Lectures réconfort 5

Nous avons proposé à nos auteurs et collaborateurs de rédiger, s’ils le veulent, un court texte donnant un conseil de lecture genre « comfort books » pour le confinement, que l’on distillera au fil des jours…
Au tour de Christine Luce.

La poursuite du confort ne me réconforte pas lors des moments difficiles de l’existence, je ne quête pas la sérénité et encore moins la résignation, j’ai besoin de partager la rage de vivre malgré chaque férocité, malgré chaque mesquinerie, malgré chaque sale tour orchestré par le quotidien et qu’il devient insupportable. L’art d’utiliser les mots sans concession bouleverse mes perceptions, amplifie ma vision du monde grâce à des écrivains qui n’ont pas craint d’écrire la leur. Parmi eux, la bonté intransigeante d’Istrati, la tragique satire de Caldwell, l’insurrection poétique de Haidar, enflamment le désir de vivre plutôt que la peur de mourir.

Codine (1926) de Panaït Istrati (1884-1935), la fiction autobiographique de l’enfance de l’auteur roumain à la fin du XIXe siècle, fils d’une blanchisseuse et d’un contrebandier grec.
« Sais-tu ce que c’est : faire mal à quelqu’un ? — C’est le
faire souffrir, dis-je. — Non. Mon bonhomme! Tu n’y es
pas. Le mal, le seul mal, c’est l’injustice : tu attrapes un
oiseau et tu le mets en cage ; ou bien, au lieu de donner de
l’avoine à ton cheval, tu lui fous des coups de fouet. Voilà
des injustices. Il y en a bien d’autres… »

La Route au tabac (1937) de Erskine Caldwell (1903 -1987), l’autopsie tragi-comique d’une société morbide pendant la crise de 1929.
« Lov posait des questions à Pearl. Il lui donnait des coups de pied, il lui jetait de l’eau à la tête, il lui lançait des pierres et des bâtons, il lui faisait tout ce qu’il croyait susceptible de la faire parler. Elle pleurait beaucoup, surtout quand Lov lui avait fait sérieusement mal, mais Lov ne considérait pas cela comme une conversation. Il aurait voulu qu’elle lui demandât s’il avait mal aux reins, quand il irait se faire couper les cheveux, s’il croyait qu’il allait pleuvoir. Mais Pearl ne disait pas un mot. »

La Morsure du coquelicot (2018) de Sarah Haidar (1987-), une science-fiction prospective, l’insurrection pour exiger le droit de vivre.
« Avril pue, et ce ne sont pas des narines frileuses qui vous le disent… Avril, l’on ne se contente pas de mourir, on se décompose au soleil, on persévère dans le martyre, on continue à soulever les cœurs, quand le sien est déjà tombé. »

Lectures réconfort 4

Nous avons proposé à nos auteurs et collaborateurs de rédiger, s’ils le veulent, un court texte donnant un conseil de lecture genre « comfort books » pour le confinement, que l’on distillera au fil des jours…
Au tour de Olav Koulikov.

Des lectures réconfortantes ? D’emblée, me viennent en tête les Hercule Poirot d’Agatha Christie ; les inspecteur Van Der Valk de Nicolas Freeling ; et, par-dessus tout, les Maigret de l’incontournable Simenon. Simenon c’est l’écrivain de la météo : il ne cesse de décrire le temps, le ciel, et ce matin j’ai repris Maigret s’amuse, qui coïncide assez idéalement avec cette période de « relâche partielle », disons). « Le ciel était du même bleu uni, l’atmosphère molle et chaude », oui c’est exactement cela ce matin. Je relis en ce moment les Maigret deuxième époque, ceux des années cinquante et soixante (ou s’y déroulant, puisque Simenon situe nommément les derniers en 1965 bien qu’il les ait écrits au début des années septante). Car il y a clairement deux Maigret : le premier est né vers 1887, il prend sa retraite en 1934, sa femme se prénomme Henriette, ils habitent place des Vosges, le brigadier Lucas meurt vers la fin, le gros Torrence a quitté le PJ pour fonder l’Agence O… Et le deuxième est né en 1912, il prend sa retraite vers 1967 ou 68, sa femme se prénomme Louise, ils habitent bien entendu boulevard Richard-Lenoir, Lucas est inspecteur tout comme Janvier et Lapointe… Univers parallèles…

Lectures réconfort 3

Nous avons proposé à nos auteurs et collaborateurs de rédiger, s’ils le veulent, un court texte donnant un conseil de lecture genre « comfort books » pour le confinement, que l’on distillera au fil des jours…
Au tour de Laurent Queyssi.

Alors, moi, je picore entre deux bouquins: les Essais de Montaigne, parce qu’il a connu la peste, et a des choses apaisantes (à mes yeux) à dire en ces temps troublés. Et Big Sur, de Henry Miller, qui loin du Paris ou New York de ses autres livres, raconte sa vie paisible au bord du Pacifique, dans ce petit coin de paradis sur Terre où je n’aurais pas rechigné à être confiné.

Lectures réconfort 2

Nous avons proposé à nos auteurs et collaborateurs de rédiger, s’ils le veulent, un court texte donnant un conseil de lecture genre « comfort books » pour le confinement, que l’on distillera au fil des jours…
Au tour de Mathieu Rivero.

Mushishi, de Yuki Urushibara, est un manga vers lequel je reviens souvent. Non seulement pour son format de « fix-up de nouvelles » très agréable à lire, mais aussi pour son univers esthétique et graphique à la fois doux et plein de sentiments (pas forcément bons). Ginko, le personnage principal, y est mushishi, chasseur d’insectes, les mushis étant des animaux, petits ou grands, ayant un rapport avec l’invisible et l’animisme.
Sauf que chasseur, Ginko ne l’est que rarement. Son rôle, plastique, oscille entre celui de médecin, de confident, d’explorateur, de scientifique, d’ami ou de médiateur. Souvent dans Mushishi, c’est en se coupant de la nature que l’homme signe sa perte, et c’est en s’interrogeant sur sa place dans le monde qu’il parvient à – parfois – se racheter.