« Sachem Blight, une petite musique », par André-François Ruaud

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois-ci, André-François Ruaud vous parle d’une bien étrange aventure, celle de Sachem Blight et Oxiline : « Et si le Diable le permet »

***

Les deux premiers romans de Cédric Ferrand ont été très bien reçus, alors quand l’auteur propose un troisième récit, chacun conviendra qu’il n’existe aucune raison de s’arrêter en si bon chemin. Mais Cédric a un signe particulier : ses projets se suivent sans se ressembler. Lorsqu’il nous a présenté sa série, emportée par un aventurier dans les années 1930, avec des secrets et des monstres lovecraftiens… Eh bien, la surprise fut amusante et notre accord immédiat, bien entendu.

Ce n’est qu’ensuite que l’on s’est dit : « Bon, et comment on va le vendre ? ». Que voulez-vous, c’est ça, le métier d’éditeur : un mélange de direction littéraire et de soucis commerciaux. Très vite, nous avons donc eu envie de mettre ce roman à part, de ne pas l’inscrire dans la « Bibliothèque voltaïque », mais de lui tailler un look pour lui, afin de jouer à fond la carte de la série, et lorsque nous avons reçu le premier jet, il n’y eut plus de doutes : ce roman avait quelque chose d’un « pulp » à la Tarzan, ou d’un fascicule italien à la Martin Mystère, sans parler d’une sorte d’aspect iconique à la Indiana Jones…

Et j’aime ça, la littérature d’aventures, de mystère et d’action : des récits de pure distraction, qui se lisent vite et en jubilant. Nous leur avons rendu quantité d’hommages dans notre « Bibliothèque rouge », mais pourquoi ne pas le faire directement en fiction, dans un format court ? Le hasard faisant bien les choses, nous avons reçu un manuscrit de Julien Heylbroeck, un roman qui s’essayait au mélange inédit entre le polar, le fantastique et l’imaginaire « pulp ». Hé ! On tenait quelque chose, là, non ? Le roman fut promptement accepté, et une collection commença à s’esquisser… D’autant que ledit Heylbroeck avait lui aussi très envie de se lancer dans une série fantastique et d’action mettant en scène des détectives de l’étrange…

Alors voilà : nommons notre collection les « Saisons de l’étrange », et amusons-nous ! Et puis, littérature d’aventures, littérature de distraction… mais pas que : car Ferrand écrit « sa petite musique », et sous l’hommage souriant à la légèreté des « pulps » il développe, l’air de rien, pas mal d’autres choses : raconter une époque et des gens ; jouer sur les rivalités de langues, ce qui est récurrent chez lui ; et enfin, développer un exotisme totalement inattendu, puisque son histoire se déroule à Montréal ! (le prochain se passera à Paris en 1931, apparemment).

Je l’ai lu, ce roman, et relu, et décidément j’aime bien « sa petite musique » — oserai-je même faire allusion à quelque chose de très personnel ? Il y a pas mal d’années, j’avais tenté en tant qu’auteur d’écrire un cycle de nouvelles, mêlant l’atmosphère du « roman gris » à la Simenon avec un aspect assez « pulp », le tout dans une uchronie. Et dans la démarche de Cédric, je retrouve quelque chose d’assez semblable, qui ne pouvait donc que me séduire.

Mais c’est pas tout de nous proposer cette jolie intro : on veut lire le deuxième, maintenant, monsieur Ferrand !

André-François Ruaud

Le livre en question : http://www.moutons-electriques.fr/diable-permet

Avril 2017

Eh bien, après le mois de Lovecraft, on dirait bien que voici venir en quelque sorte le mois de Mathieu Rivero — ce qui est nettement moins horrifique, reconnaissons-le.

Nous publions en effet deux courts romans de ce jeune auteur, à qui nous devions déjà Or et nuit et Chimères captives. Et c’est d’ailleurs la suite de ce dernier qui sort ce mois sous le label Naos, à savoir Songe suspendu, deuxième volume de la trilogie de fantasy urbaine des Arpenteurs de rêve. Un deuxième tome qui approfondit l’univers très original des Arpenteurs du rêve ; les personnages gagnent en maturité, comme leurs problématiques, la magie prend corps et les frontières se brouillent. Toujours rythmé par de multiples points de vue et des chapitres courts, on y retrouve également ce qui faisait la poésie du premier opus : une plume épurée, un style particulièrement apte à créer des scènes très visuelles.

L’autre nouveauté de Mathieu Rivero est une belle surprise, un objet-livre particulièrement original et marquant. Tout au milieu du monde a été conçu en collaboration par Julien Bétan et Mathieu Rivero avec notre graphiste, Melchior Ascaride. Le trio d’auteurs a conçu ce livre pour raconter une histoire atypique, au parti-pris graphique fort : entièrement en bichromie noir / rouge, c’est véritablement un roman graphique. Non content d’illustrer le propos, l’image souhaite aussi donner vie à cet univers, à la manière d’un narrateur « parallèle », ou comme la musique d’une chanson participe à poésie des mots. Intégrées au texte, les images  renforcent la narration. Avec sa préhistoire sous acides, Tout au milieu du monde rend, entre autres, hommage aux travaux d’H.P. Lovecraft, mettant en scène des individus face à une cosmogonie démesurée et mystérieuse. (Les commandes seront accompagnées d’un marque-page exclusif)

Pour revenir à l’univers de Lovecraft, n’oublions pas la sortie du Cthulhu ! de Patrick Marcel, récemment invité de France Culture pour l’émission « Mauvais genres ». L’auteur s’amuse à tisser ensemble tous les fils des mythes lovecraftiens, des théories du complot et de la littérature fantastique. Faussement sérieux, il brasse  tout cet imaginaire comme s’il s’agissait d’événements réels et retrace à l’aide de quantité d’éléments une sorte de réalité différente — lovecraftienne !

Et on dirait que nous y prenons goût : après Christine Luce et Julien Heylbroeck, c’est au tour de Nathalie Dau de voir son prochain livre faire l’objet d’une souscription pour un « tirage de tête » ultra limité (30 exemplaires seulement) sous couverture alternative de Melchior Ascaride. Les commandes sont déjà lancées, pour ce recueil de 9 nouvelles et 1 novella situées dans l’univers du Livre de l’Énigme. L’édition « normale » sortira en fin d’année, en poche Hélios.

Enfin, en termes de livres numériques nous continuons l’avalanche, avec les rééditions de deux Roland C. Wagner, de la Kallocaïne de Karin Boye, de deux Dominique Douay, de deux Ayerdhal et du Sentiment du fer de Jean-Philippe Jaworski… Lecture sur liseuse ou sur tablette, il s’agit d’un autre confort et d’une autre pratique de la lecture, auxquels nous sommes également attachés.

Japon ! par Julie Proust Tanguy

Début mai, nous lançons un nouveau financement participatif, un projet un peu fou comme nous seuls (et nos amis du collectif Les Indés de l’Imaginaire​) en avons le secret. Imaginez : un beau livre en grand format, comparable au « Panorama illustré de la fantasy et du merveilleux », mais qui évoquerait cette fois l’incroyable et florissante culture de l’imaginaire japonais…

En attendant, pour justement faire travailler votre imagination, Julie Proust Tanguy, l’autrice, vous raconte sa passion… Aujourd’hui, elle évoque l’origine de son amour pour le Japon

***

À l’origine de chacun de mes essais, il y a une passion qui me poursuit depuis l’enfance. Pirates! et Sorcières! proviennent de mes jeux enfantins et de ma tendresse précoce pour les marginaux, les exclus de l’Histoire officielle.
Mon Antiquité Romaine est le reflet d’un de mes bonheurs quotidiens, transmettre les joies du latin et de la civilisation romaine à mes élèves (je fais en effet partie de cette belle espèce en voie d’extinction, les professeurs de lettres classiques).
Et le Japon, me direz-vous ? Là encore, la fascination remonte à l’enfance… et aux douces heures passées, dans les années 80-90, à rêver de cosmo-énergie, d’Arcadia, de prisme lunaire, de boules de cristal, de mechas et de cyborgs-fillettes, de sources magiques qui me permettraient de réaliser un de mes plus grands rêves (me transformer en panda) et d’ombres qui filent dans la nuit (c’est un assassin qui s’enfuit)…
À ces amours enfantines se sont rajoutés, ado, une véritable passion pour la poésie incomprise des kaiju eiga, la découverte simultanée de deux cinéastes aux univers contrastants mais curieusement complémentaires (Kitano et Kurosawa) et d’auteurs singuliers, qui chahutaient ma vision de la beauté et du roman (Kawabata, notamment), la redécouverte de Miyazaki dont j’avais vu et osé oublier le Porco Rosso…
Je pourrais énumérer longuement ces multiples rencontres qui ont ponctué mon parcours nippophile, mais ce serait déjà écrire, sur un modeste écran de téléphone, ce qui en est l’aboutissement: l’envie profonde de transformer ces fascinations en livre. Le besoin de transcrire mon Japon, si j’ose dire, et de le donner à voir, à travers mes photographies, à ceux qui n’ont pas encore eu la chance de pouvoir s’offrir des billets d’avion vers le pays de leur cœur et à ceux qui, l’ayant vu, sont comme moi éternellement nostalgiques, désireux de retourner là bas, pour comprendre, encore et toujours plus, leur fascination.

Julie Proust Tanguy

Lisa Goldstein, une plume au parfum des Moutons électriques

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois-ci, André-François Ruaud vous parle de Lisa Goldstein et de sa fantasy urbaine : Sombres cités souterraines

***

Il y a déjà un peu plus de 3 ans, j’ai déménagé, quittant Lyon pour Bordeaux. Après pas mal de mois en cartons entassés, parce que les rayonnages tardaient à arriver, et après être parvenu à tout réuni sur le même mur des romans (sans parler du fait d’avoir trié les colis supplémentaires récupérés à Lyon lors que nous avons fermé notre garage là-bas), me donna quelques perspectives et un peu de recul sur tout ce qui se trouvait accumulé là. Et d’avoir tant remué de bouquins me donna de grandes envies de relectures — pour le plaisir, bien sûr, mais aussi pour le boulot : il y avait déjà un moment que me titillait l’envie d’ajouter à notre catalogue de création francophone au moins un (ou une) auteur de langue anglaise ; un écrivain à traduire mais que nous pourrions « pousser » plus ou moins comme nous le faisons d’ordinaire avec nos plumes de langue française.

Je relus donc, et relus, et relus, et relus… De la fantasy, surtout, et un peu de science-fiction. Il y aurait-il un auteur encore non traduit qui puisse convenir au catalogue des Moutons électriques, à notre vision — hum non, le terme est trop prétentieux — disons au parfum, à la teinte que petit à petit nous essayons de dégager des romans que nous publions à la « Bibliothèque voltaïque » ?

Au fil de ces relectures, je constatai que certains des auteurs dont je conservais un souvenir tendre n’étaient finalement pas d’une trempe telle qu’il faille les traduire, selon moi; ou bien même, l’un me déçut profondément, tant je n’avais pas su voir lors de ma première lecture, dans le temps, le sous-texte très désagréablement réac de tel auteur. Oh, et puis je découvris que pas mal des autrices de fantasy que j’avais tant aimé suivre, grosso-modo cette génération née à la fin des années 1950 et éclose en fantasy à la fin des années 1980, avait mis fin à leur carrière. Mais enfin, tout de même, j’en revins à deux noms qui m’avaient toujours séduit plus que tous les autres, deux plumes majeures selon moi — l’une s’étant effectivement presque arrêtée d’écrire mais avec derrière elle une œuvre vaste ; et l’autre poursuivant encore sa carrière, qui même venait de publier coup sur coup deux superbes romans. Deux plumes plutôt spécialisées dans la « fantasy urbaine », un genre que je porte particulièrement dans mon cœur. La première de ces plumes présentait quelques problèmes éditoriaux possibles : le caractère de l’auteur, d’abord, la longueur assez excessive de la majorité de ses romans, et le moindre goût du traducteur (Patrick Marcel) pour son style lyrique.

Alors, il ne restait plus de doute : si nous pouvions en acquérir les droits, Lisa Goldstein s’imposait tout naturellement comme notre autrice américaine de choix, une voix assez méconnue mais solide, originale et de qualité au sein de la fantasy contemporaine. J’avais tout lu et relu de Lisa Goldstein, il n’y avait aucun doute pour moi : je tenais là ma « candidate » idéale à une introduction dans notre catalogue ovin… Mieux même, j’eus l’idée pour tenter de l’imposer en France (où elle avait déjà été un peu traduite, sans faire de vagues) de sortir trois romans en un an ! Un inédit en janvier 2017 (Sombres cités souterraines), une rééd en poche chez Hélios en octobre 2017 (Touristes, que nous renommerions Amaz), et un autre inédit en janvier ou février 2018 (Walking the Labyrinth). Oui mais bon, c’est bien gentil de rêver, mais les auteurs étrangers, leurs droits passent par des agents… Eh bien, petit miracle : j’expliquai à l’agent très franchement l’état du marché, notre plan, nos moyens… Et elle nous écouta ! Le premier est paru, lisez Lisa Goldstein, la découverte en vaut le détour ; et si vous êtes sages, sachez même qu’elle devrait venir aux Imaginales en 2018, eh oui.

André-François Ruaud

Pour en savoir plus : http://www.moutons-electriques.fr/sombres-cites-souterraines