Revue de presse, « Kallocaïne ».

Kalloca

« Si Kallocaïne ne suscite que peu de réactions chez les néophytes, les érudits auront immédiatement reconnu l’une des quatre plus importantes contre-utopies du XXe siècle. […] Pourtant, le roman de Karin Boye fait un peu figure d’oublié dans nos contrées. Espérons que la nouvelle traduction de Leo Dhayer, plus conforme à l’original, lui redonne sa juste place aux côtés de ses pairs. […] Plus de soixante-dix ans plus tard, Kallocaïne garde intacte sa puissance d’évocation et son potentiel anxiogène. Plus que jamais d’actualité, a fortiori à l’époque où l’arme psychologique a rejoint l’arsenal militaire, le roman de Karin Boye apparaît comme le chaînon manquant entre Nous Autres de Zamiatine et 1984 de George Orwell. » (Yossarian, Sous les galets, la page…)

« Le personnage central, Leo Kall, est convaincu du bienfondé de cet état omniprésent et n’aura de cesse de mettre en avant ses compétences de chimiste pour permettre d’anticiper encore plus les risques d’atteinte à l’intégrité de l’état. Dans ce monde où la guerre avec le voisin semble déclarée même si personne ne connaît ce voisin, la  découverte de la molécule de Kallocaine va entraîner le chercheur sur une pente glissante, le faisant réfléchir à sa position et à sa relation avec les autres, fondée en permanence sur la peur d’être dénoncé. C’est aussi une façon de montrer une société totalitaire, soumettant sa population par la peur, la peur qui permet de faire faire les pires choses aux populations. » (Allan, Fantastinet.com)

« Là où l’écrivaine prouve qu’elle a tout compris au système totalitaire, c’est lorsqu’elle pousse le jeu tellement loin qu’elle révèle que la paranoïa de ce régime causera sa perte. Même sans ennemi, même sans menace concrète, l’avènement de la Kallocaïne et l’inclinaison à passer tout le monde à la question prouve que le monstre finira par se bouffer lui-même. Que la chose est insupportable en fin de compte. Et puis, à côté, il y a Rissen. Il reste des hommes qui gardent toujours une flamme au fond d’eux, qui s’attise avec le temps, avec les horreurs et qui finiront par résister. En soi, le simple fait d’exister en tant qu’être humain sensible devient un acte de résistance. Le roman donne pourtant des frissons. Il prévoit déjà l’avènement des caméras de sécurité et des microphones, les glisse partout, jusque dans la chambre conjugale, il dénature l’amour et l’acte de concevoir des enfants, il montre comment contrôler jusqu’aux faits les plus intimes qui soient. Kallocaïne est un roman violent, au final, une histoire d’une extrême violence, moralement et psychologiquement. L’utilitarisme de cette société où tout doit être fait pour le bien-commun devient une absolue horreur. L’être n’existe plus, il doit s’effacer, disparaître derrière des considérations plus grandes. Comme englouti par une bête immonde. Cette œuvre visionnaire bouleverse. Elle prend aux tripes quand on s’y attend le moins tout en montrant par le menu la privation d’humanité qu’induit le régime totalitaire quel qu’il soit. En choisissant de miser sur l’intime et la psychologie plutôt qu’une critique sociétale froide et rigide, Karin Boye dépasse toutes les espérances. Kallocaïne terrifie. Mais de façon tout à fait essentielle. » (Nicolas Winter, Just a word)

« Voilà l’illustration romanesque qui manquait au Léviathan de Hobbes. Nous ne savons pas où ni quand cela se passe, mais qu’importe car cela est universel. […] Les premières pages m’ont scotchée par leur intensité signifiante et la suite ne m’a pas déçue : chaque personnage, chaque signe est à sa place et la simplicité apparente de ce roman en fait aussi la force. Génial : l’auteur est une digne héritière d’Huxley, Zamiatine, Orwell, avec un coup de plume parfait tant il est au service de l’histoire : fond et forme indissociables. De la littérature, quoi. » (Mathilde Le Guay, librairie Decitre Lyon Part-Dieu)

« Il faut découvrir ce chef-d’œuvre méconnu de la littérature mondiale. Jusque-là, sur SyFantasy, aucun livre ne m’avait semblé aussi nécessaire à faire connaître, à partager. Kallocaïne mérite de sortir de l’ombre, car même s’il a été publié en 1940, il continue d’éclairer notre époque avec sa lumière crue. Kallocaïne est comme 1984 ou Le Meilleur des Mondes, une dystopie qu’il est nécessaire de lire et de relire pour réfléchir sur l’état de notre société et ses dérives. Un indispensable. » (David, Syfantasy.fr)

« Je serais tenté d’écrire que, si le but de George Orwell, dans 1984, était de dénoncer les procédés du totalitarisme qui font perdre à l’homme son humanité, celui de Karin Boye, dans Kallocaïne, était de démonter le totalitarisme pour prouver l’humanité de l’homme : le diptyque n’est-il pas parfait ? » (Joseph Altairac, Actusf.com)

 

Mais de quoi il se mêle, ce Julien Bétan? (par Cédric Ferrand)

Ferrand

Cédric Ferrand a déjà publié par deux fois chez les Moutons électriques. Deux romans destroy qui s’attaquent aux racines de nos genres préférés : Sovok, une uchronie soviétique déglinguée, et Wastburg, de la low low low fantasy chorale. Il nous prépare un nouveau roman, sous l’œil vigilant de notre directeur littéraire, Julien Bétan… 

Et voici ce que l’auteur pense de cette mouche du coche. 

***

Alors, oui, tu es tout fier car tu viens de terminer ton 3e roman. Tu l’as fait lire à tes proches, qui t’ont rassuré : il est de qualité. Mais bon, ce sont des proches, c’est un peu leur boulot que d’être enthousiastes. Tu ne dois pas trop te fier à eux, même si leur soutien constant est indispensable pour ne pas que tu bascules dans la folie du doute permanent. Il n’existe qu’une seule véritable épreuve du feu : tu dois faire lire ce manuscrit à ton éditeur.

Une fois envoyé le courriel fatidique qui contient le document Word où tu as mis tes tripes et tes pensées les plus intimes, tu dois te dépêcher d’attendre. Parce que, c’est assez incroyable, mais tu n’es pas le seul auteur de cette maison d’édition. D’ailleurs, le patron de la boite est lui-même écrivain, donc quand il n’est pas par monts et par vaux pour vendre des livres dans des salons littéraires, il est lui aussi accaparé par ce supplice volontaire de l’écriture. Alors, non, tu n’auras pas une réponse dans l’heure. Inutile donc de surveiller ton adresse courriel toutes les cinq minutes. Vas donc écrire autre chose (au pif, du jeu de rôles, tiens) pour te changer les idées.

Sauf qu’à un moment, la réponse tant attendue finit par arriver. C’est bon, ton roman correspond bien à ce que tu avais pitché il y a quelques mois, l’intrigue tient le choc et tu t’es pas trop mal démerdé avec les dialogues. C’est validé. Youhou ! Joie à tous les étages. On te donne même un mois de parution (mai 2017). Ça se concrétise. L’éditeur crée une page web sur son site pour présenter ton roman. Au début, c’est un peu vide, mais on te demande de rédiger un quatrième de couverture, ça commence à prendre forme. Le vrai point de bascule, c’est quand tu vois la couverture pour la première fois :

Tout ça, c’est super, mais il y a un détail que tu as occulté. À dessein, car tu te doutes bien que ce n’a va pas être agréable : avant de partir à la mise en page, ton manuscrit doit passer entre les mains d’un directeur littéraire. Dans ton cas, c’est le fameux Julien Bétan qui justifie vaguement le titre de ce billet. Comme tu vis littéralement sur un autre continent, tu ne le connais personnellement, le bougre. Normalement, tu devrais l’avoir croisé en salon, au coude à coude avec lui aux dédicaces ou bien à une table ronde sur la résurgence du mythe arthurien dans la SFFF post-clarkienne. Mais pas de bol : tu vis éloigné de ce microcosme, donc vous n’avez jamais eu l’occasion de boire un coup et de dire du mal des autres éditeurs. Alors tu l’ajoutes à ton réseau sur Facebook pour essayer de cerner l’animal. Il y a là matière à un autre billet, mais les amitiés virtuelles, tu sais à quel point c’est paradoxal : tu as accès à des fragments hyper intimes du bonhomme quand il confie un plaisir coupable ou qu’il partage un article engagé, mais il ne dévoile que ce qu’il veut. Tu n’as qu’une image tronquée. Mais les Like réciproques (ou non) forment des lignes de partage de vos goûts. Ah tiens, il a aimé cette série, mais pas telle autre ? Je n’aime pas dire du mal, mais il est quand même bizarre, ce gars…

Et un beau jour (ou peut-être une nuit, il ne faut pas être sectaire) le Bétan t’envoie un fichier Word annoté. Tellement annoté que ton ordinateur à quatre processeurs n’est pas capable de l’ouvrir sans patiner dans la semoule dès que tu bouges la souris. Tu t’en doutais, mais tu viens d’atterrir dans l’un des cercles de l’enfer de Dante. Parce qu’il ne laisse rien passer, le Julien Bétan. La moindre répétition, la plus petite tournure un peu faiblarde, la plus minime erreur syntaxique : blam, bétanisée. Tu parcours le fichier et ses milliers de corrections/commentaires… c’est vertigineux. Tu te noies dans ta médiocrité, qui s’affiche sur l’écran à chaque modification proposée. Ton ego rétrécit à la vitesse d’une pupille plongée dans le noir sur laquelle on braque une lumière de 1000 Watts.

Parce que tu as beau te relire et passer ton texte dans des logiciels de correction automatique avant d’envoyer le manuscrit, tu es le moins bien placé pour remarquer tes fautes. Ton cerveau te joue des tours, glisse sur les erreurs, normalise tes atrocités grammaticales. Et tu n’es pas vraiment un lettré. Tu es encore traumatisé de ta première dictée en classe de 6e, quand tu as débuté ton collège par un 0,5/20 (oui, ta prof de français n’aimait pas mettre 0, elle trouvait que c’était trop négatif pour l’élève, alors elle te gratifiait d’un 0,5 qui préservait totalement ton estime de soi, c’est évident). Oh, tu n’es pas une tanche non plus, tu sais la différence entre « autant pour moi » et « au temps pour moi » et tu ne cèdes pas à la facilité du langage SMS, mais il y a au fond de toi ce gamin à qui on a très vite appris à craindre les règles alambiquées du français. La langue que tu aimes, c’est celle qui est parlée, pas celle du Bescherelle. Alors, forcément, quand tu mets à l’écrit ton récit intérieur… ça coince.

Un directeur littéraire et son éditeur (allégorie)

Surtout que tu te poses une question : ton style n’est-il pas également tributaire de certaines de tes faiblesses stylistiques ? Ta voix, ton ton, ne sont-ils pas intéressants parce qu’ils sont imparfaits ? Or la mission de Julien Bétan, c’est d’uniformiser. Couper tout ce qui dépasse. Te faire rentrer dans le rang. Prenons un exemple concret :

Tu as écrit : « Oxiline ne put s’empêcher de faire semblant d’applaudir pour se féliciter d’avoir fait changer d’avis cette tête de bourrique de Sachem Blight. » Et Julien Bétan s’est permis de comment… Attends. T’as vraiment écrit cette phrase ? Et tu l’as lue, relue et validée combien de fois avant d’envoyer ton texte aux Moutons ? Sérieux, Julien a raison : il y a 8 verbes dans cette phrase. Non, mais 8 verbes… Une phrase bancale qui, en plus n’apporte rien de rien à la scène. T’as de la peau de saucisson devant les yeux ou quoi ?

Bon, du coup, c’est peut-être pas le meilleur exemple. Mais t’imagine pas le stress que c’est. Parce qu’évidemment, ce travail de moine ne pointe que vers tes conneries. Y’a bien un ou deux smileys en annotations quand le directeur littéraire capte un de tes clins d’œil, mais son boulot ce n’est pas de te passer la brosse à reluire, c’est de faire la chasse aux merdouilles. Et oui, t’as l’impression qu’il est payé au nombre de conneries qu’il est capable de relever.

Ce qui me fait penser : savez-vous comment les gens deviennent directeurs littéraires ? C’est via un programme de l’Éducation nationale qui détecte précocement les candidats. Les enseignants les repèrent assez vite : ce sont les gamins qui connaissent une réelle jouissance quand on fait des études de texte. Ils passent des heures à écrire des phrases comme « Dans ce passage, l’auteur a souhaité souligner la tristesse du protagoniste en décrivant des éléments du décor sous un angle dépréciatif afin de renforcer le sentiment d’abandon qui fait écho au décès de sa propre mère. » On donne alors un choix à ces gosses : soit ils deviennent grammar nazi sur internet, soit ils deviennent directeurs littéraires. Et Pujadas n’en parle jamais au 20h, c’est l’omerta, j’te dis.

Sérieusement, c’est un travail de titan que celui de Julien. Et je vois dans le fichier que certaines de ses corrections, elles ont été faites à 3h du matin. Je ne me souviens pas la dernière fois que j’ai été debout à 3h du matin. Je devais être à la fac en train de manigancer pour m’asseoir sur le trône d’Ambre ou les genoux d’une fille (spoiler alert : je n’ai réussi ni l’un ni l’autre). Ce gars bosse à point d’heure et doit se coltiner mes fautes d’orthographe. Je ne sais pas combien il est payé, mais ce n’est pas assez.

Reste que, malgré tout, il y a des trucs qui passent moins bien que d’autres. Quand je dis qu’un bateau mouille au milieu du fleuve et que Bétan me dit « Nope. Mouiller, ça veut dire que l’embarcation est ancrée. Là, tu décris un bateau qui flotte librement, tu ne peux pas dire ça », je m’incline de bonne grâce. Mais par moment, j’ai des circonstances très atténuantes : ça fait 11 ans que je réside au Québec. Et je suis une éponge linguistique. Ce qui me plait, encore une fois, c’est la langue parlée. Tu m’étonnes que j’absorbe tout. Pire que ça : je suis secrétaire (adjoint administratif) dans une école bilingue. Je suis constamment en train de jongler entre les deux langues. Résultat des courses : je te colle des anglicismes de partout. Et j’ai beau me forcer très très fort à m’en faire péter les veines du front, je ne les remarque plus. Je ne parle pas des fois où je dois canceller un meeting, mais des moments où j’utilise des structures anglaises. Et vas-y que je te calque mot pour mot une expression. C’est impossible pour moi de faire abstraction de ces emprunts linguistiques, je ne suis plus capable de faire la part des choses entre l’anglais et le français.
Je le vis bien, hein, ce n’est pas considéré une maladie dans ce coin de continent, mais aux yeux d’un éditeur français, vous imaginez bien à quel point ce créole québécois sonne faux. Pourtant, ces québécismes sont une part importante de qui je suis aujourd’hui linguistiquement. Je fais partie de cette vaste majorité de gens propres sur eux et qui font pipi sous la douche par souci écologique mais qui utilisent le mot « incitatif » comme un nom commun (on dit « Cette réduction de taxes est un bon incitatif pour les ménages ». Et on n’a même pas honte). Et je sens bien que ça heurte la sensibilité de mon Julien. Parce que lui, ce n’est pas dans sa pratique quotidienne que d’utiliser ce mot autrement que comme un adjectif. Et je ne peux pas décemment me battre contre ça. 99% de mes lecteurs sont des français de France. Ça ne ferait pas de sens pour eux (oui, c’est ça un québécisme). Pourtant ces idiotismes (je sais que le mot dérive d’idiome, mais j’ai toujours l’impression qu’on traite les locuteurs d’idiots) ont modifié ma façon de penser. Je sais pas si vous avez vu Arrival de Denis Villeneuve, mais je pense sincèrement qu’au contact des anglophones et des québécois, la plasticité de mon cerveau m’a permis de m’adapter à cet environnement en modifiant ma petite mécanique intérieure et ma perception du monde. Et fatalement, ça a une incidence sur mon écriture. Mais ça, les éditeurs jacobins de la place de Paris s’en moquent éperdument. Ils veulent un texte bien propret, qui n’effraye pas le bourgeois. 

L’auteur, cet être incompris

Si je les prends un par un, chacun de ces mots presque fautifs sont corrigibles sans que je m’insurge. Mais si je prends un peu de recul, le texte final ne correspond pas à ce que j’ai porté en moi pendant des mois. À l’occasion, j’insiste pour garder une faute. Parce que c’est une formule que j’utilise tous les jours. Parce que c’est comme ça qu’on dit par chez nous. La littérature est évidemment une chose éminemment personnelle. On ne peut pas me demander de travestir mon langage, il faut que je me respecte. Et pourtant, je dois penser au lecteur : il s’en fout un peu, de mes montréalismes. Sauf que, si on y pense bien : ce sont aussi les tics de langage qui structurent un style. Ce qui fait qu’on apprécie un auteur, c’est un ensemble d’éléments qui incluent aussi des impuretés. Comme une mauvaise manie qui finit par devenir charmante.

Même sans me réfugier derrière les québécismes : si ma grand-mère fait la même faute de français depuis mon enfance, je vais avoir de la tendresse pour cette manière tordue de dire les choses. Elle va sans doute m’imprégner (la faute, pas ma grand-mère. Oh ça y est, j’ai des images…) et finir par ressortir quand je vais écrire une scène qui me fera penser (même indirectement) à la mère-grand en question. Corriger cette erreur presque volontaire, c’est un peu comme retoucher un cliché sous Photoshop : on peut le faire, mais c’est tricher avec le réel. C’est éliminer un souvenir tendre que j’ai de la mère de ma mère. Est-ce à dire que Julien Bétan n’a aucun respect pour cette grand-mère qui m’a élevé ? Se poser la question, c’est y répondre.

Auteur/autrice, mes presque semblables, je vous souhaite tous que votre texte pas forcément mal branlé passe entre les doigts de cet homme. Non seulement il a un œil de lynx, mais il travaille dans le sens du grain. Quand il en a eu marre de faire des propositions et qu’il a modifié mon texte d’autorité, c’était systématiquement en respectant ma tonalité. Il avait compris où je voulais en venir, il s’est juste permis de couper dans le gras (car comme je suis un autodidacte, j’ai tendance à trop en faire, sans doute par insécurité) ou de désincarcérer une phrase encastrée dans un merdier syntaxique dont j’ai le secret. Il a extrait mon roman de sa gangue. Ça s’est fait au prix de mon ego, mais c’est secondaire. Viendra un moment où j’oublierai l’aide de Julien et où je garderai le souvenir d’avoir enfanté tout seul, comme un grand (vous voyez, lui m’aurait dit « Gnagnagna, pourquoi tu précises comme un grand, tu alourdis pour rien »).

Et quelque part, le fait que nous ne soyons pas camarades de salon littéraire a du bon. Julien est pour moi un être désincarné et donc il n’y a pas d’affect pour venir brouiller ce travail en duo. Il ne me doit rien, je ne lui reproche pas son rôle ingrat, tout va bien. Il n’est finalement à mes yeux qu’un correcteur orthographique pas automatique qui poste des photos de Zardoz ou partage un message initialement publié par Justine Niogret.

Bref, merci Julien Bétan. Je ne mentirai pas en disant que ça a été une étape plaisante, mais c’était plus que nécessaire. J’espère que je ne vendrais jamais assez d’exemplaires pour qu’on se passe de ce processus afin de ne pas froisser mon amour-propre de gros vendeur qui sait mieux que tout le monde ce qu’il faut imprimer. Ceci étant, je me demande ce qui va se passer quand je vais écrire la suite des aventures de Sachem et Oxiline. Parce que là, je blogue, je suis relâché du texte, mais j’ai un peu peur qu’à l’avenir, Julien n’agisse comme un surmoi, surplombant mon processus d’écriture de sa figure tutélaire. Vais-je rester paralysé, de peur de mal écrire ? Comment faire pour que toutes ces corrections ne soient pas un coup d’épée dans l’eau ? « Comment Julien aurait articulé cette phrase ? » On traversera ce pont quand on arrivera à la rivière, comme on dit ici.

PS : ce texte a été volontairement écrit sans point-virgule. Ça devrait le rendre diiingue.

 

Entretien avec Christine Luce (« Les Papillons géomètres »)

Papillons

Cette semaine, nous vous proposons un entretien passionnant avec Christine Luce, dont le livre Les Papillons Géomètres vient tout juste d’envahir toutes les (bonnes) librairies. Les Papillons géomètres est un véritable coup de cœur éditorial pour les Moutons électriques, avec déjà trois couvertures et trois formats différents (dont deux tirages de luxe !).

Parle-nous un peu de ce livre, son histoire, ses fantômes ?

Papillon géomètre est le nom que l’on donne au papillon de nuit dont le parcours dans la nuit paraît toujours erratique quand une lampe est allumée dans le jardin. Il croise et entrecroise les autres papillons au hasard, mais il se rapproche de la lumière et cherche le moyen de se poser au plus près de l’ampoule, et il s’y brûle. Pourtant, s’il ne meurt pas carbonisé, le même qui aura poudré l’endroit de son atterrissage recommencera, encore et encore. Mes fantômes, ceux du roman et les miens, partagent cette obstination d’atteindre la lumière et ce qu’elle est censée leur apprendre, avec en prime leur esprit nourri de sciences et d’émotions humaines, qu’ils aient de la chair ou non autour de cet esprit.

Je ne sais pas comment parler de mon roman, l’appréciation des lecteurs qui auront bien voulu l’ouvrir et le lire sera meilleure que la mienne. C’est une histoire, une aventure, et dans le fond, elle raconte ce qui nous préoccupe en général, la vie, la mort, l’amour. À ma grande joie, toute l’équipe des Moutons électriques l’a aimée et l’a magnifiquement mise en pages, sous des couvertures somptueuses, avant de lui réserver un lancement inimaginable, même dans mes rêves les plus fous.

Il ne s’agit pas de ton premier roman et certainement pas de ton premier écrit, peux-tu nous retracer ton passé ?

Disons que mon passé existe en même temps que moi et s’éteindra avec moi. En somme, il est bien vivant aujourd’hui… je vois bien que ma réponse commence de travers, une de mes spécialités. Passons sur mon passé, et résumons le principal : j’ai toujours lu, ou plutôt, je ne me rappelle pas l’apprentissage de la lecture, pas plus que d’avoir étudié la marche ou la parole. J’écris depuis presque aussi longtemps, avant d’entrer à l’école, laquelle ne m’a pas enchantée bien qu’elle m’ait appris à compter. Le hasard de cette précocité explique probablement pourquoi lire et écrire est indissociable de mon quotidien, au même titre que parler ou marcher. Et ces deux compétences demeurent indispensables à mon bien-être parce qu’au-delà de la maîtrise du savoir, j’ai toujours aimé les mots et les inventions qu’ils permettent.

Et tu as commencé par écrire un nombre considérable d’essais et d’articles ?

Alors, oui, j’ai rédigé beaucoup trop de textes pour en tenir le compte exact (malgré ma formation scolaire au calcul). Ils ont parfois été publiés dans des revues marginales, comme mes chroniques de jeux vidéo au temps épique de Dungeon Master ou quelques critiques de romans que je recevais en SP (service de presse) par je ne sais quelle acrobatie éditoriale. S’ils ne dorment pas dans mes cahiers et fichiers, la plupart sont disséminés à l’intérieur d’obscurs opuscules en papier, ou enterrés dans les entrailles du Minitel et, plus récemment, numérisés un peu partout sur le réseau Internet. Ils touchent aux domaines culturels apparus en France au cours des années 1980-1990, jeux de rôle, animés japonais, séries télévisées, je crois même qu’un scénario de « murder party » est hébergé quelque part !

À vrai dire, chaque intérêt passionné me conduit à en parler, par écrit. Quoi de plus naturel que l’essentiel de ma production ait été consacré aux livres, mes compagnons depuis l’enfance, à ceux qui les écrivaient, mais aussi à ceux qui entouraient de leurs soins les publications, éditeurs, illustrateurs, imprimeurs, etc. Je ne possède cependant pas tout à fait l’esprit encyclopédique qui étudie, avec l’œil analytique, les propriétés du texte sous la loupe. Celles-ci me sont connues et me servent de support pour élaborer mes articles avec le sérieux requis par la réalité, mais à l’éclairage de ma relation de lectrice pourvue d’émotions toutes personnelles, avec une subjectivité honnête et déclarée. Mon approche plaisait aux éditions des Moutons électriques qui ont accueilli mes premières publications professionnelles.

Puis tu as écrit « Charlotte Caillou », chez le Carnoplaste, et tu as également dirigé une fabuleuse anthologie « Bestiaire humain ». Comment as-tu changé de cap pour écrire de la fiction après l’avoir étudiée ?

Je suppose que cette manière subjective d’écrire a préparé le terrain que j’explore seulement depuis quatre ans. J’y avais renoncé pour cause de surpopulation depuis des siècles : soyez bibliographe et vous découvrirez combien d’auteurs ont été oubliés, qui avaient pourtant écrit avec sincérité, talent et acharnement. Aucune prétention intime ne réussissait à me faire croire que je pouvais faire aussi bien qu’eux. Pour quelle raison ajouter les miennes à ces milliards de pages imprimées ?

Mais dans mon plan de vie, j’avais omis quelques détails : j’aime jouer avec les mots, je dois créer pour satisfaire mes élans. C’est un ami qui m’a remise dans le chemin de traviole que j’ai failli manquer : Les papillons géomètres est bien mon premier roman. Mon ami André-François Ruaud — car c’est lui qui est à l’origine du nouveau sentier —, par hasard encore quand je lui ai mis sous le nez un commencement d’histoire que je bricolais dans mon coin, a bouleversé mon paysage. Je ne sais plus pourquoi je le lui ai montré, une aberration de ma part, et une chance. Son nez, qu’il a particulièrement sensitif quand il est question d’édition, lui a soufflé de me pousser à écrire un roman. Je suis passée à l’acte, et comme je suis compliquée, j’ai voulu parcourir une véritable carrière « d’écrivante ».

Voilà pourquoi j’ai appris, au cours de ces quatre dernières années, avec autant d’ardeur que j’avais de retard, à écrire de la fiction. Et puisque les nouvelles sont à mes yeux le plus bel exercice de l’écrivain, j’ai commencé par elles avec Bestiaire humain, qui a remporté un joli succès d’estime. Ce merveilleux cadeau m’a été offert par Fabrice Mundzik, une utopie littéraire qui a réuni, à la plume ou au crayon, vingt personnes que j’aime pour leur esprit frondeur et l’attention qu’elles accordent au pouvoir des mots. Chacune d’elles occupe une place inexpugnable dans mon cœur pour l’avoir emballé au galop. À la même époque, Patrice Lajoye a voulu ma toute première nouvelle pour son anthologie, Avenirs radieux, et m’a tellement encouragée après la lecture de ce seul récit que je suis toujours émue de sa confiance. Puis il y a eu Robert Darvel et sa proposition insensée, la commande d’un court roman pour la nouvelle collection jeunesse qu’il voulait lancer chez lui, au Carnoplaste ; Charlotte Caillou a vu le jour.

Maintenant que « Les Papillons géomètres » s’est envolé vers les librairies et son public, quelles aventures littéraires comptes-tu mener ?

Aventure est le mot idéal pour mes histoires d’histoires ! Je continue mes voyages avec l’équipage de ces quatre années et embarque dans un autre long cours, Redux, un portail que j’ai créé avec deux amis, Leo Dhayer et Frédéric Serva. Il héberge les blogs d’une communauté d’auteurs, poètes, traducteurs, éditeurs, bibliographes, tous animés par la même passion pour les livres et les littérateurs oubliés. Le territoire est ouvert à de nombreuses explorations, car « Tout reste à dire » pour citer un de mes auteurs favoris, Marcel Mariën.

 

Entretien avec André-François Ruaud, directeur des Moutons électriques

Entretien avec André-François Ruaud

par Vivian Amalric

Dans la formation de votre goût, les littératures de genre ont toujours été importantes ? Laquelle vous a tout d’abord séduit ?

On peut le dire ainsi, c’est vrai : pour moi la notion de « littératures de genre » a finalement toujours été centrale, il me semble que j’ai toujours plus ou moins réfléchi en termes de « niche », de « genre », ça a commencé par la « Bibliothèque rose » — le Club des 5, par exemple, et l’insurpassable Fantômette. De nos jours on dirait que c’est du polar. Idem ensuite avec la « Bibliothèque verte », bien entendu, puis les Sherlock Holmes, les Arsène Lupin, les Fantômas, tout Agatha Christie lu d’une traite lors d’une crise de foie chez mon grand-père maternel… Donc, le roman policier, au départ. J’étais môme dans les années 60-70 et forcément, à cette époque la littérature de genre c’était essentiellement le roman à énigme, la science-fiction n’était encore guère visible (je l’ai découverte lors de séquences télé présentées par Jacques Sadoul, « Gens de la Terre, bonjour ! » disait-il d’une voix nasillarde), la fantasy tout simplement inconnue… Ces genres existaient, mais ils n’étaient pas très identifiés, pas bien désignés. Mon étape suivante fut donc la science-fiction, avec les découvertes successives de certains « Signe de Piste » d’anticipation, puis Grenier, Pelot, Léourier, William Camus… En même temps que Bob Morane et Doc Savage, les premiers J’ai Lu de science-fiction et le Fleuve Noir « Anticipation » (j’ai conservé mon premier : Les Zwüls de Réhan par Gabriel Jan, ah ah ce titre ! Ça date de 1975)… Une fois plongé dans la SF, je n’en suis plus jamais réellement ressorti. C’est devenu une passion — pas la seule, la littérature en général me fascine, me passionne, mais au sein de tous ces livres la science-fiction domina longtemps mon paysage mental.

Alors, comment est né votre goût pour la fantasy ?

Plus tardivement, c’est forcé, puisque le genre n’a émergé qu’au début des années 1980. Adolescent j’avais lu et relu et relu, sept fois, le Seigneur des Anneaux, et j’avais soif de lire d’autres œuvres un peu du même acabit… mais où en trouver ? Je trouvais vraiment étonnant qu’il n’y ait rien qui sorte en France, presque pas de nouvelles de fantasy dans les pages du mensuel Fiction, alors que celui-ci était censé être l’édition française d’une revue américaine intitulée Fantasy & Science Fiction… En fait, il y avait une censure de la part des directeurs de collection de l’époque, tous fans purs et durs de science-fiction et adversaires de la fantasy, il y avait une étrange idéologie anti-fantasy dans le milieu SF français. Alors du coup, je me suis mis à lire en anglais : pas le choix ! Des amis m’avaient déjà persuadé qu’il fallait que je me mette à l’anglais, eux se dirigeaient plutôt vers la littérature d’horreur, pour ma part c’est dans la fantasy que j’ai foncé de manière assez avide, j’avais dévoré toute la science-fiction et soudain un nouveau champ s’ouvrait à ma curiosité.

Quel âge ont maintenant les Moutons électriques ?

Douze ans.

Et quelle fut l’impulsion de départ, pour la création d’une telle maison d’édition ?

Question complexe, mais pour faire simple, disons : la science-fiction ou, comme on aime à les qualifier maintenant, les « littératures de l’imaginaire ». Je suis depuis toujours un grand amateur de SF et de fantasy, le co-fondateur principal, le directeur littéraire Patrice Duvic, était un pilier de cette culture-là en France, et la plupart des associés qui nous rejoignirent pour constituer le capital de la maison l’étaient également. Il n’y avait donc pas d’ambiguïté : notre credo, notre créneau, ce serait principalement les littératures de l’imaginaire.

Ah, mais pourtant dès le départ vous avez lancé une collection policière, pourtant ?

J’ai bien dit que la question était complexe : oui, bien sûr, le polar était une autre littérature qui nous attirait, et avec Xavier Mauméjean nous avions un projet de collection originale, la « Bibliothèque rouge ». Bien nous a pris de la lancer : c’est elle qui fit vivre les Moutons durant les premières années, c’est très paradoxal mais c’est ainsi, les Moutons électriques construisirent tout d’abord leur (petite) renommée sur la base d’une collection qui était surtout présente dans les rayons polar.

Mais pourquoi avoir créé une maison d’édition, n’y en avait-il pas déjà assez comme ça ? Pourquoi n’avoir pas été travailler dans une grosse maison parisienne, par exemple ?

Deux raisons très simples à cela : primo, j’avais grandement envie de devenir mon propre patron, j’en avais plus qu’assez des médiocres que j’avais eus sur le dos durant trop d’années en tant que libraire de BD, tous ces illettrés qui vendaient de la BD comme ils auraient vendu des chaussettes, je n’en pouvais plus de tant d’arrogante bêtise. Secundo, il fut question que je « monte » à Paris, oui ; en fait on m’avait proposé la direction du Fleuve Noir… juste avant que cette maison ne soit démantelée ! Je l’ai échappé belle. Puis j’avais essayé de fonder deux collections dans un petit groupe, l’une de polar, l’autre de fantasy, les travaux ont été assez loin… et jamais rien ne s’est fait, la patronne du groupe ne prenait jamais de décisions, ses deux directeurs ont démissionné, tout s’est arrêté. J’en ai eu assez de tous ces rendez-vous sans issue, il me fallait avancer et prendre mon indépendance.

Alors, douze ans plus tard, quelle impulsion maintenant ?

Je dirai : plus que jamais les littératures de l’imaginaire. Beaucoup de choses ont changé dans le paysage éditorial, beaucoup de choses ont évolué aussi dans la manière dont je considère mon travail. Par exemple, j’aime affirmer que je suis un « éditeur », par opposition à pas mal d’autres qui ne sont que des « publieurs ». Je ne suis pas le seul ni le premier à faire ce distinguo, dois-je préciser : un soir que je discutais avec lui, le boss des éditions Cornélius, Jean-Louis Gauthey, s’étonna de m’entendre en faire usage, car lui-même avait consacré un article d’une de ses revues à cette différence cruciale entre « éditeur » et « publieur ». Pour revenir à l’impulsion, je n’ai bien entendu rien perdu de mon goût pour le roman policier, mais le marché français n’en veut plus, hélas — je parle bien du roman policier, hein ? Pas du roman noir, qui justement constitue l’exclusive idéologie acceptée dans les librairies français. Moi ce que je préfère, c’est pourtant le bon vieux roman à énigme, les enquêtes, et bien qu’il existe un véritable revival dans les pays anglo-saxons pour le polar « Golden Age », ici c’est une branche tristement boudée de la littérature policière. Alors tant pis, après pas mal d’essais en la matière je laisse tomber ; même notre « Bibliothèque rouge » ne marchait plus suffisamment. Et comme dans le même temps, le marché des essais s’étrécissait comme peau de chagrin, les circonstances nous ont conduits à repenser notre approche, à nous concentrer essentiellement sur le roman d’imaginaire. Je dis « nous » car je ne suis plus seul : mon co-directeur littéraire, Julien Bétan, et mon assistant éditorial, Mérédith Debaque, participent pleinement à la définition du boulot des Moutons électriques, et d’autres encore me conseillent, dirigent ponctuellement des ouvrages, c’est important ; j’appelle ces conseillers mes « éminences grises ».

Vous publiez des romans depuis le début, pourtant ?

Oui, mais au début, ça ne marchait pas trop, chez nous : il a fallu la sortie consécutive du Tancrède de Bellagamba, du Faiseur d’histoire de Fry et, surtout, des premiers Jean-Philippe Jaworski, Janua Vera et Gagner la guerre, pour que les Moutons électriques « percent » sur le marché du roman. La route fut assez longue, en fait. Nous avons bâti lentement, patiemment, une collection : la « Bibliothèque voltaïque ». Et aujourd’hui, je crois que nous arrivons enfin à un beau résultat ; à quelque chose qui semble de mieux en mieux reconnu, en tout cas.

Le résultat d’un long travail, donc ?

Absolument. Mais… pas seulement, à mon avis : c’est (aussi) ça qui est assez formidable. D’un côté, il y a eu de notre part une véritable recherche de ce que nous voulions, un apprentissage du niveau correct des manuscrits que nous devions accepter, de la manière dont les retravailler avec les auteurs, un affinage de notre exigence, une découverte progressive de ce qui finalement devait faire notre identité littéraire… Et c’est passé, bien sûr, par une concentration sur la création francophone. Des plumes comme Jean-Philippe Jaworski, Cédric Ferrand, Estelle Faye, Stefan Platteau… ont commencé à vraiment se dégager, à se faire remarquer… Et puis maintenant, j’ai l’impression que nous parvenons réellement à nos fins, à la construction d’un très beau mouvement de littérature de l’imaginaire francophone, avec des auteurs qui n’ont rien à envier aux Anglo-saxons. Au contraire, je pense que désormais on peut comparer favorablement la mouvance francophone et la mouvance anglo-saxonne. Il y a encore quelques années, il aurait été outrecuidant de prétendre ça. Mais, et c’est pourquoi je tenais à dire « pas seulement », tout notre travail s’inscrit dans un contexte plus large : celui de l’émergence d’une génération d’auteurs décomplexés d’écrire de l’imaginaire. Enfin, le terme de « génération » n’est sans doute pas le bon, car les auteurs qui débutent en ce moment ont des âges très variés. Mais il est impossible d’utiliser le terme « école », ce serait nier l’individualité, les parcours très distincts de tous ces auteurs. Alors que c’est justement ça, qui est très fort : de nos jours on accède vraiment à une littérature de l’imaginaire très mature, très aboutie, avec des voix originales. Nos amis de chez Mnémos mènent depuis toujours ce « combat » littéraire, c’est à eux que l’on doit historiquement toute l’émergence d’une fantasy française : les Gaborit, Calvo, Colin, Kloetzer, Heliot, Mauméjean, Niogret… Et ils continuent de nos jours, avec des écrivains comme Cerutti, Tomas, Ouali, Arthur, Chavassieux et tant d’autres… Idem chez ActuSF, je crois que l’on peut réellement dire que les trois éditeurs du collectif « Indés de l’imaginaire » sont à la pointe de la création francophone, c’est notre passion commune, notre moteur principal. Avec d’autres auteurs un peu partout, plus sporadiquement.

Vous avez l’air enthousiaste ?

Eh bien oui, en ce moment je le suis. Lors du dernier salon de Sèvres, notre graphiste, Melchior Ascaride, m’exprima à quel point il se sentait épaté par la qualité de tous les romans qu’on lui faisait lire pour ses prochaines couvertures. Et ce simple recul, d’un coup, m’a fait réaliser que bon sang oui, c’était incroyable, tous ces textes formidablement bons qui allaient débouler dans notre catalogue en 2017 et même déjà pour 2018, tout ce travail énorme qui soudain prend corps, semble porter ses fruits. Alors enthousiaste est le mot : c’est fou en fait, j’ai l’impression que l’on est en train de vivre une sorte d’âge d’or de la SF-fantasy d’expression française, qui se déroule là, sous nos yeux.

Tout va bien, alors ?

Ah ah, si seulement ! Hélas, la situation ne cesse de se dégrader économiquement, en librairie. C’est paradoxal, assurément : on se bat sans cesse pour nos niveaux de vente, seule une minorité de librairies défendent nos genres, et dans un environnement aussi difficile, aussi fragile, sous pression financière constante, on assiste pourtant à une belle éclosion, à une renaissance littéraire. Tout l’enjeu des mois et années à venir, ça va être de le montrer, de légitimer ce mouvement aux yeux des relais commerciaux, de soulever un peu le plafond de verre de la culture dominante…