Allison – une brillante mise en abyme générationnelle

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre…

Cette fois-ci, c’est Julien Bétan, second des Moutons électriques, qui vient vous parler du roman de Laurent Queyssi… « Allison » (http://www.moutons-electriques.fr/livre-380)

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Allison

« JULIEN, EST-CE QUE TU POURRAIS LIRE ÇA, c’est un roman de Laurent Queyssi que j’ai très envie de publier, je voudrais avoir ton avis dessus ? » me demande André-François Ruaud lors d’un séjour bordelais. Laurent, je ne le connais pas vraiment, à part de réputation, comme écrivain et scénariste, spécialiste de science-fiction, auteur jeunesse chez Rageot. Il participe aussi à des émissions de WebTV, on a dû se croiser deux trois fois. Je transfère le fichier dans ma liseuse pour le trajet retour vers les portes de la Provence, navette, avion, train. Dès les premières phrases, le texte m’accroche. Je le lis d’une traite et passe la fin du voyage à rêvasser en sa compagnie.

Premier constat, c’est le genre de bouquin que l’on a envie de terminer, ne serait-ce que pour retrouver cet état trop rare qui survient lorsque l’on referme un livre nécessitant d’être digéré. Cette espèce de flottement, de rêve éveillé, entre fiction et réalité. Je plane un peu, comme Allison parfois, même si mes pieds à moi restent connectés aux vibrations du wagon, aux cahots sur la voie.

Je feuillette à nouveau les premières pages, songeant en tâche de fond à ce qui fait un bon roman, à cette insaisissable recette et à ses ingrédients. La musique se trouve au cœur de celui-ci, tisse sa structure même, rythme la narration comme la vie des personnages, mais elle se retrouve également à sa surface. Les choix sont précis, les phrases limpides, chaque mot sonne juste. Aucun de ces petits couacs qui émaillent le plus souvent la lecture d’un manuscrit, rien qui ne vienne heurter l’entendement ; si je n’ai pas du tout l’oreille musicale, je suis néanmoins particulièrement sensible à la mélodie d’un texte. La langue est fluide, efficace, véhicule une véritable émotion. J’en veux un peu à Laurent, mais pas méchamment : ça fait quand même un sacré bail que je n’ai pas eu une larme au coin de l’œil en lisant.

Je suis de la même génération qu’Allison, j’ai moi aussi grandi dans une petite ville monotone ­– et, comme elle, bien davantage en la quittant. Je me rends compte que cette plume épurée, à la simplicité trompeuse, est parvenue à me replonger avec délice et non sans nostalgie dans cette période précise comme dans l’univers mental qui était alors le mien. Une immersion qui ne tient pas tant à la proximité de ce récit avec ma propre vie qu’à la qualité de l’évocation, bien plus universelle cette fois, du passage à l’âge adulte. Une brillante mise en abyme générationnelle, qui dépasse les époques et vient nourrir une discrète réflexion sur la transmission et l’identité. Beau comme un plaisir de lecture adolescent, ce roman est un voyage dans le temps tout intérieur, qui fait un bien fou et rend aussi léger que lorsque l’avenir est encore, à nos yeux, illimité.

Julien Bétan

En quatre nouveautés, ce mois-ci, nous couvrons un large spectre des littératures de l’imaginaire et cela, avec quatre romans relativement courts, dont la force tient nettement dans leur propos plutôt que dans leur ampleur.

Allison plane en écoutant de la musique : littéralement ! Désireuse de comprendre, elle se lance à la recherche des fréquentations de son père, musicien mort quand elle était petite, puis part en Angleterre pour rencontrer un journaliste qui semble connaître le phénomène. Puisant dans son goût pour la musique pop des années 90, Laurent Queyssi propose une comédie douce-amère sur l’adolescence, les origines et le passage à l’âge adulte. Un voyage dans le temps tout intérieur, qui fait un bien fou et rend aussi léger que lorsque l’avenir est encore, à nos yeux illimité. (titre également dispo en numérique)

Dur silence de la neige de Christian Léourier est un autre roman court que le nouveau petit format nous permet de proposer enfin. Il n’est pas toujours aisé pour un auteur de se trouver « enfermé » sous une étiquette. Si Christian Léourier est bien connu en littérature jeunesse, dans le domaine pour adultes son nom est synonyme que de science-fiction et pourtant, ce grand auteur a ressenti le besoin de livrer un beau roman de littérature classique, âpre, sombre et prenant. Pour nous, son style se compare réellement au meilleur d’un Jean Giono ou à Un crime de Bernanos, c’est dire s’il s’inscrit bien dans une littérature d’une ruralité puissante — loin des sentiers de la SF mais d’une ambiance fantastique, quoique le surnaturel ne surgisse jamais. (titre également dispo en numérique)

Rite de passage d’Alexei Panshin est la redécouverte d’un roman culte de la SF, prix Nebula 1968. Fillette ordinaire, juste un peu petite pour son âge, Mia habite au Quatrième Niveau, Alfing Quad, avec son père Miles Havero, mathématicien et membre du Conseil du Vaisseau. Son autobiographie est rédigée de manière très convaincante, avec franchise (elle reconnaît dès la première ligne qu’elle a certainement un peu inventé les passages de l’histoire dont elle ne se souvenait pas bien), clarté, et une touche d’humour intelligent. Fine mouche, elle ne manque jamais de nous exposer les tenants et les aboutissants d’un fait — quand c’est à sa portée, du moins. Une autobiographie, mais dans un cadre de science-fiction — celui d’un immense vaisseau spatial, où vit toute une société en vase clos. Un roman majeur, en nouvelle traduction.

Ce qui réunit tous ces titres, c’est à la fois leur format : ils sont courts, alors qu’en littératures de l’imaginaire on favorise souvent les pavés ; et ils sont plutôt « écrits de l’intérieur » (comme disait Cortázar) que « vus de l’extérieur » comme on le pratique le plus souvent en littératures de genres. Notre quatrième roman du mois, lui, est d’une narration plus classique en imaginaire et rejoint des passions souvent abordées dans notre catalogue : l’ère victorienne, Dracula, Jack l’Éventreur, Londres… Dans un thriller aussi puissant qu’original, Je suis le sang, Ludovic Lamarque & Pierre Portrait font se croiser deux mythes criminels, deux intrigues : celle, réelle restée jusqu’à ce jour mystérieuse, et l’autre, romanesque, dont ils révèlent les ressorts cachés… (titre également dispo en numérique)

Une histoire de profil, par Melchior Ascaride

oeillet vert blogNous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre…

D’HABITUDE chez Les Moutons électriques, on s’occupe de fantasy et de science-fiction. Mais voilà qu’un jour je reçois un e-mail dans lequel André-François Ruaud me demande de m’occuper de la couverture d’un roman n’ayant rien à voir avec les genres susnommés, intitulé L’œillet vert, suivi d’un descriptif du livre sachant que ce dernier était toujours en cours de traduction. De sa première traduction en français, excusez du peu ! Et donc de sa première édition française, plus d’un siècle après sa première parution. Je suis certes en terra incognita, mais après lecture de l’e-mail je me dis « Ce soir, je dîne avec Christophe Colomb, Erik le Rouge et autres Buzz Aldrin ! ». Bon, à la table des enfants certes, mais tout de même !

Seulement je fais quoi avec ce livre ? Le titre pourrait être bêtement transposé en image après tout. Malheureusement, piètre horticulteur que je suis, je serais bien en mal de reconnaître un œillet si j’en voyais un. Et puis l’idée d’un personnage fictif (Esmé) dont les lignes proviennent d’un personnage réel (Wilde) m’intéressait bien plus. Donc j’ai réfléchi à une composition qui imbriquerait deux visages de ce cher Oscar. Par exemple une photo de face et une de profil mélangées. Ça pourrait être pas mal ça !

J’ai donc trouvé assez vite un superbe portrait de face réalisé par Napoleon Sarony. Formidable, la moitié du chemin est faite. Bon allez plus qu’à trouver une image de profil et le tour est joué. Et là… Rien. Pire que rien même ! Pas un seul portrait de profil. Incroyable. Internet ne contient donc pas tout, ma vie était un mensonge ? J’ai beau chercher, traquer des blogs américains d’amateurs de Wilde, les contacter pour leur demander d’où viennent leurs images, voir avec surprise et joie qu’ils me répondent et me donnent les contacts de divers « wildophiles » et ayants droit, ne recevoir aucune réponse de la part de ces derniers… J’ai même, c’est vous dire, poussé mes recherches au-delà de la troisième page de Google. Je vous le dis, j’ai fouillé partout. Sans succès.

Puis, au hasard d’une conversation avec un ami dans laquelle je lui racontais mes fouilles archéologiques 2.0, ce dernier m’apprend que Wilde ne s’est jamais fait tirer le portrait de profil car, en bon dandy, il avait honte de son embonpoint et en particulier son double-menton. Elle était donc là la clef de l’énigme ! Dans un excès de peau et de tissus adipeux. Vanité, tu seras la ruine de l’homme et tu as manqué de me coûter une couverture ! Car je n’allais pas baisser les bras face à un simple goitre. Qu’auraient dit Buzz et Erik ?

J’ai donc abandonné mes recherches d’un portrait photographique au profit d’une recherche de statue. J’ai farfouillé chez Madame Tussaud, dans le Merrin Square de Dublin mais là encore les photographes en herbe respectaient la volonté de l’auteur. Jusqu’à ce que, probablement au détour de la septième ou huitième page de recherche, je trouve le Graal. Un buste. Et pris sous tous les angles. Faites donc place Alexandre, Temudjin et Tamerlan. Un nouveau conquérant vient taper dans le buffet des vainqueurs !

J’avais tout ce dont j’avais besoin : un profil pour une silhouette, un portrait de face à y insérer car Oscar Wilde méritait amplement de figurer sur la couverture et… voilà (à prononcer avec l’accent de l’anglophone qui parle en français) ! L’œillet figurera sur les rabats intérieurs, un fond blanc pour rester sobre et bien faire ressortir les visages et juste une touche de vert pour le titre.

C’était prêt, il ne restait plus qu’à lire !

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Melchior Ascaride, graphiste 

Mars 2016

Un mois de mars où nombreux sont, pour le troupeau électrique, les événements de toutes sortes…

Un premier événement, c’est le retour de Michel Pagel : cet excellent écrivain s’est fait très discret depuis quelques années, après une carrière pourtant aussi belle que prolifique, et c’est avec bonheur que nous publions Le Club. La puissance de ce roman, c’est qu’il joue sur nos peurs, sur nos doutes d’adultes en nous confrontant à notre imaginaire d’enfants. Le vertige central de son récit, c’est cette existence d’un groupe de personnes qui appartiennent à la fiction : comment peuvent-ils être réels, qui cherche à les éliminer, et pourquoi?

Auteur majeur des littératures de l’imaginaire, Michel Pagel tissa notamment au fil des ans un cycle fantastique d’une ampleur inédite : La Comédie inhumaine. Revenant sur cette œuvre, indisponible depuis 11 ans, l’auteur a souhaité en livrer une version révisée et définitive, à laquelle il a ajouté une longue préface et un épilogue inédit. Cette fois la boucle est bouclée, et c’est sous la forme d’une édition de prestige, luxueuse et en tirage limité, que nous avons décidé de la livrer : une souscription plus tard, voici donc enfin ces huit beaux volumes d’un coup — ça c’est de l’événement !

Source des tempêtes de Nathalie Dau, c’est un roman auquel nous croyons énormément. Pour nous, il s’agit d’un premier tome d’un cycle majeur du merveilleux francophone, du niveau d’un Jaworski ou d’un Platteau à tout le moins. À travers une langue ample, charnue, travaillée, Nathalie Dau créé une fantasy mature, un univers puissamment féerique et épique, pour y faire vivre des personnages criants de vérité, dans leurs faiblesses et leurs forces, leurs lâchetés et leurs courages, leurs haines et leurs amours. En suivant le périple de Cerdric et Ceredawn, du chevalier et de son petit frère faë, nous avons ressenti cette émotion, si rare, d’avoir sous les yeux un véritable grand récit magique, de ceux qui vous happent et ne vous relâchent qu’une fois la dernière page atteinte.

Enfin, le quatrième événement du mois, c’est le retour d’un grand mythe : le Roi des Détectives est de retour ! Mais oui, Harry Dickson, l’enquêteur de l’étrange rendu légendaire par Jean Ray, double occulte de Sherlock Holmes qui vécut 178 aventures de 1929 à 1938, trouve soudain un nouveau souffle ! Sous la plume fantasque et inspirée de Robert Darvel, ce Londres fantastique retrouve tout son panache. Cinq nouvelles sont au sommaire de ce premier recueil (dont une inédite, plus une postface), dans la collection de poche Hélios Noir, et un deuxième sortira en octobre.