« Opération Sabines » de Nicolas Texier (extrait)

Uchronie jouant sur les registres du roman d’espionnage, du polar, du roman d’aventures comme de la fantasyOpération Sabines de Nicolas Texier décrit une Europe où la magie côtoie locomotives, sabres, fiacres et arbalètes, et où les mages du M.I.6 croisent le fer avec les agents d’un Nouvel Empire romain œuvrant pour le désenchantement du monde. Roman vif et foisonnant, rédigé dans le style fleuri du vétéran qu’est Julius Khool, Opération Sabines se révèle aussi comme une réflexion sur les périls du progrès et sur les conséquences sociales et politiques qu’aurait l’existence d’une magie opérante.

Londres, 1937. Le jeune enchanteur Carroll Mac Maël Muad et son domestique Julius Khool, vieux soldat maure ayant servi dans les légions de la République romaine de Weimar, sont recrutés par le Special Operation Service afin d’exfiltrer un savant vénitien, dont les travaux dans le domaine de l’atome risquent de bouleverser l’équilibre des forces en Europe.

Ils ignorent cependant que ces découvertes ne sont pas convoitées que par les services de renseignements ennemis, mais également par une société secrète mêlant poètes, sorciers et créatures de l’outre-monde luttant pour leur survie. Loin de se passer comme prévu, l’opération « Sabines » amènera dès lors Carroll et Julius jusqu’au cœur des limbes, au long d’une route rythmée par les rencontres et les périls merveilleux.

Parution février 2018 !

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Du diable si j’allais continuer d’aller comme un faisan traqué par le renard, en refusant d’en avoir le cœur net !

« Maître ! grondai-je soudain à mi-voix, prenez mes rênes, je glisse de selle ! On verra bien si nous avons ou non un drôle à nos trousses ! Comptez jusqu’à 100 quand j’aurais disparu dans le fossé, puis attendez mon signal ! Un « Holà ! » et il faudra rejoindre ! Autrement, je vous crierai de revenir ! »

Maître Carroll se redressa avec une grimace, les paupières papillonnant sous la lune.

« Quoi ? Mais non, enfin ! Que…

– La main dessus, par Lugh !

– Hein ? Qu’est-ce que..?

– Roulez, maître, roulez ! Qu’on ne se doute de rien, derrière ! Tenez ma bride !

– Julius ! Bon sang ! Remonte tout de…

– Allez, filez ! Et chut, jeune maître ! Il ferait beau voir qu’on abuse un lancier de cette manière !

– Oh mille châsses… Pas de mort, Julius, pour l’amour du siodh !

– Disparaissez, vous dis-je ! »

Notre dialogue avait eu lieu à voix basse, et je n’entendais déjà plus maître Carroll lorsqu’après avoir bondi sur le bas-côté de la route, je me faufilai sous des fourrés grisâtres. Curieusement, mes bottes rencontrèrent immédiatement un sol spongieux, invisible sous les volutes d’une brume opaque, tandis que s’éloignaient dans le silence les pas de plus en plus étouffés de nos alezans, à croire que maître Carroll les menait en une contrée lointaine.

Pleure l’ormeau / Meure le chêne / Marche le saule / Si tard tu te promènes, dit la comptine. Nous étions dans cette partie du Wessex où l’on dit que persistent des enchantements millénaires depuis que les druides eurent à lutter contre les invasions saxonnes puis normandes. Eh bien ce doit être vrai, car je puis attester aujourd’hui qu’à l’endroit où je croyais m’être faufilé à l’écart de la route, se dressait à présent une belle rangée de saules, leurs branches frissonnant doucement dans l’air immobile. La chaussée avait disparu, aussi bien que si jamais aucune trouée n’avait été percée par les braves Celtes. À la place, j’avais devant moi une étendue indistincte de tourbe et d’ajoncs, où des nappes d’eaux noires traçaient des trouées méphitiques dans le marécage. Je n’entendais plus rien, ni nos chevaux, ni le pas de notre poursuivant éventuel. La nuit même semblait avoir changé, avoir des confins plus anciens, des odeurs plus profondes, quelque chose à la périphérie de la vision qui laissait croire que je n’étais plus seul.

Une demi-minute passa alors, pendant laquelle je dégainai l’épée en entendant, très loin, maître Carroll s’écrier qu’il ne trouvait plus la route et m’appeler à l’aide. Je tentai de bouger, mais mes bottes, profondément enfoncées, refusèrent de quitter la boue noire et fétide. J’aurais sans doute pu les abandonner là, et tirer sur les frêles branches des saules pour me tirer d’affaire, ayant suffisamment servi sous les armes pour connaître le danger des sables mouvants, comme la nécessité du soldat de devoir parfois sacrifier tous ses biens au profit de sa vie seule. Mais c’étaient de bonnes bottes, que j’avais fait tailler sur mesure par le bottier de mon maître avec mes premiers gages ! Du diable si j’allais les laisser à ce marais puant et me présenter pieds nus chez Dana Reez, comme un sauvage ! Cette hésitation aurait cependant pu m’être fatale. Il y eut soudain comme un remous aveugle dans la marécages et, brusquement, les eaux noires s’ouvrirent, dressant un sombre cheval immense devant votre serviteur !

Au cœur des jungles les plus profondes, j’avais déjà eu affaire à des charmes guerriers, dissimulant nos ennemis dans la sylve, leur donnant la forme, les couleurs et l’allure de troncs moussus, d’ombres émeraude ou de lianes, entravant les pattes de nos montures dans des entrelacs pernicieux de tiges pourrissantes. Mais je n’aurais jamais pensé assisté à ce qu’il me fut donné de voir ce soir-là, sur la route de Watford, et si je ne savais pas aujourd’hui ce qui alors me valut la vie sauve, je douterais encore de la manière dont je me tirai d’affaire. Combien de fois ne me m’étais-je pas retrouvé dans une situation semblable, en quinze années de reconnaissances, de brigandage et d’escarmouches ? L’instant suffit pour que fatigue et ivresse s’envolent, et si ma vieille carcasse fut parcourue d’effroi à la vue de cette bête monstrueuse, je crois que ce fut l’odeur qui me donna le sursaut nécessaire. Hadès sait à quel point j’ai vu de champs de bataille, et senti la puanteur de la chair corrompue imprégner mes vêtements, mes narines, au point d’en avoir toujours le goût et l’odeur infects des semaines plus tard dans le nez et la bouche, et encore parfois dans mes rêves. Le pire est sans doute les carcasses de chevaux, car on prend moins facilement la peine de les mettre sous terre et l’on n’a pas toujours des problèmes d’intendance pour devoir s’en nourrir. Je jure que celui qui se dressa devant moi, ses larges flancs ruisselant d’eau putride, faisait deux fois la taille du plus grand Shire des Royaumes. Il hurlait comme ne savent hurler que les montures martyrisées lors des batailles. La crinière lourde d’algues. De grandes plaques de putréfaction couvrant par endroits son pelage, où les chairs étaient mangées de mollusques et de vers. Des yeux fous, des dents énormes qui allèrent immédiatement claquer à deux doigts de mon visage… Ajoutée à la vague de limon, la pestilence m’avait permis d’arracher mes bottes de la vase, dans un mouvement de panique, et sans plus aucune pensée pour celles-ci, je bondis en arrière. Voyez ici l’intérêt d’un bon bottier. Achetées chez Sears, ces bottes auraient sombré sur place. Mais, mieux ajustées, celles-ci me suivirent, dans un « plorf » spongieux qui me renversa contre les saules, au milieu des hennissements terrifiants lancés par la bête, dont les antérieurs, lourds comme des poteaux de rugby, vinrent s’écraser contre les branches avec l’intention manifeste de m’enfoncer le poitrail.

Je n’étais cependant pas parti les mains vides. Même si nous étions en 1937 et que les routes étaient sûres, Julius Khool n’allait pas galoper de nuit sans orner son flanc de la poignée d’un sabre, et ce quelles que fussent les lois ineptes du haut-roi sur le port de l’arme blanche ! Je roulai donc, esquivai les sabots et me mis à tailler en vain dans les grosses pattes putréfiées de la bête, avec l’impression pour le moins désagréable que les racines des saules faisaient en sorte de ne bientôt plus me laisser d’échappatoire. Ce petit jeu pourrait durer tout au plus une poignée de secondes, jusqu’au moment où un sabot me toucherait au torse ou au visage, que les dents finiraient par se refermer sur mon bras ou mon crâne, ou que la puanteur aurait carrément raison de ma conscience. C’en serait fini de Julius Khool, dans ce marais putride… Et j’avoue que je commençai à envisager sérieusement la chose (comme cela m’était déjà arrivé d’ailleurs plusieurs fois au cours de ma carrière), lorsqu’une grosse branche morte venue d’on-ne-sait-où vint s’interposer entre moi et la bête.

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http://www.moutons-electriques.fr/operation-sabines

Parution février 2018.

 

CSG des écrivains : écrivez à vos députés

Pour le moment, rien ne semble pouvoir empêcher le gouvernement de faire subir dès 2018 une hausse de la CSG qui induira une baisse des revenus d’auteurs de 2,4 %. Nous, éditeurs, allons payer plus cher puisque nous devrons régler cette CSG plus élevée, mais les artistes-auteurs, travailleurs (rappelons-le !) déjà précaires, n’auront rien pour compenser cette hausse du prélèvement contrairement au reste de la population active.

C’est pourquoi nous nous permettons de relayer un courrier type préparé par le syndicat SELF, afin de vous suggérer d’interpeller vos députés, ainsi que la présidence de la République et les ministres concernés.

Ce courrier type est ci-dessous, il vous est possible de le personnaliser et de le transmettre à vos contacts.

En vous remerciant de votre attention,

Les Moutons électriques

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Monsieur/Madame

Le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2018, en cours d’élaboration, prévoit une hausse de la CSG de 1,7 %. Contrairement à ce qui est prévu pour le reste des actifs qui verront leurs revenus augmenter, cette hausse se traduira, pour les artistes-auteurs dont les revenus sont essentiellement ou totalement issus des droits d’auteur et des ventes d’œuvres, par une nouvelle baisse. En effet, les artistes-auteurs professionnels, ne cotisant pas à l’assurance chômage (et n’en bénéficiant donc pas), verront baisser uniquement leurs cotisations d’assurance maladie, ce qui creusera un différentiel de près de 2,4 % avec le reste de la population active.

En tant qu’artiste-auteur [écrivain/traducteur/illustrateur et/ou dessinateur/photographe/artiste plasticien]*, je m’adresse à vous pour vous exprimer ma totale incompréhension et ma réprobation quant à cet état de fait. À l’heure où les déclarations des plus hautes autorités de l’État soulignent la nécessité de faire rayonner la culture française, cette inégalité de traitement viendrait fragiliser un peu plus des professionnels de l’image et de l’écrit en butte depuis des années déjà à la paupérisation et à la précarité.

J’attends de vous que vous preniez toute la mesure du problème et usiez de votre influence afin qu’il soit mis fin à cette inégalité de traitement. A minima, il faut réserver aux artistes-auteurs de notre pays le même sort qu’aux autres actifs français.

Bien cordialement

/Signature/

* /Personnaliser selon votre situation personnelle./

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Chercher et prendre contact avec le député de sa circonscription :

http://www2.assemblee-nationale.fr/recherche-loc…/formulaire

Prendre contact avec le président de la République :

http://www.elysee.fr/ecrire-au-president-de-la-republique/

Adresse postale : 55 Rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris (l’envoi à cette adresse d’un courrier postal de moins de 20 g est gratuit)

Prendre contact avec le premier ministre :

http://www.gouvernement.fr/conta…/ecrire-au-premier-ministre

Adresse postale : 57 Rue de Varenne, 75007 Paris

Prendre contact avec la ministre de la Culture :

https://lannuaire.service-public.fr/…/cabinet-ministeriel_1…

Adresse postale : 182 Rue Saint Honoré, 75001 Paris

« Quatre volumes bourrés d’émerveillement » par André-François Ruaud

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois-ci, André-François Ruaud évoque la naissance d’un projet aussi fou qu’original : celui des « Artbooks féeriques ». 

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En cette fin d’année, les Moutons électriques publient quatre livres comme ils n’en ont jamais fait : quatre petits livres d’art, et je dois dire que les avoir devant moi, au moment où je tape ces lignes, continue à m’enchanter et me surprendre tout à la fois. Du genre « ouaah c’est nous qui avons fait ça ? ». Un projet un peu fou, un peu hors-norme, et qui a  une petite histoire…

Les projets éditoriaux n’ont pas forcément une source très simple. Dans ce cas précis, je peux cependant pointer du doigt les deux moments, les deux envies, dont ils naquirent. Tout d’abord il y avait notre grosse encyclopédie, le Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux : aussi illustré qu’il soit, et il l’est moultement, il restait encore tant et tant d’artistes à couvrir… comment le faire ? Et puis il y eut ma rencontre avec un graphiste bordelais, Philippe Poirier, qui s’avéra être collectionneur d’illustrations anciennes. Un jour que nous partions à un concert, il me confia sa passion pour l’illustrateur britannique William Heath Robinson et me suggéra de lui consacrer un beau livre. Au début, j’étais circonspect, le livre d’art ce n’était pas le domaine des Moutons, tu es sûr ? Et puis quand je lui rendis visite, ce fut moi qui fus sûr : devant l’étalage de tant de trésors, comment mon âme d’éditeur ne pouvait-elle pas palpiter d’envie ? Mais outre du William Heath Robinson à foison, l’ami graphiste possédait aussi beaucoup d’Edmund Dulac et d’Arthur Rackham. « Eh, Philippe, si on faisait non pas un, mais trois bouquins ? »

L’idée chemina, et inspiré par l’ancienne « petite collection » de chez Taschen, je décidai avec le chef de fab’ pour un petit format souple, pas trop cher à produire, mais néanmoins très esthétique. Le projet était tout de même bien fou, un peu trop pour nous à dire vrai, et un « crowdfunding » Ulule fut donc lancé, sans lequel nous n’aurions pas pu mener ce projet. Et puis, dans le cours de cette campagne de financement, l’option d’un quatrième volume fut avancée — je songeais à une monographie sur 5 ou 6 autres grands illustrateurs, mais intervint là notre amie Christine Luce, grande collectionneuse et autre fana de l’art illustratif. Son idée : prolonger le Panorama avec une sorte de mini encyclopédie de l’illustration féerique… Ce fut donc le volume Grands peintres féeriques, sur lequel elle travailla d’arrache-pied, avec toute une belle équipe de collaborateurs. Pour ma part, je m’attelai à la rédaction de trois biographies pour les trois autres volumes — gros et long travail, mine de rien —, avec en bonus une intervention de Xavier Mauméjean sur les machines de Robinson. Et puis les scans, et puis les scans, et puis les scans. Et les traitements d’images, et les mises en page… Un travail considérable, qui nous laissa pantelants, les yeux brûlants… mais heureux, au vu du résultat ! Assez fiers, même. Quatre volumes bourrés d’images splendides, de découvertes, d’émerveillement.

Septembre 2017

Allons, allons, séchez vos larmes : certes c’est la rentrée, mais nous avons tant et tant de bonnes choses à vous faire lire !

Il y a par exemple Espérer le soleil de Nelly Chadour : Staline ayant déclenché l’enfer nucléaire, le monde en 1951 survit difficilement, sous la chape de nuages qui le plonge dans une nuit et un hiver presque perpétuels. C’est l’hiver nucléaire, et dans les ombres continues des monstres sont apparus, les créatures des mythes que l’on croyait imaginaires : vampires, fantômes, monstres de toutes sortes… Autrice ayant fait ses premières armes chez les micro-éditeurs Trash et Le Carnoplaste, Nelly Chadour a attiré notre attention par sa plume virulente, robuste, très évocatrice et très actuelle. [titre également disponible en numérique]

Et puis, Malheur aux gagnants. Vous connaissez déjà Julien Heylbroeck comme auteur chez ActuSF du très psychédélique Stoner Road. La veine principale de cet auteur angevin est cependant plutôt à chercher du côté des « pulps », de la littérature populaire et du roman-feuilleton, ainsi que de celui des films de série B et Z. L’auteur a peaufiné durant plusieurs années ce court roman, qui nous plonge véritablement dans les années trente, avec une belle véracité de ton. Mais ce n’est pas tout : roman policier fortement teinté de fantastique, ou de science-fiction puisque le « méchant » de l’histoire est une sorte de savant fou, il s’agit avant tout d’un récit drôle, enlevé, d’une puissante atmosphère et d’un imaginaire échevelé. [titre également disponible en numérique]

Du coté du poche, voici venir Fragments de l’âge ancien, un recueil où Nathalie Dau lève le voile, par petites touches, sur les événements situés en amont de son cycle « Le Livre de l’Énigme », et prolonge l’enchantement des romans Source des tempêtes et Bois d’Ombre déjà tant salués. [titre également disponible en numérique]

Une réédition : pièce majeure de notre catalogue, le recueil Janua Vera de Jean-Philippe Jaworski venait d’être épuisé — nous le ressortons donc en format souple, avec dos et rabats en aplat de couleur, pour aller avec l’édition actuelle de Gagner la guerre. [titre également disponible en numérique]

Et puis enfin, vous nous connaissez, nous sommes gourmands… et nous aimons tellement les livres que, régulièrement, nous produisons à tirage ultra limité quelques beaux petits volumes. Notamment lorsqu’un projet nous arrive qui, pour être séduisant, ne trouverait vraiment pas sa place en librairie : l’anticipation ancienne, par exemple. Alors lorsque l’érudit Fabrice Mundzik nous a proposé de sortir un roman publié en feuilleton en 1898, Le Monde du vingt-cinquième siècle de Charles Kymrell, qui n’est jamais paru en volume depuis et pèse plus d’un million de signes… Eh bien, nous avons décidé d’en faire un tirage de luxe, pour le plaisir du texte, pour que ce projet existe un peu et de jolie manière.