Demandez le programme

Venant de rédiger un long laïus dans le cadre d’un dossier de demande de subvention, je me suis dit qu’il ne serait pas bête de le rendre public (en un peu retouché), car il s’agit d’une présentation de notre programme d’édition pour cette année… Car de quoi va-t-elle être faite, cette année 2021 ?

Notre axe principal sera l’utopie, soyons fous : avant la crise inouïe que nous traversons, nous pensions déjà faire évoluer nos publications, en rêvant d’un monde meilleur et en participant à sa construction… Et nous constatons qu’après l’éprouvante année 2020, il faudrait vraiment « respirer ». Nous constatons aussi que l’importance du genre de la dystopie, depuis quelques années, a mis en place une sorte de chape sur l’imaginaire, une idéologie du pessimisme qui devient pesante à force et constitue un « plafond de verre » ; et en réponse, nous avons observé la naissance d’un mouvement mondial (anglophone) qui milite pour une science-fiction optimiste, solaire et écologiste : le « solarpunk » (ou hopepunk). Nous avons aussi constaté, avec plaisir, que le futur festival Hypermondes (Bordeaux) a désigné l’utopie comme thème de sa deuxième année, et que le Mois de l’imaginaire (octobre) envisage de prendre l’utopie comme thématique cette année. Eh bien, sur 2021 nous allons publier rien moins que 6 romans d’utopie, plus précisément des « écotopies », des fictions se projetant dans des sociétés alternatives et écologistes (3 traductions de l’américain, 2 auteurs français et un texte illustré). Les titres à sortir sont :

La Ville peu de temps après de Pat Murphy (trad. Patrick Marcel) – Après une pandémie qui n’a laissé qu’une maigre population, San Francisco est surtout peuplée d’artistes, rêveurs, de rebelles qui ont reconstruit une société libre et utopiste. De l’autre côté de la Baie, un militaire veut écraser ces sales hippies — mais la Ville elle-même aidera à le combattre, car elle exsude sa propre magie.
La Fête du changement de Michel Jeury, illustré par Greg Vezon (Bib. dessinée) – L’utopie ? Il faut d’abord changer l’homme et faire, comme en Variana, de ce changement une fête. Au Variana, fondé par un créateur-démiurge, Oslobo Maslorovo, existe une organisation sociale anarchiste, une philosophie libertaire, un mode de vie chaleureux dans des villes-ventres-forteresses où « l’homme ne peut s’accomplir sans la société ». Accomplissement qui se réalise grâce au « changement ».
Lisière du Pacifique de Kim Stanley Robinson (trad. Stephan Lambadaris) – Dans un monde qui travaille à redécouvrir l’harmonie avec la nature, la petite ville d’El Modena, en Californie, prend l’aspect d’une utopie sociale et écologique. Pourtant, Kevin Claiborne, jeune architecte et constructeur qui a grandi dans ce monde plus vert, se trouve impliqué dans une lutte afin de préserver la vie équilibrée de sa communauté, contre les tentations d’exploitation et de corruption. Entre polar, projection politique et science-fiction utopiste, un jalon important dans l’œuvre de Kim Stanley Robinson et un roman majeur de la fiction écologiste.
Transit de Pierre Pelot (en poche Hélios) – Dans les locaux pyrénéens de l’Institut de Recherches Télergiques Européen, Carry Galen est revenu d’un nouveau Voyage accompli sous hypnose. Car l’IRTE se préoccupe d’exploiter les aptitudes, longtemps tenues pour paranormales, de sujets comme Galen. Mais cette fois, un incident surprenant est survenu. Au cours de son Voyage immobile, Galen a physiquement disparu. Est-ce lui, cet amnésique surgi du néant que Lone est chargée de guider sur Gayhirna, et qui va devoir tout réapprendre, la langue, les gestes et les rites d’une société différente de la nôtre, fraternelle : libérée… ?
LUnivers-ombre de Michel Jeury (en poche Hélios) – Avant la naissance de l’Empire, Terrego était un monde paisible, heureux et libre, voué au soleil, au vent, à « la terre chaude », un monde à l’échelle humaine, où chacun pouvait vivre ses rêves et redevenir un enfant. Mais Lejeran, le visiteur de la Terre, surgit en pleine crise. Il tente de traverser le continent pour rejoindre la mystérieuse Syris dans le désert blanc où elle l’attend. Prisonnier des Impériaux, il découvre enfin la vérité sur Syris, sur Terrego et sur lui-même.
L’Œil du héron d’Ursula Le Guin (en poche Hélios ; trad. Isabelle D. Philippe) – Cette élégante créature grise, que, faute de mieux, les habitants de Victoria ont baptisée héron, est le témoin silencieux et énigmatique des démêlés du Peuple de la Paix avec ses oppresseurs de la Cité. Les deux communautés ont été jadis déportées sur cette planète éloignée de la Terre : l’une à cause de sa contagion pacifiste, et l’autre sa soif de pouvoir et de violence. Les contestataires utopistes de la Zone réussiront-ils à échapper aux foudres répressives des orgueilleux citadins ? Le pacifisme et la non-violence telle que la prônait Gandhi sont-ils suffisants ?

Autre axe éditorial important, nous continuons à développer la « Bibliothèque des Miroirs », collection de beaux livres, avec un programme important. Autrefois collection d’essais dans le même format que nos romans, et en noir et blanc, nous l’avons relancée sous la forme de beaux livres de format carré (21 x 21 cm) couleur, plus des volumes de plus grand format (lorsque des sujets importants l’imposent). Chacun de ces beaux livres exigeant en amont un très important travail de coordination, d’écriture et d’iconographie, nous en avons en chantier actuellement 16 volumes différents, à diverses étapes de leur mise en place. Trois qui devaient paraître fin 2020 (et qui sont donc déjà presque bouclés) ont été repoussés à la fin 2021. Les « Miroirs » à sortir fin 21, si tout va bien, seront :

Mamoru Oshii – dirigé par Victor Lopez & Stephen Sarrazin, beau livre sur l’œuvre du grand réalisateur japonais, sur la base de trois longs entretiens exclusifs
Comics & contre-culture – Jean-Marc Lainé, contestation sociale et BD aux États-Unis.
Super films ! – Victor Lopez, sur les films de super-héros, leur histoire et leur actualité.
Super-Héros ! – dirigé par Victor Lopez, sur l’histoire des comic books et de la thématique des super-héros.
Pulps ! – Francis Saint-Martin, sur la littérature populaire américaine d’avant les super-héros.
Forêts ! – dirigé par Alexandre Mare & André-François Ruaud, sur l’imaginaire sylvestre.

À ces beaux livres de la « Bibliothèque des Miroirs » s’ajouteront d’autres belles réalisations : un second volume de luxe de Jean-Philippe Jaworski, réunissant son autre saga, Rois du monde (mais oui !) ; une belle édition cartonnée à dos rond semi-toilé du recueil Péninsule de l’écrivain canadien Michael Coney ; et une belle édition cartonnée à dos rond semi-toilé du recueil Dernières Nouvelles du Tibbar, de l’auteur français Timothée Rey, entièrement illustré par Patrick Larme.

Bien entendu, nous poursuivons aussi notre travail habituel, en romans et en poches, plus trois nouveaux petits volumes de nos romans graphiques « Bibliothèque dessinée » (Jaworski-Hayez, Ascaride en solo et Jeury-Vezon, de quoi s’envoyer en l’air le regard — on vous en reparle plus en détails la semaine prochaine) : ce programme 2021 est à la fois un programme de résistance (suite à la crise) et de développement / nouvelle orientation, dans un monde qui change.

Ainsi, et parce que la création francophone a toujours été notre passion, notre moteur, nous sortons en février notre « pépite » Basile Cendre : la découverte d’un nouvel auteur, fort et original. Nouvelle voix des littératures de l’imaginaire, Basile Cendre fait son entrée en fanfare avec un roman au style lyrique influencé par le courant Romantique. La Descente ou la chute est un roman d’apprentissage et une quête du bonheur, résolument contemporain dans son traitement de l’imaginaire et surprendra autant le nouveau lectorat qu’un public plus rôdé.

En février aussi, une folie et une fierté : les deux pavés (928 et 848 pages !) de la saga de SF planétaire Tyranael d’Élisabeth Vonarburg, un chef-d’œuvre de toute beauté qui n’avait été publié qu’au Québec. Disons-le : véritablement une œuvre majeure.

Mars, en poche Hélios : Il était trois vieilles dames de Christian Robin, étonnant « roman maudit » entre horreur lovecraftienne et humour macabre, un petit délice.

En fin d’année, nous publierons des nouveautés de Nelly Chadour et de Nicolas Texier — on en reparlera ! Auparavant, en mai sortira enfin le quatrième volet de la saga de Stefan Platteau, « Les Sentiers des Astres » : Jaunes Yeux. Très attendu !

En juin, nous proposerons l’intégrale de la série des Fantômes du nouveau siècle de Jean-Philippe Depotte : la reprise des deux romans parus chez les Saisons de l’étrange + les deux romans suivants, inédits, et une nouvelle également inédite. Un bel omnibus. Juin verra aussi revenir l’anthologie Détectives rétro, nouvelle édition d’un titre « long seller » de notre catalogue, malle au trésor de nouvelles policières excentriques et saisissantes.

En septembre, un presque inédit de Roland C. Wagner… Mais par quel prodige ? Eh bien, parce que Le Pacte des esclavagistes n’avait connu qu’une édition tronquée ; son coauteur, Rémy Gallart, a donc rétabli et prolongé ce roman qui, tiens, tiens, lorgne justement sur l’utopie.

Et un dernier mot : soucieux de notre empreinte sur la planète, nous avons demandé à notre imprimeur principal de placer le logo FSC dans nos ouvrages, car nous utilisons depuis longtemps surtout des papiers « éco-responsables ». Pour la réédition groupée des 7 titres de notre auteur best-seller Jean-Philippe Jaworski, en janvier, nous avons fait usage d’un papier FSC qui est en partie recyclé. Nous avons légèrement changé notre format principal, afin d’éviter des pertes de papier (en passant de 17 x 21 à 16,2 x 21). Et afin de compenser un peu le bilan carbone des transports, cet imprimeur s’engage désormais à planter un arbre par facture !

Une semaine des éditeurs

Durant toute cette deuxième semaine de novembre, les Moutons électriques vont être en « séminaire ». Mais pas de détente autour d’un bon plat mijoté par Mérédith, pas de cidre dans un pub, pas de petit restau libanais, rien de ce fort lien social que nous aimons cultiver entre nous : cette fois, bien entendu, nous serons en visio. Boulot, boulot, donc, et l’on va tâcher de malgré tout faire fonctionner cette réunion, d’activer les « brainstormings » en dépit de l’isolement de chacun et du truchement froid des écrans.

Alors André, Christine, Erwan, Melchior, Mérédith, Roman, Sarah et Vivian vont discuter, étudier, calculer, prévoir. Nous allons projeter un programme 2022 des publications (eh oui, déjà) en dépit de toutes les inconnues. En dépit de toutes les pertes, aussi. Car il faut bien parler de ce qui ne va pas, et vous vous en doutez : alors que depuis notre entrée chez le diffuseur-distributeur Media Diffusion / MDS (et e-Dantès pour le numérique), nous nous étions refait une solide santé, patatra, confinement, reconfinement, fermeture des libraires françaises, et notre trésorerie qui fond. Nous avons calculé que nous avons perdu au moins 110 000 € depuis le début de la pandémie, et il s’agit d’une estimation basse. 110 000 € sur un chiffre d’affaire annuel moyen de 300 000 € : plus d’un tiers. Avec les dangers supplémentaires d’une éventuelle prolongation de fermeture sur la période de Noël et quant aux retours du début d’année. Toute l’économie se trouve en difficultés, bien sûr : voici les nôtres.

C’est ainsi, et pour autant nous ne baissons vraiment pas les bras. La preuve : pour faire face aux circonstances actuelles, renforcer notre travail et nous garantir une sérénité indispensable à notre mission éditoriale, notre équipe accueille deux nouveaux membres. Erwan Cherel s’occupe dorénavant d’une partie de la communication, et surtout, devient notre « relation libraires », poste capital de nos jours, afin d’informer au plus près vos guides locaux en littérature. Il s’affairera également autour des archives du regretté Roland C. Wagner, un de nos auteurs cultes de S.F. De son côté, Roman Debaque prend en charge la logistique : gestion de nos espaces de stockage, des stands lors des salons, de la vente par correspondance et des services de presse.

Et nous bouillonnons d’idées et de projets — la crise nous a obligé à reporter un certain nombre d’ouvrages, à en annuler trois, et à repousser d’une bonne année un grrrand projet top secret, mais ce n’est pas l’énergie qui manque, ni le moral ! Alors nous bossons, et pour votre part chères lectrices et chers lecteurs, commandez et lisez, commandez et lisez : nous avons besoin de vous.

Lectures après la fin du monde

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois-ci, le Boss ovin nous parle de quelques lectures et publications récentes.

Stéphanie Nicot, des Imaginales, m’a appelé hier pour que l’on décide des auteurs pris en charge par les Moutons électriques l’an prochain lors du salon : ce seront Nicolas Texier et Alex Nikolavitch, étant actuellement les deux auteurs principaux que nous « poussons » plus particulièrement, après les réussites de Jean-Philippe Jaworski et de Stefan Platteau (aussi invités, bien sûr). Car ainsi est le métier d’éditeur-découvreur (par opposition aux éditeurs-publieurs) : chaque nouvelle plume est un investissement sur le long terme, qu’il faut essayer de faire fructifier, entretenir, encourager, développer. Et chaque auteur est différent, bien sûr : Jeanne Mariem Corrèze, en février dernier, était par exemple notre débutante de l’année et son roman, Le Chant des Cavalières, fut fort remarqué et se porte bien en dépit du coup d’arrêt du confinement ; Nicolas Texier, pour sa part, est déjà chez nous depuis un moment et son étoile est en ascension. Auteur venu de la « littérature blanche », à savoir trois romans à la NRF dont le remarqué Curtis dans la langue de Pouchkine, il nous a surpris par l’ampleur de sa culture « geek » (il vient d’ailleurs de bosser sur un jeu Batman) et par l’aisance enthousiaste avec laquelle il s’est glissé dans les « littératures de l’imaginaire ».

Il nous proposa une série : « Monts et Merveilles » — et c’est toujours un pari risqué, une série, les ventes s’effritant en général tome après tome. Bon, Opération Sabines, le premier, pouvait quasiment se lire en solo, et son mélange hautement original de magie, d’uchronie et d’espionnage, allié à une langue outrageusement flamboyante, rencontrèrent le public : nous en sommes déjà à la quatrième édition, carrément, dont une réédition en poche Folio-SF. Le deuxième s’intitule Opération Jabberwock et voici que sort le troisième et dernier tome de la saga, Opération Lorelei. Un dernier tome en forme d’apothéose : c’est là un autre risque, savoir si un auteur parviendra à finir sa série, et de manière tout à fait satisfaisante. Eh bien, cette fin-ci est renversante, rien moins. Il y a là des moments d’une puissance incroyable : la longue scène de l’arrivée des forces de féerie, un tour de force jamais vu en fantasy ; et tout le passage à Paris, avec Arsène Lupin et la fée Nicotine (que nous avons demandé à revoir), ah quel plaisir !

Et Nicolas Texier n’entend pas s’arrêter là : il a déjà un court roman d’horreur sudiste fort amusant à sortir bientôt chez nos amis des Saisons de l’étrange, Deadcop ; et je viens de lire le premier tiers de son roman suivant pour la « Bibliothèque voltaïque », Les Ménades. En tant qu’éditeur,  j’ai des « envies » : je veux lire tel ou tel thème, telle ou telle approche, et j’espère qu’un auteur ou un autre comblera ces envies éditoriales. Avec Nicolas Texier, c’est la case « fantasy antique » qui va donc être cochée : de Thomas Burnett Swann à David Gemmell, il existe toute une tradition très porteuse de fantasy située à l’Antiquité, et dire que le début des Ménades me comble relève de l’euphémisme. D’ailleurs, c’est amusant, je viens d’avoir une autre lecture antiquisante, également remarquable : Melchior Ascaride, dans le cadre de la « Bibliothèque dessinée », a décidé de se lancer dans un projet solo, graphisme et texte, et avec Eurydice déchaînée il fait fort, très fort — vous lirez ça en mars et j’ai grand hâte de le voir terminé.

Du côté d’Alex Nikolavitch, les cases qu’il cocha successivement, lucky me, furent celle de la fiction arthurienne (avec son roman sur Uther, Trois coracles cinglaient vers le couchant) puis avec son récent Les Canaux du Mitan, celle que je nommerai faute de meilleur terme la « post fantasy ». J’avais remarqué dans le domaine anglo-saxon une tendance mineure à des fictions situées après les grands conflits de la fantasy classique, je me disais qu’il serait vraiment bien que la fantasy francophone s’empare elle aussi de cette évolution du genre… et Nikolavitch justement me proposa un tel projet. Avec la pandémie, ce roman dormit un long moment dans nos stocks avant d’enfin sortir, ce qui fut l’occasion pour les chroniqueurs de le lire très en avance — et les réactions sont formidablement positives, tout le monde ayant bien saisi les enjeux originaux des Canaux du Mitan et sa belle, ample, force narrative, à la fois captivante et contemplative. Suis-je un éditeur heureux, alors ? Disons qu’il faut que les librairies accompagnent encore ces livres et que les ventes suivent, mais oui, dans le contexte d’incertitude actuel, des œuvres d’une telle qualité sont déjà de jolies assurances.

Un mot des éditeurs

Beaucoup d’éditeurs s’expriment, un syndicat des indépendants s’esquisse peut-être, le président de notre pays n’a pas dit un mot du domaine du livre dans sa dernière intervention, la Poste continue à faire la sourde oreille devant les demandes de création d’un tarif spécifique pour le livre…

Parmi eux, quelle parole ajouter  ? Eh bien, par exemple, comme pour beaucoup, le constat de la surproduction de livres. L’un de ses effets est de réduire, au sein de nos genres, les chances des textes un peu différents — les expérimentaux, les excentriques, les divertissements plus confidentiels — et de ceux qui se contentent avec bonheur de raconter une bonne histoire. Tous apportent à la littérature de l’imaginaire des textures et des plaisirs nécessaires à sa richesse culturelle. Malheureusement, ces romans, nous ne parvenons plus à bien les «  porter  », à leur offrir un lectorat satisfaisant, et, il faut l’avouer, à les rentabiliser. Contraints de les écarter, nous abdiquons chaque fois à regret.

Ce drame silencieux s’explique en partie par la position délicate de l’imaginaire dans les librairies indépendantes non spécialisées. Nos livres n’y trouvent pas toujours leur place, faute à une tradition française qui a longtemps rejeté les littératures de genre : les libraires manquent parfois d’expérience pour aborder nos productions, pour en comprendre les enjeux. Nous souhaitons améliorer notre dialogue avec eux, il s’agira même de notre chantier numéro un : parvenir à séduire un peu plus ces belles petites librairies qui, pour l’instant, demeurent closes à nos éditions, et accompagner leurs libraires dans ce territoire, celui des littératures de l’imaginaire.

Il y a des stratégies possibles, nous y réfléchissons.

Surproduction, ce ne sera pas chez nous le cas en cette fin d’année, avec l’abandon de deux livres (hélas) et le report de 7 autres d’un an ou plus. Et nous avons restructuré dans la foulée notre programme 2021 — nous verrons encore à l’aménager s’il le faut. Pour autant, dans l’incertitude et l’anxiété, veillant tant que nous le pouvons d’être à jour des paiements de nos auteurs, collaborateurs et imprimeurs, nous veillons également à continuer de rêver, d’imaginer, de nous projeter vers le futur.

Même s’il s’agit d’un pari risqué, nous investissons encore : achat des droits poche de deux grandes utopies contemporaines, L‘Univers-ombre de Michel Jeury et Transit de Pierre Pelot ; achat et traduction en cours d’un chef-d’œuvre de la fiction écologique, Pacific Edge de Kim Stanley Robinson, resté inédit chez nous car écarté pour raisons politiques ; achat des droits poche d’un roman fou et rebelle d’afro-futurisme, Les Dévastés de JJ Amaworo Wilson ; achat et traduction en cours d’une fantasy urbaine à la fois post-apo et utopiste, La Ville peu de temps après de Pat Murphy ; construction d’une nouvelle collection ; recherches graphiques avec Daylon (de retour !) et avec Melchior Ascaride ; négociations et contrats pour la reprise en Omnibus Voltaïque du cycle majeur d’Élisabeth Vonarburg, Tyranaël ; et également du côté du Québec, pour l’édition française du deuxième roman d’une autrice d’origine amérindienne ; accompagnement de plusieurs futurs volumes de notre « Bibliothèque dessinée » (avec au graphisme des noms comme Greg Vezon, David De Thuin, Melchior Ascaride) ; et bien sûr, accompagnement encore et toujours de nos auteurs, réguliers ou nouveaux, qui triment actuellement sur leurs romans…

Notre futur sera lumineux : promis.

André, Christine, Melchior, Mérédith & Vivian