L’imaginaire…

L’imaginaire nous offre l’alternative dans un monde que l’on dépouille de l’émerveillement, un monde parfois sans espoir, une porte vers un ailleurs meilleur, une utopie.

La guerre n’est pas la paix et ne permet pas un futur plus radieux. Les armes ne seront jamais les outils de la construction, jamais une force de création ni un symbole d’union et de solidarité. Si nos littératures évoquent des conflits, elles cherchent à les dénoncer, et non à les justifier. Voire à penser comment les éviter. Les littératures que nous défendons désirent rassembler au lieu de diviser. Nous refusons d’inspirer les fabricants de morts.

Il nous paraît révoltant de promouvoir un futur militaire, à une époque où les fascismes ouvrent leur gueule pour dévorer notre monde, où les forces armées répriment les soulèvements populaires avec des armes de guerre, où des peuples entiers fuient les conséquences des ravages guerriers.

Il nous paraît également important de déclarer nos indignations haut et fort. Le deuil n’est pas la couleur de l’espoir, il n’est pas une valeur de citoyen mais sa fin. Nous rêvons de paix et de vie, car aujourd’hui, le cauchemar des dystopies encourage la résignation et nous pensons que l’on peut se battre avec nos rêves. Les Moutons électriques continueront de défendre une utopie, celle d’une littérature qui prône la paix.

L’équipe des Moutons électriques
(André, Bénédicte, Christine, Melchior, Mérédith & Vivian)

Les éditions La Volte ont également eu leur mot à dire : https://lavolte.net/militarisation-utopiales-2/

Un mot de l’éditeur

Sur la page d’accueil de notre campagne Ulule actuelle, nous évoquons un tournant crucial et des difficultés de diffusion… Si nous en disions plus ?

Mais tout d’abord, admettons qu’il n’est guère « politiquement correct » qu’un éditeur expose au public ses difficultés : sans doute existe-t-il une forme de fierté de l’éditeur, et bien entendu la crainte d’une « com négative », qui retient d’habitude les maisons de s’exprimer. Aux Moutons électriques, nous avons décidé pourtant qu’il fallait un peu parler, simplement parce que nous vous le devons, lecteurs. Nous ne cachons rien à nos auteurs, alors, pourquoi ne pas parler également à nos lecteurs ?

Récemment, dans une interview, j’avais cité un confrère de « littérature blanche », Le Temps qu’il fait, qui déclare sur son site web : « Assumant pleinement leur statut de petit éditeur, elles poursuivent […], non sans faire, avec plusieurs autres, ce constat quelque peu désabusé : le rétrécissement de leur rôle (poisson-pilote ou voiture-balai), la raréfaction des grands lecteurs, l’accroissement des coûts réels de diffusion, la diminution de la reconnaissance médiatique ne sont que les symptômes apparents d’un profond bouleversement de la vie du livre — dont il incombe à chaque acteur, de l’auteur au lecteur en passant par tous les médiateurs possibles, de retarder la déconfiture, avec acharnement ». Et il est clair que je partage totalement cette analyse : il faut arrêter de prétendre que tout va comme avant et que vendre des livres est autre chose qu’un combat de tous les instants.

Un éditeur est notamment tributaire de son diffuseur-distributeur. Il est hélas classique qu’un éditeur soit mis en difficulté par son diffuseur : la « force de vente », c’est un peu notre talon d’Achille. Ainsi, tout au début des Moutons, la faillite de notre premier diffuseur, L’Oxymore, nous avait occasionné des difficultés. Plus tard, nous avions décidé de quitter le CED-Belles Lettres parce qu’il nous semblait qu’ils nous limitaient excessivement. Nous avions alors signé avec Harmonia Mundi Livre, et les premières années furent plus ou moins conformes à ce que nous espérions — sauf que nos collections principales, la « Bibliothèque rouge » puis la « Bibliothèque des Miroirs », s’arrêtèrent, leurs placements devenant insuffisants. Le phénomène nous inquiéta, car nous étions restreints au seul rayon de l’imaginaire, ce qui n’était pas le cas auparavant : plus d’escapades en rayons policier ou en littérature étrangère, ou encore du côté de la BD, par exemple. Puis il y a trois ans, un fléchissement de nos chiffres s’amorça, au point qu’alarmés nous avions prévenu plusieurs fois le diffuseur qu’à ce rythme-là, ses services perdraient leur rentabilité.

Ce furent alors deux années à lever des fonds, trouver des subventions, réaliser des « crowdfundings », serrer les salaires… Mais ça ne pouvait pas durer ainsi, nous végétions, toujours tendus, toujours inquiets, et ne parvenions plus à envisager vraiment l’avenir, au point de bloquer certains projets et ouvrages que nous pressentions bien impossibles à « porter » correctement par Harmonia. Horizon bouché, quoi. Nous aurions pu continuer ainsi, mais que douloureuse était cette marche à pas lent et retenu. Et puis, le miracle : voici que Media Diffusion / MDS vint nous voir, nous proposait de les rejoindre. Pour demeurer simple, disons qu’il s’agit du groupe Dargaud, c’est-à-dire le sixième diffuseur francophone à l’époque où ils nous ont contactés : le plus petit des très gros ; depuis, ils ont encore grandi. Changement d’échelle considérable, et soudain l’horizon se dégage : sans rêver à une révolution, le marché du livre étant ce qu’il est, nous pouvions de nouveau réfléchir à notre avenir. Pour établir une comparaison, durant deux longues années nous étions recroquevillés, serrés, et enfin nous pouvions nous redresser, nous étirer : quel soulagement ! Avec simplement la perspective de revenir à des niveaux « normaux », rien de plus, rien de moins, juste envisager de travailler plus sereinement (et en numérique nous avons rejoint eDantès, il est important de le dire aussi).

Seulement, changer de diffuseurs ne se réalise pas aisément : cela signifie plusieurs mois sans le moindre chiffre d’affaires, des frais de transfert énormes, de mauvaises surprises niveau stocks, des ventes perdues… alors comment faire ? Eh bien, comme je l’avais expliqué lors de la précédente campagne de souscription, il s’agissait de monter une fusée à plusieurs étages… Trouver encore quelques subventions, une aide économique de la Région, prêter des sous à la société, et maintenant le dernier étage : ce financement participatif. Tout ceci afin d’arriver chez MDS frais et dispo, ne plus se tordre l’estomac à force d’incertitudes, avoir les moyens d’investir pour redémarrer au mieux (financer par exemple pas mal de réimpressions, acheter des droits pour de futures parutions, prévoir d’embaucher une troisième personne dans un an) et bâtir un futur solide, raisonnable, durable. C’est pour tous ces motifs que nous avons besoin de vous — et pour plus encore : savez-vous par exemple que les auteurs sont de moins en moins payés, du fait d’une réforme totalement injuste des retraites ? Alors qu’il y a deux ans, pour un à-valoir de 1000 € brut nous versions à nos auteurs 966 € net, aujourd’hui ils ne touchent plus que 805 € net ! C’est insupportable et nous devons donc augmenter nos à-valoirs. Ah pardon, ça aussi c’est une de ces choses qu’il n’est pas « politiquement correct » d’évoquer lorsque l’on est éditeur ?

Alors oui, nous avons besoin de vous : auteur, éditeur, libraire, lecteur, bibliothécaire, ce n’est pas chacun dans son coin, nous formons une chaîne de solidarité, de curiosité et de culture, qu’il faut entretenir.

Serons-nous moqués pour avoir dit la vérité ? Ces mots, je les écris avec le complet aval de l’équipe ovine : Mérédith, Christine, Melchior, Bénédicte, Vivian. Et en sachant que les Moutons électriques ayant survécu à ce passage difficile, nous ne lâchons rien et sommes confiants en la suite.

Oh allez, que puis-je vous dire encore ? Je disais plus haut que nous avions bloqué des projets : l’intégrale du Dico féerique (paru en septembre). Le petit guide London Noir (paru en octobre). Mais aussi, le lancement officiel de la « Bibliothèque dessinée ». En janvier prochain, notre collection de « romans graphiques » (souvenez-vous de Tout au milieu du monde et Ce qui vient la nuit) éclatera donc au grand jour, avec deux nouveaux titres, des signatures en librairie (notez déjà la date du 18 janvier à Bordeaux, chez Krazy Kat), et en mai encore des nouveautés… et pas mal d’autres en travail actuellement, puisque nous pouvons enfin construire véritablement cette collection. Un autre projet ? Hum, je ne vous en donnerai que le nom de code : « Courant alternatif ». Ce sera pour 2021, année dont le programme se construit déjà à toute vitesse : un événement autour d’Élisabeth Vonarburg, un autre comprenant Pierre Pelot et Michel Jeury, un certain Serge Lehman, Stefan Platteau, Olaf Stapledon… mais j’en dis déjà trop… C’est toute la folie, la difficulté et la beauté du métier d’éditeur : comme l’écrivait Robert Laffont dans ses mémoires, « chaque décision de l’éditeur mène à un acte nouveau. On ne cesse de fabriquer des produits uniques, même s’il s’agit du énième ouvrage d’un auteur de la maison, car ce titre nous entraîne dans des situations où l’on est obligé d’inventer encore et toujours. »

Accompagnez-nous dans cette aventure.

Car les temps changent

Jusqu’au 31 de ce mois de juillet, nous proposons aux lecteurs de nous soutenir grâce à une souscription pour nos beaux-livres de fin d’année, avec l’avantage d’un prix préférentiel. Mais pour quelle raison, vous demanderez-vous ? Eh bien, la souscription est une pratique fort ancienne en édition, laquelle consiste à anticiper la vente de tel ou tel ouvrage un peu coûteux à fabriquer, afin d’obtenir une avance de trésorerie pour aider à le réaliser. Mais pourquoi encore, nous direz-vous ? Eh bien, comme nous l’avons déjà expliqué, mais il est bon d’en parler de nouveau et de le faire largement savoir, nous allons quitter le diffuseur-distributeur Harmonia Mundi Livre et rejoindre au 1er octobre le diffuseur-distributeur Media Diffusion / MDS.

Un tel changement est extrêmement important, essentiel pour redévelopper notre activité et accroître notre visibilité. Entrer chez MDS constitue un palier notable, qui nous permet de lancer de nouveaux projets et d’autres que nous tenions sous le boisseau faute d’ampleur de diffusion. Cette transition et une telle promesse de vitalité créative sont très coûteuses, certes, mais nous avons toutes les raisons de nous engager avec confiance, et vos soutiens nécessaires consolideront nos nouvelles bases.

Vous observerez ce redémarrage dès cette fin d’année, dans les beaux livres de notre souscription : les nouveaux « Miroirs » couleur sur Conan, le Paranormal, le Dico féerique intégrale, plus le Miyazaki et le Japon réédités, le petit London Noir et un nouveau roman de Brice Tarvel, mais aussi de nouveaux « Hélios Essentiels » (par Ayerdhal et Jaworski). Encore au-delà, tout un programme charnu s’annonce pour l’année prochaine : outre l’événement du dernier tome de la saga « Rois du monde  » de Jaworski, qui se profile pour janvier, il y aura également le lancement officiel de notre collection de romans graphiques, la « Bibliothèque dessinée  » (avec des nouveautés par Douay & Hayez et par Jaworski & Ascaride, en attendant le nouveau Bétan, ou une réinvention du Sunk de Calvo, Colin & Cremet)  ; une «  pépite  » de février par une nouvelle jeune autrice qui nous enthousiasme énormément  ; une surprise de la Saint-Valentin ; des tas d’Hélios, par Luce, Pagel, Dau, Goldstein, Geha, Darvel, Panshin, Wagner, Ferrand, etc. ; un nouveau Brian Stableford,  Le Chiffre de Cthulhu  ; le troisième Nicolas Texier  ; le quatrième Chloé Chevalier  ; un nouveau Nikolavitch, dans les canaux martiens  ; un nouveau Nelly Chadour  ; et encore plusieurs beaux livres franchement renversants, dont la conception nous excite considérablement dès à présent…

Haut les cœurs et vive l’avenir : plus que jamais, les Moutons électriques vont de l’avant et débordent de projets — aidez-nous à financer ce futur  !

Le bonheur de traduire Stableford

Nous vous livrons régulièrement des « mots de l’éditeur » sur nos nouveautés, juste un petit texte à chaque fois afin de vous expliquer, de manière très personnelle, comme en confidence, l’origine d’un livre… Cette fois-ci, la traductrice Catherine Rabier nous explique pourquoi elle s’est lancée dans la traduction des « Auguste Dupin, investigateur de l’étrange » de Brian Stableford, dont nous publions ce mois Le Testament d’Erich Zann.

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Tout a commencé lorsque François Darnaudet, mon auteur de mari, a demandé à Philippe Ward, son directeur de collection de Rivière Blanche, s’il n’aurait pas des traductions à lui proposer. À l’époque, il envisageait d’en faire une activité parallèle à l’écriture de ses romans. Philippe lui fit donc passer le tapuscrit de The Wayward Muse, triptyque de novellas inédites en France d’un auteur bien connu de fantastique et de SF : Brian Stableford. D’autres traducteurs avaient jeté l’éponge devant la difficulté de ce texte anglais à haute tenue littéraire, très romancier décadent du XIXe, mais avec le côté palpitant du fantastique anglo-saxon. François fit mieux que de reculer lui aussi devant cette merveille qui se méritait : il me la recommanda. Et ce fut une des grandes rencontres de ma vie intellectuelle, sinon spirituelle. Je me plongeai avec délices dans cette uchronie d’un empire romain s’étendant jusqu’à une époque indéterminée, évoquant une sorte de XIXe siècle sans vapeur. L’ambiance à la fois poétique et fantastique des novellas de Brian, au tempo narratif soutenu (il sait raconter des histoires), toujours porteuses de métaphysique subtile et de tendre désenchantement, m’a chaque fois apporté l’apaisement auquel un inguérissable chagrin me faisait aspirer. Il a le don de nous entraîner dans les doublures oniriques de notre existence sans jamais nous faire perdre pied dans la réalité. Car il nous donne toujours comme guides des personnages doués de vision mais à la rationalité solide, qu’il s’agisse de son peintre Maître Rathenius, héros du cycle de La Muse égarée (traduction française de The Wayward Muse chez Rivière Blanche) suivie de La Complainte d’Eurydice, ou du célèbre Dupin de Poe, génial logicien. Ce que j’apprécie aussi, c’est son humour, typiquement anglais, qui jette des reflets discrets sur les scènes les plus noires. Il manifeste une véritable expérience de la nature humaine, une sagesse profonde. Bref, traduire Stableford est pour moi littéralement thérapeutique ! Avec lui, je m’évade dans des univers temporels et spatiaux qui me font oublier un monde de plus en plus lourd à supporter, tout en gardant le contact avec les questions essentielles de la vie. En fait, j’ai besoin de son univers.

La seconde rencontre, capitale pour donner un nouveau souffle à mon alliance de cœur littéraire avec Brian, fut celle d’André-François Ruaud, le directeur des Moutons électriques. Ce fut lui qui donna de brillantes perspectives à la série des Dupin imaginée par Stableford, un Dupin tellement plus riche et plus vivant que celui de Poe… Son Paris de l’époque de Balzac est aussi un régal, on s’y promène comme avec une machine à remonter le temps. Tout y est, et c’est aussi mon époque favorite, celle que je connais le mieux.

Pour dire quelque chose de la langue de Brian, certains se montrent peu sensibles (c’est une litote…) à son charme légèrement (et sans doute, je crois, volontairement) désuet. Ils ignorent sans doute que ce qui leur paraît vieillot vient d’une richesse de culture et d’expérience dont seul peut rendre compte un vocabulaire varié et précis. De même, les phrases de Brian sont assez souvent longues et sinueuses, mais parfaitement maîtrisées. Leur syntaxe est aussi rigoureusement complexe que les pensées qu’elles sont chargées d’exprimer. Imagine-t-on un esprit aussi sophistiqué que celui de Dupin se contentant d’une centaine de mots et de phrases sur le modèle sujet-verbe-complément ?!

On parle beaucoup dans les romans de Brian, même s’il y a de l’action et qu’on ne s’ennuie pas. Mais les dialogues sont tellement vivants qu’ils dessinent avec bonheur des psychologies très diverses et très fouillées, les personnages prenant de l’épaisseur sous nos yeux.

Je finirai en parlant du plaisir que donne l’exercice de la traduction. Des années de pratique intensive en version latine et grecque, de l’hypokhâgne à l’agrégation, ont fait de moi une traductrice pointilleuse, en proie à un sentiment permanent d’imperfection (la peur bleue du contre-sens !). Mais j’ai finalement toujours aimé cette manière de produire de beaux textes sans avoir la peine d’imaginer une histoire et des personnages : rien que le plaisir de la langue, surtout quand on a affaire à celle de Stableford. Et d’ailleurs, quoi de surprenant si le modèle qui s’est imposé à moi dès que j’ai commencé à le traduire est celui de Baudelaire traducteur d’Edgar Poe ? Pour moi, rien n’est plus beau ni plus fidèle que ces traductions. C’est l’Idée platonicienne de la traduction, celle à laquelle on ne peut que tendre sans jamais l’atteindre.