Jaworski en approche

Le deuxième volume de la série de Jean-Philippe Jaworski « Rois du monde » va paraître fin mai. En attendant, par curiosité ou par sadisme, allez savoir, un tout petit extrait… Il y en aura d’autres…

C’est alors que la fête commence vraiment. La courre n’est plus seulement la traque d’un animal : elle devient émulation. La lance à l’horizontale, balancée à bout de bras, les héros se jettent à travers la ramée, tout en flattant les limiers de la voix. À courir au milieu des chiens, à lutter contre le terrain lourd et les branchages rétifs, à écarquiller les yeux pour éventer les ruses du cerf, pour être le premier à crier la vue, on se fait un peu moins hommes. On souffle la gueule ouverte, on se frotte à l’écorce, le sang nous vient aux ongles. On hume un plaisir brutal et fuyant, avides d’une mise à mort qui tient du massacre et de l’offrande. On glisse dans nos forêts intérieures comme on perce dans ces taillis, et nous voici en train de rebrousser vers nos vérités crues, nos vies de  loups-cerviers.  L’effort de tous ces fauves qui filent à travers bois effare telle une promesse de guerre.

Extrait 2, octobre

Autre publication d’octobre : Hercule Poirot, une vie de Xavier Mauméjean & A.-F. Ruaud. Extrait…

Étranger en terre anglaise, on verra qu’une part de sa personnalité s’explique par son éducation belge catholique. Il est de plus un génie, ce qu’il proclame souvent, avec un manque d’auto-dérision très choquant pour un citoyen britannique. Reste qu’il s’agit non pas de rodomontades, mais d’un fait. Poirot est un de ces êtres d’exceptions qui ne saurait jamais agir à l’instar du commun, qui considèrent tout le temps le monde selon des angles neufs. On le rapprochera de Sherlock Holmes, mais aussi de l’inventeur Buckminster Fuller : des individus qui n’envisagent un problème qu’en le réinventant depuis ses principes de base, en totalité.
Hélas, la société est rarement tendre avec les génies. Comme l’avait dit l’irrépressible Oscar Wilde : « Le public est extraordinairement tolérant. Il pardonne tout, sauf le génie. » Des êtres aussi particuliers que Poirot font toujours figures d’éléments étrangers dans le corps social, à plus forte raison lorsqu’il est effectivement un étranger, un exilé. Unique, Poirot ne connaîtra donc que la solitude. C’est le destin de l’exceptionnel que d’être solitaire : Sherlock Holmes lutta contre cet état et ne parvint pas à réellement le modifier. À l’inverse, si d’autres grands détectives trouvèrent la félicité matrimoniale, c’est précisément parce qu’ils n’étaient pas extra ordinaires. Ainsi, Hercule Poirot et Sherlock Holmes demeurèrent solitaires, éloignés des affaires du cœur, tandis que lord Peter Wimsey épousa la romancière policière Harriet Vane ; que Nigel Strangeways vivait en couple avec l’exploratrice Georgia Cavendish puis avec l’artiste-peintre Clare Massinger ; qu’Albert Campion se maria avec une ingénieure aéronautique, lady Amanda Fitton. Assurément des femmes remarquables, mais qui épousèrent des jeunes gens bien de leur temps et parfaitement installés dans la société britannique.
Le poète Émile Verhaeren écrivit sur la Belgique ce que l’on pourrait appliquer à Hercule Poirot : « Tu te hausses si haut que tu es solitaire ». Il existe dans la langue anglaise un terme provenant du français où il s’est perdu : « estrangement », l’acte de devenir étranger, de s’éloigner. Ce fut le destin d’Hercule Poirot, éloigné des Anglais puisqu’exilé belge, éloigné de l’époque moderne puisqu’âgé, éloigné même du commun des mortels par son intelligence. Un destin paradoxalement en retrait du monde alors qu’il en démêlait certaines des affaires les plus douloureuses.

Extrait 1, octobre

Extrait d’une de nos parutions d’octobre, Créatures ! d’Amadine Prié & Joël Bassaget.

Les monstres ne vivent plus au fond d’un placard dans une chambre d’enfant. S’ils ont depuis longtemps investi les studios d’Hollywood, ils n’ont pas pour autant déserté nos foyers : depuis l’avènement de la télévision commerciale, au milieu du siècle dernier, ces créatures de tout poil squattent le petit écran et suscitent des réactions contradictoires, mais rarement indifférentes. Car le monstre est avant tout cet être qui s’écarte de la « norme », qui fait rire ou inquiète, qui nous fascine et nous terrorise, menace l’humanité, révèle sa fragilité. Le monstre nous fait homme, et trimballe avec lui son propre regard sur nos contradictions, nos erreurs et nos zones d’ombre, nous poussant à redéfinir sans cesse ce qui, finalement, nous distingue de lui.
Les téléspectateurs américains aiment particulièrement les monstres. Au point qu’ils se sont approprié la traditionnelle fête d’Halloween pour passer tous les ans une soirée entière avec eux. À la télévision, et plus particulièrement dans les fictions, cette fête très appréciée de nombreux annonceurs est célébrée par presque tous les programmes. Rares sont les sitcoms qui échappent à leur épisode Halloween et même les séries dramatiques n’hésitent pas à déguiser leur script à cette occasion, pour laquelle on produit également des téléfilms spéciaux.
Mais les créatures fantastiques ne sont pas seulement des attractions d’un soir. Elles ont crevé l’écran, généré des succès parmi les plus grands du cinéma et sont naturellement venues peupler de nombreux programmes de télévision, devenant même parfois des vedettes.
Avec les progrès des effets spéciaux,  la multiplication des chaînes spécialisées et l’essor des chaînes câblées, des créatures de toutes sortes ont ressurgi ces dernières années sur le petit écran, et l’on pourrait croire que nous vivons un véritable « âge d’or des monstres » à la télévision. Pourtant, ces figures sont présentes dès les premières fictions et n’ont jamais cessé d’inspirer créateurs et scénaristes.
Cet ouvrage ne se veut pas un dictionnaire des créatures apparues à la télévision, pas plus qu’il ne prétend offrir une chronologie exhaustive de ces apparitions. Il propose des repères et des réflexions autour de chacune des grandes figures de monstres, afin de mieux appréhender leur évolution télévisuelle et la place qu’ils occupent dans l’imaginaire collectif.
On nous dira : tout ne se vaut pas. Non, un épisode de Starsky et Hutch ne vaut pas tout Buffy, par exemple, mais tel n’est pas notre propos : ce que nous avons voulu établir, c’est une sorte de toponymie des créatures de l’imaginaire telles qu’elles ont été recyclées et mises en scène dans le grand « bric-à-brac » des séries télévisées. Avec tout ce que cela comprend de ridicule — et de fulgurances, aussi.
Alors, l’ouvrage que vous lisez n’est pas (seulement) un essai, ce n’est pas vraiment non plus un catalogue (puisque l’exhaustivité serait folie), non : c’est une fête.
Celle des bourgeonnements et des foisonnements provoqués par la pression commerciale d’un support, la série télévisée, qui s’impose comme l’un des principaux vecteurs de cette nouvelle culture populaire qui, née des médias de masse, façonne dorénavant nos imaginaires et nos mythologies.
Nous avons volontairement restreint notre champ d’étude (à quelques exceptions près) aux productions anglo-saxonnes. États-Unis et Royaume-Uni représentent à eux seuls un échantillon plus que significatif de la production télévisuelle de ces soixante dernières années et ont l’avantage d’offrir un « terrain commun » à la majorité des amateurs actuels de séries.
Zombies, vampires, loups-garous, extraterrestres, robots et autres créatures à poil, à plumes, à écailles, griffues, velues ou métalliques : oubliez vos peurs et venez assister sans plus tarder à la grande parade des monstres…