La direction littéraire – « Bon sang, pour qui se prend-il, ce Mérédith ? »

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Mérédith Debaque, l’assistant éditorial des Moutons électriques, se confie cette fois-ci. Il vous parle de direction littéraire ; il a pour le moment accompagné trois auteurs : Chloé Chevalier, Nelly Chadour et Nicolas Labarre, et il dirige l’anthologie humanitaire « SOS Terre et Mer » en compagnie de Christine Luce (financement en mars).

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« Diriger » un roman est une drôle d’opération, un peu embarrassante pour tout vous dire. Imaginez-vous vous introduire dans la maison d’un ami pour discuter du choix de son mobilier, de l’emplacement de son tableau, et de fil en  aiguille, lui conseiller une nourriture plus variée ou lui indiquer la  meilleure manière d’aérer son logis. C’est passionnant bien sûr de devenir cet œil extérieur, ce point de vue qui jauge le travail immense d’une autre personne, l’observateur soi-disant objectif qui annote les bouts de phrases nés de l’imagination géniale de sa vic… de son auteur. Mais vous êtes un intrus, l’inconnu qui pinaille sur les mots et les points, qui trouve le verbe inadéquat ou trop faible, la réaction absurde ou disproportionnée, l’intrigue convenue ou manquant de panache.

Et puis, le choix du ton à prendre est difficile : faut-il être didactique, pour balancer des leçons comme un prof’ de style — « Du liant, il faut du liant ! » — ou jouer plutôt le rôle de l’humble assistant, qui prétend quand même être de bon conseil — « Je pense,
qu’il serait mieux de… » ? C’est le troisième texte que je « dirige » (je préfère le terme « accompagner », diriger me donne envie d’acheter un fouet), et si je penche largement vers le second type, le premier me rattrape parfois, et avec lui une voix grêle qui semble
chuchoter : « Mais, bon sang, Mérédith, pour qui tu te prends ? »

J’imagine alors l’auteur, outré, scandalisé même, peut-être plutôt hilare, face à mes petites notes, mes ratures timides, mes objections justifiées : « Qui est ce mec qui veut changer MON texte ? Bon sang, pour qui se prend-il, ce Mérédith ? » Malaisé de lui donner tort, à cet auteur qui offre une part de lui-même et que l’on critique aussitôt, avec tout le professionnalisme possible. Il faut réussir à établir un dialogue et, mieux encore, à instaurer une camaraderie complice, se tenir prêt, également, à essuyer refus, rebuffades, engueulades ou, parfois, un silence réprobateur.

Sans aucunement comparer l’exercice à celui d’écrire, intervenir dans la prose d’un autre est un travail laborieux, aussi périlleux que chargé de responsabilité : il faut réfléchir à ce qui est améliorable, à ce qui ne l’est pas, différencier une erreur de la volonté de l’auteur, etc. Puis trouver les bons mots, les bonnes idées et s’engager avec sincérité, parce que si l’on vient désherber le paysage d’un jardinier et lui couper quelques fleurs, il vaut mieux pouvoir expliquer avec justesse et éloquence ses raisons. La tâche est difficile.

Mais je me fais violence, parce que j’ai l’impression que le métier d’éditeur réclame cette attention sévère : examiner les textes à la loupe, traquer leurs points troubles pour qu’ils s’éclaircissent, leur offrir le petit plus d’une première lecture vigilante. Comme l’ingénieur
du son qui enregistre le CD d’un groupe, j’essaye d’aménager un environnement soigné pour le roman que j’accompagne. Tant pis si je bouscule un peu l’auteur, tant pis si je ne suis pas vraiment à l’aise. Pour le moment, malgré ma modeste expérience, le dialogue s’est toujours noué naturellement avec les auteurs, comme s’ils l’attendaient, avec peut-être un peu d’inquiétude, mais je crois aussi que l’échange professionnel les a rassurés : ils ne sont plus seuls pour affronter la publication de leur texte.

Alors je continue de pinailler.

Les Saisons de l’étrange

Un financement participatif (« crowdfunding ») vient de s’achever hier soir, qui avait été lancé par nos amis des Saisons de l’étrange. Ce fut un joli succès.

Mais qu’est-ce qu’un crowdfunding et quelle est sa finalité, demanderez-vous peut-être ? Il s’agit d’un mode de financement participatif public, qui permet de réunir le capital pour des projets d’édition qui sans cela ne verraient pas le jour : ainsi, les dons d’un large public, allant bien au-delà des clients du réseau des librairies françaises (la « culture geek » au sens large, en fait), permet de créer certains projets ambitieux et qui sont ensuite également vendus en librairie. Il s’agit finalement d’une forme de subvention, issue du public lui-même.

Et que sont donc ces Saisons de l’étrange, demanderez-vous peut-être ? C’est une aventure éditoriale qui fut à l’origine cogitée et esquissée chez les Moutons électriques (voir Et si le Diable le permet de Ferrand et Malheur aux gagnants de Heylbroeck) mais qui a ensuite pris son autonomie, quelques collaborateurs et amis (le graphiste Melchior, le secrétaire Vivian et le bibliothécaire Arthur pour ne point les nommer) l’ayant développée, pour devenir une nouvelle maison d’édition – avec laquelle nous sommes associés !

Et maintenant que cette nouvelle maison est réellement lancée, que ses projets sont assurés, notre co-édition va entrer en plein dans le vif : quatre courts romans, les premiers de cette « première saison », viennent à l’instant de filer chez l’imprimeur. Une aventure lovecraftienne autour du monde par le nouvel auteur Lazare Guillemot, une fantasy urbaine nineties de Roland C. Wagner, une uchronie par l’ami russe Olav Koulikov et un steampunk endiablé par le bédéaste François Peneaud. En librairie en mars et avril.

Et si jamais vous avez envie de les recevoir directement chez vous, mais que vous avez manqué le financement participatif, sachez qu’il vous est encore possible de vous abonner à la première saison, jusqu’au 14 mars, eh oui !

Les formules d’abonnement :
http://www.moutons-electriques.fr/abonnement-saisons-80
http://www.moutons-electriques.fr/abonnement-saisons-90
http://www.moutons-electriques.fr/abonnement-saisons-100
http://www.moutons-electriques.fr/abonnement-saisons-110

Plus d’infos :
http://blog.moutons-electriques.fr/2018/01/24/3399/
http://www.moutons-electriques.fr/editeur/saisons-etrange
https://www.saisonsdeletrange.com/

Février 2018

Pendant que fleurissent les mimosas dans le sud-ouest où nous sommes désormais installés, notre équipe ne cesse son travail et fait également fleurir quelques jolies nouveautés…

En début de mois, tout d’abord, arrive en librairie un court roman de Nathalie Dau qui, délaissant un moment son univers du Livre de l’Énigme, nous livre cette fois une fantasy superbement ciselée sur fond de mythe du Pays de Galles, depuis le lointain passé jusqu’à l’époque moderne. Un bel hommage à l’esprit celte : Le Chaudron brisé. [aussi dispo en numérique]

Et comme Nathalie Dau est d’ores et déjà en passe de devenir une plume « culte », nous avons décidé de produire un tirage ultra limité de ce Chaudron brisé, tout comme nous l’avions fait il y a quelques mois pour ses Fragments d’un âge ancien. C’est notre petite gourmandise : 30 exemplaires seulement, reliure toilée grise sous jaquette inédite, du beau et rare pour le plaisir.

Du côté du poche, paraît chez Hélios un recueil à tout petit prix d’un très grand monsieur de l’imaginaire : J.-H. Rosny aîné, des Récits préhistoriques qui n’ont jamais été réunis dans sa célèbre Guerre du feu !

En deuxième partie de mois, nous renouvelons avec nos partenaires du collectif Indés de l’imaginaire l’opération « Pépites de l’imaginaire », à savoir la mise en avant de nouveaux talents. Et Opérations Sabines de Nicolas Texier est vraiment de ceux-là : toute notre équipe l’a dévoré avec un plaisir intense, une véritable jubilation. Voilà un roman de fantasy qui a le potentiel de marquer fortement, original et très accessible. L’auteur manie la plume aisément (il a publié trois romans à la NRF) pour exploiter sa spécialité, l’histoire militaire — et ça se voit — dans un esprit volontiers progressiste et une grande connaissance des mythes et folklores européens, qu’il met à profit : atmosphère, magie, suspense, retournements, moments forts, images fortes, style travaillé. Tout est là pour faire de ce roman une nouvelle pièce majeure de notre catalogue. [aussi dispo en numérique]