du comics étatsunien. En réalité fumetto signifie bande-dessinée, mais Dylan Dog, aux côtés de ses comparses Martin Mystere, Nathan Never, Mister No et j’en passe, provient des éditions Sergio Bonelli qui propose un nouveau numéro chaque mois, une histoire complète en noir et blanc (avec passage en couleurs pour des numéros spéciaux). Carton absolu en Italie, figure majeure de la culture populaire italienne, Dylan Dog n’a jamais pris en France. Un premier essai de Glénat au début des années 90, qui a publié une vingtaine d’histoires quand elle arrivait à sa superbe centième chez nos voisins ; et aujourd’hui timidement édité chez Mosquito, dans des grands formats sur lesquels le nom de mon héros favori n’apparait qu’en petit.
Mais qui est Dylan Dog ? Il est, comme il se définie lui-même, un enquêteur du cauchemar. Un détective privé londonien, dont le visage est celui de Rupert Everett, n’enquêtant que sur des affaires surnaturelles, surnaturel auquel il ne croit pas trop en dépit de son cinquième sens et demi et de ses innombrables rencontres avec des sorcières, loups-garou, fantômes, extraterrestres, anges et démons, esprits mythiques, zombies, entités cosmiques et, à plusieurs reprises, la Mort elle-même (notamment dans les superbes Partita con la morte et Oltre la morte). Il collabore avec Groucho, son assistant, véritable moulin à calembours qui lui sauvera la mise à plusieurs reprises, sosie parfait de Groucho Marx avec qui il n’a aucun lien de parenté bien qu’il clame que l’acteur comique lui a tout volé, jusqu’à son apparence.
Dylan habite au 7 Craven Road à Londres, où se tient aujourd’hui un « Café Dylan Dog » puisque l’on est en plein quartier italien. Il est irrémédiablement vêtu d’une veste noire, d’une chemise rouge, d’un jeans et d’une paire de Clarks (non ce ne sont pas toujours les mêmes, il a simplement tout en plusieurs exemplaires) et conduit une Coccinelle blanche immatriculée DYD666 ; c’est un ancien policier alcoolique (en réalité son histoire est bien plus complexe puisqu’il est né au XVIIe siècle) aujourd’hui sobre, végétarien et farouche militant de la protection animale (le personnage a d’ailleurs été utilisé dans des campagnes contre l’abandon des animaux par la SPA italienne).
C’est la figue typique du détective de l’étrange, un pur produit de culture populaire qui puise ses inspirations tant du côté des films de Romero (le premier numéro s’intitule L’alba dei morti viventi, que l’on pourrait traduire par L’aube des morts-vivants, traduction littérale du Dawn of the dead de Romero que l’on connait en France sous le titre Zombie) que de Jack London (avec un numéro nommé Il richiamo della foresta, soit L’Appel de la forêt). Créé par le génial Tiziano Sclavi dans les années 80, le personnage marche dans les traces des séries télévisées de par la construction de ses aventures. Si chaque volume est une histoire indépendante, certaines aventures se voient octroyées des suites (Killex, un tueur en série, apparaîtra dans deux volumes et deux des plus grand tomes, Johnny Freak et Il lungo addio – qui vous tireront des larmes grosses comme le pouce) verront leurs histoires prolongées dans respectivement Il cuore di Johnny et Saluti di Moonlight ; on y croise des personnages récurrent, qu’ils soient alliés (l’inspecteur Bloch, la médium Trelkovski, Lord H. G. Wells), neutres et ambigus (comme le marchand Hamelin ou l’énigmatique Morgana), ou de farouches némésis (tels que le Docteur Xabaras, antagoniste majeur jusqu’au numéro 242, ou la cruelle mais solitaire Mater Morbi) et petit à petit, des arcs narratifs vont faire leur apparition (l’origin story de Dylan, puisque chaque héros se doit d’en avoir une ; les explorations de son passé récent avec le très beau Finché morte non vi separi ; l’arrivée de la comète dans les numéros actuels…). Le tout servi par des scénaristes impliqués (certes avec des histoires inégales, mais on parle d’une production mensuelle tout de même, donc un peu de compassion) qui sauront jouer des registres de l’imaginaire (en passant de l’horreur pure à la science-fiction, en faisant des crochets par le thriller et la fantasy urbaine) et une véritable armée d’artistes aux styles très différents et parfois, tout bonnement géniaux.
Au-delà de l’aspect résolument pulp de cette bande-dessinée, c’est aussi pour cela que je reviens souvent (doux euphémisme) à Dylan Dog. Parce qu’il incarne, lui et ses camarades des éditions Bonelli, une vision de l’imaginaire et de la culture populaire. Nous sommes là face à des personnages totalement intégrés au paysage culturel, chéris et choyés, politiquement impliqués tout comme leur créateurs (les auteurs des éditions Bonelli ont très longtemps été salariés, imaginez un peu), et reconnus et adoubés pr « l’élite culturelle », puisque même Umberto Eco a un jour déclaré « Je peux lire la Bible, Homère ou Dylan Dog pendant des jours et des jours sans me lasser. » Toujours existant 34 ans après sa création, toujours populaire, toujours aussi bien traité. Et accessible au public, puisqu’un numéro coûte moins de 4 euros.
C’est cela qu’incarne pour moi Dylan Dog. Une véritable œuvre populaire, créée et entretenue par des amoureux du genre, dans l’air du temps et qui recèle, dans ses 400 et quelques numéros, de véritables pépites d’imaginaire. Si j’y reviens aussi souvent, ce n’est pas que pour les histoires, ce n’est pas que pour les dessins, ce n’est pas par nostalgie puisque l’enquêteur du cauchemar est l’une des briques de la construction de mon imaginaire. C’est aussi et surtout parce que pour moi, Dylan Dog est un symbole. Un symbole que la culture populaire peut aspirer à la reconnaissance, peut se targuer de proposer des œuvres majeures, qu’elle recèle de vrais auteurs, et que ce n’est pas qu’un salmigondis inculte seulement bon pour les adolescents attardés, n’en déplaise à nos « élites culturelles ».
Alors si vous lisez un tout petit peu l’italien, foncez. Sinon… regardez les images, ça vaut quand même le coup.