Lecture réconfort 18

Nous avons proposé à nos auteurs et collaborateurs de rédiger, s’ils le veulent, un court texte donnant un conseil de lecture genre « comfort books » pour le confinement, le tout distillé au fil des jours…
On termine par Jean-Philippe Jaworski.

En ces temps confinés, rien de plus agréable que de s’aérer dans une campagne que l’on croit familière, mais qui nous réserve encore bien des surprises. En compagnie de Jean-Rodolphe Turlin, je repars donc faire des Promenades au pays des Hobbits (Terre de Brume). Ce petit guide nous propose sept randonnées dans la Comté. Pour établir ses itinéraires, Jean-Rodolphe Turlin a épluché les œuvres de J.R.R. Tolkien, les cartes et les commentaires de Christopher Tolkien, mais il s’est aussi penché sur l’abondante littérature critique parue à propos de la terre du Milieu. Au gré de ses pérégrinations dans les quatre Quartiers et au Pays de Bouc, l’auteur éclaire les paysages par la toponymie, dont il nous livre une explication lumineuse fondée sur les étymologies en vieil et moyen anglais, parfois en gallois, expliquant au passage les choix faits par les traducteurs français. Les noms des rivières, des îles, des bois et des villages servent souvent à préciser les activités artisanales et agricoles des Hobbits locaux. On situe également les terroirs des grandes familles hobbites croisées aux fêtes d’anniversaire de Bilbo et Frodo. Ici ou là, on devine quelques vestiges laissés par le royaume d’Arthedain ou on découvre les activités produites par la bonne entente qui règne entre les habitants de la Comté et les Nains des Montagnes Bleues. L’ensemble forme une flânerie érudite sans être pédante ; elle nous dévoile tous les charmes d’un petit pays étonnamment proche des campagnes anglaises de l’époque édouardienne, tout en nous faisant goûter l’extraordinaire minutie créative de J.R.R. Tolkien.

Lectures réconfort 17

Nous avons proposé à nos auteurs et collaborateurs de rédiger, s’ils le veulent, un court texte donnant un conseil de lecture genre « comfort books » pour le confinement, que l’on distillera au fil des jours…
Au tour de Annaïg Houesnard.

Un comfort book ? Un comfort book, alors, mais qu’est-ce donc au juste ? On dirait que le terme s’applique mieux à ces livres qu’on peut relire sans se lasser, non pas tant pour leur histoire, qu’on connaît déjà, mais pour se replonger dans l’atmosphère bien particulière dont ils sont imprégnés. L’un de ces rares élus est The Elfin Ship de James P. Blaylock, ou Le Vaisseau elfique dans sa superbe traduction de Pierre-Paul Durastanti.

L’auteur lui-même s’est avoué incapable d’écrire un autre livre dans cette ambiance si spéciale (bien qu’il fasse partie d’une trilogie, celle de l’Oriel), qui emprunte un peu au Vent dans les Saules, un peu à Tom Sawyer, pour produire une perle méconnue de la fantasy. Son héros Jonathan Bing est un fromager, d’âge moyen dirons-nous (je sais, ça surprend), doté de deux compagnons farfelus à des degrés divers et d’un chien nommé Achab. Dans leur voyage en radeau, il sera question d’un fameux baril de cornichons à l’aneth, de camelots, de cadeaux elfiques, de café odorant, d’un nain maléfique qui arpente les campagnes la pipe au bec, de squelettes, de gobelins, et bien sûr de fromages. Une sorte de Trois hommes dans un bateau (jusqu’au chien), dont le Vaisseau elfique possède le même détachement ironique tout britannique (belle performance pour un auteur californien) – mais où vous risquez fort de croiser des trolls sur la rive. Et franchement, qui ne rêve pas de croiser des trolls ? Dénoncez-vous. Mais surtout, lisez-le d’abord, c’est mieux.

Lectures réconfort 16

Nous avons proposé à nos auteurs et collaborateurs de rédiger, s’ils le veulent, un court texte donnant un conseil de lecture genre « comfort books » pour le confinement, que l’on distillera au fil des jours…
Au tour de Sara Doke.

Le « comfort book » ultime aujourd’hui, pour moi serait L’Espace d’un an de Becky Chambers, à l’Atalante, ou comment passer un an enfermé dans un vaisseau tunnelier sans en souffrir, en compagnie d’un équipage essentiellement composé d’espèces extraterrestres. Tendresse, douceur, bienveillance et respect.
Dernière arrivée sur le Voyageur, Rosemary rencontre pour la première fois des êtres totalement différents d’elle, il y a peu d’humains sur le vaisseau, aussi exotiques qu’intrigants. Le technicien est amoureux de l’IA, le capitaine a une amante alien, le « plongeur » est double, la réparatrice adore les piments, le scientifique est odieux. Au cours de cette mission d’un année : creuser un tunnel de transport vers une nouvelle planète peuplée d’une espèce belligérante, la jeune greffière va apprendre à vivre dans un espace exigu mais convivial et découvrir de nouvelles manières d’aimer.
Roman feel-good par excellence, L’Espace d’un an nous fait découvrir le travail d’un autrice exceptionnelle qui parvient à construire des intrigues où la violence est absente des ressorts narratifs.
Ses deux autres livres, Libration et Chroniques de l’exode, sont tout aussi tendres et addictifs. Les deux premiers ont reçus le prix Julia Verlanger et la trilogie est lauréate du prix Hugo.

Lectures réconfort 15

Nous avons proposé à nos auteurs et collaborateurs de rédiger, s’ils le veulent, un court texte donnant un conseil de lecture genre « comfort books » pour le confinement, que l’on distillera au fil des jours…
Au tour de Chloé Chevalier.

L’Homme qui n’aimait plus les chats (Isabelle Aupy, Les éditions du Panseur) Petite pépite découverte cet hiver. Une île d’où les chats, mystérieusement, disparaissent. Puis leur « retour » — qu’ils disent ! — sous une autre forme, et le langage qu’on tord pour tordre les esprits, jusqu’à ce qu’une réalité, lentement, remplace l’autre. En révéler plus serait dommage, d’autant que l’opuscule se lit en une heure. Une métaphore multiple de notre vie contemporaine, des systèmes qu’on impose insidieusement, quels qu’ils soient, des désirs qu’on fabrique et force, et les voies qui nous restent pour résister à tout cela. Une fable, une parabole, qui n’est pas sans évoquer la nouvelle Matin Brun mais en résolument plus optimiste et ouvert.
Et puis un film, aussi, pour éclairer ces jours confis (un film ce n’est pas dans la consigne ? baste !) L’An 01 (collectif – Doillon, Resnais, Rouch, Gébé – 1971). « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste », tel est le sous-titre de ce film utopique et festif. Toute l’économie productiviste qu’on stoppe du jour au lendemain, une période de latence, et ce qu’on peut reconstruire ensuite, ça ne vous rappelle rien ?